La notion de patrimoine et le souci de sa conservation sont relativement récentes. Elles remontent à la seconde moitié du XXe siècle. Récente mais rapidement ancrées dans les priorités actuelles de la société. Et pourtant, aujourd’hui, malgré cette attention sans précédent dans l’histoire occidentale pour la préservation du patrimoine, le patrimoine religieux est en danger.
Danger d’une mauvaise conservation
L’évolution de la pratique religieuse, le regroupement des célébrations, l’âge de certains fabriciens, le fait qu’il n’y a plus de prêtre dans chaque paroisse, tous ces éléments font que nos églises sont moins régulièrement fréquentées et moins bien surveillées. Il peut se passer plusieurs jours, plusieurs semaines sans que quelqu’un n’y entre. Des dégradations peuvent survenir sans qu’on ne le remarque suffisamment vite. Les conditions de conservation dans des jubés poussiéreux ou des greniers humides sont parfois désastreuses. Ces locaux ne sont pas vraiment adaptés pour conserver des pièces qui y ont été remisées puis souvent oubliées il y a plusieurs années sans beaucoup de réflexion à long terme.
Les mesures de sécurités ne sont pas toujours adéquates et ne sont plus à la mesure de l’appétit de voleurs ou de vandales. Insensiblement, depuis quelques années, ce sont de nombreuses et parfois importantes pièces de notre patrimoine qui ont disparu.
Danger de surplus et de confusion
Un autre danger relève de l’abondance et d’une confusion qui porte sur la notion de patrimoine.
Les objets de culte et œuvres d’art religieux sont très nombreux. La production religieuse a été énorme et cela jusqu’à une époque encore très récente. Du beau et du laid, de l’exceptionnel et du vulgaire. Aujourd’hui, les créations du XIXe et du début du XXe siècle sont décriées. Et elles sont abondantes. Pourra-t-on tout conserver ? Toutes les statues en plâtre, dont beaucoup sont abimées, ébréchées, cassées ? Toute l’orfèvrerie en mauvais laiton ? Toutes les chaises ou anciens bancs d’église ? Conserver quoi, où, comment, pourquoi ?
Nos prédécesseurs ont eu moins de scrupules qui dans les années post Vatican II ont allégé sans beaucoup d’état d’âme les églises de statues, d’autels, de chaires de vérité ou autre objets devenus encombrants, et cela parfois sans beaucoup de discernement en tout cas aux yeux du gestionnaire de patrimoine d’aujourd’hui. Ils croyaient bien faire, aujourd’hui on a des regrets. Aurons-nous une autre attitude ? Il faudra faire des tris, au risque de se tromper aux yeux des générations futures. Au risque de pertes regrettables.
Danger de perte de sens
Enfin, cinquante ans après la réforme liturgique de Vatican II, de nombreux objets de culte, pièces d’orfèvrerie, meubles ou tissus liturgiques ont perdu leur utilité. Les générations actuelles n’en connaissent plus la fonction, et peuvent les mépriser au risque de les éliminer. On range, c’est-à-dire, on empile, on entasse, on élimine, on jette, … souvent plus par méconnaissance que par mauvaise volonté. Tout au plus, dans cette désaffection générale, mais avec un souci de conservation, certaines pièces importantes ont-elles été transférées vers des musées. Elles sont alors sorties de leur contexte, écartées du lieu qui leur donnait sens.
La notion de patrimoine et l’intérêt que la société porte vers les choses du passé, induisent un phénomène qui fait l’objet de beaucoup d’intérêt de la part des sociologues, c’est la patrimonialisation.
La patrimonialisation, cela veut dire qu’un objet, en raison de l’évolution du contexte dans lequel il se déployait, a perdu son utilité première, sa fonction. Mais par contre, il acquiert un autre sens, il trouve un autre intérêt, une valeur esthétique par exemple. Il n’est plus regardé à la lumière de ceux qui l’ont faire vivre, de ceux pour lequel il avait une finalité, mais il trouve un autre attrait ou interfèrent signification originelle mal comprise et valeurs culturelle contemporaines. En devenant patrimoine, un objet ouvre son champ de signification à un public beaucoup plus large. Une nouvelle population s’approprie en quelque sorte un bien qui ne lui était initialement pas destiné.
La patrimonialisation peut être une chance pour beaucoup d’objets ou de constructions qui auraient disparu sans une signification nouvelle. Mais cela n’est pas sans risques. Le danger de la patrimonialisation, c’est la perte de sens ou le remplacement d’un sens initial par une lecture nouvelle basée sur un regard nouveau, sur des intérêts nouveaux. Une statue de dévotion devient œuvre d’art. Elle est admirée pour ses formes gracieuses ou le raffinement du travail du sculpteur, alors que le dévot y voyait une porte vers le divin. La muséalisation risque d’accélérer cette évolution lorsque le contexte spatial a disparu.
Malgré l’intérêt général dans la société pour le patrimoine et sa conservation, celui de nos églises paroissiales présente un réel danger de conservation et son avenir est incertain. Il représente pourtant une importance considérable au cœur de notre société.
Les enjeux du patrimoine religieux
La conservation du patrimoine ne peut être une finalité en soi. Elle ne peut se réduire à un intérêt d’antiquaire, ou à une passion de collectionneur nostalgique, à un goût pour les vieilles choses. Des enjeux plus profonds motivent l’énergie qu’il convient à y apporter.
Un enjeu culturel : le patrimoine est le support de la culture chrétienne
Un premier enjeu, essentiel, est celui de la préservation culture chrétienne. Le patrimoine religieux a de l’importance parce qu’il est le support matériel majeur de la culture chrétienne. Il y en a d’autres, mais c’est le plus visible. Les objets, les images ou les édifices sont des éléments qui s’imposent dans le paysage visuel public et qui évoquent tout un univers mental qui a forgé des générations d’hommes et de femmes durant des siècles. Ce sont des témoins visibles, des traces qui maintiennent vivaces au regard une des composantes essentielles de la culture occidentale. Si le patrimoine s’estompe ou disparait, c’est la présence même de la culture chrétienne comme composante de la société actuelle qui est en danger.
Force est de constater que la culture chrétienne a tendance à s’effacer. Dans une société sécularisée, qui tend à privatiser le religieux, et multiculturelle, c’est-à-dire où se côtoient d’autres cultures, la culture chrétienne tend à se dissoudre. Les plus jeunes connaissent moins bien l’histoire sainte. Les repères traditionnels s’effacent, les éléments qui marquaient le paysage ou le calendrier, ne sont plus compris. L’iconographie, les représentations de scènes traditionnelles ne sont plus reconnues par les plus jeunes. La transmission intergénérationnelle de la culture s’amoindrit d’âge en âge.
Comprendre notre histoire
Et pourtant, la culture chrétienne est fondamentale pour expliquer et faire comprendre notre histoire, l’histoire de tout l’Occident. La culture chrétienne est le fondement de nos sociétés. Au niveau de la grande histoire, on parle des racines chrétiennes de l’Europe, mais aussi de la petite histoire, celle des gens, des ancêtres proches, des villes et des villages. Et cela ne concerne pas que le Moyen âge, le christianisme a marqué notre civilisation jusqu’il y a peu, jusqu’à aujourd’hui. On dit qu’un peuple ignorant de son histoire est comme un arbre sans racine, c’est un peuple sans avenir. Nous ne pouvons comprendre et faire comprendre notre histoire sans une bonne compréhension de l’empreinte chrétienne qui la marque.
Une culture pour mieux vivre ensemble
Il n’y a pas que comprendre notre passé. Il y a aussi le vivre ensemble aujourd’hui. L’actualité nous rappelle sans cesse les drames qui sont le résultat d’une ignorance de l’autre. La violence d’aujourd’hui, comme d’hier, repose essentiellement sur une méconnaissance d’autrui, sur la peur de l’étranger, sur l’incompréhension de ses propres valeurs de vie, de ses aspirations, de ses craintes. Cela aboutit au rejet, à l’exclusion, et à d’autres formes de violence plus excessives.
Nombreuses sont les initiatives, aujourd’hui, d’expliquer les convictions ou les religions qui font le monde, et en particulier l’islam. Le comble, serait qu’en même temps, on néglige l’importance sociétale du christianisme. Dans le concert des cultures qui caractérise la société d’aujourd’hui, la composante chrétienne doit être expliquée, elle doit faire entendre son contenu.
Des valeurs pour construire
Se faire entendre pour aujourd’hui mais aussi pour demain. Dans une société multiculturelle, le christianisme doit faire entendre sa voix, une voix de traditions, de continuité et d’espérance. Le christianisme, malgré des pages d’histoire sombres, a été le ferment des grands progrès des sociétés occidentales : droits de l’homme, de la femme, respect du petit et du faible, évolution vers plus de démocratie et de justice. La culture chrétienne est porteuse de valeurs : les valeurs évangéliques, des valeurs d’humanisme, d’altruisme, de vivre ensemble. Et le patrimoine peut, doit, dire l’idéal chrétien dans la société sécularisée et multiculturelle, tout en respectant la mosaïque de convictions et cultures et aussi, bien entendu, tout en ne réduisant pas le christianisme à de la culture.
Un enjeu spirituel : le patrimoine ouvre au mystère de Dieu
Pour le chrétien, l’enjeu du patrimoine est aussi spirituel. Le christianisme catholique est une religion de l’image, de l’objet, mais aussi du geste, de la parole, de la musique. Une religion qui met les sens à contribution. Pour le fidèle, le patrimoine ou l’œuvre d’art peut dire la présence de Dieu ou peut l’amener à la transcendance. Il ne se réduit pas à de la culture. Le patrimoine peut être lui-même une source d’inspiration. L’art religieux contemporain s’inscrit dans cette tradition. Il permet, par une autre formulation, l’élévation de l’âme vers le tout autre.
Conclusion : Une réflexion sur l’avenir des églises
L’action du CIPAR s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’avenir des bâtiments églises. Tôt ou tard, de nombreuses églises trouveront une autre affectation. Dans cette perspective il sera nécessaire de disposer au niveau des entités paroissiales ou communales de personnes capables de discerner la valeur du patrimoine mobilier et de prendre des options quant à sa conservation.
Plus largement, il y a lieu de réaffirmer les églises dans la vocation sociale et sociétale qui a toujours été la leur. Une église doit rester – redevenir – ce lieu historique d’expérience spirituelle et communautaire qu’elle a toujours été. Pour cela l’église doit être bien entretenue, ouverte aux heures et jours principaux de la vie sociale, elle doit répondre aux normes de sécurité en vigueur, se montrer accueillante à des manifestations sociales locales, être un repère historique et identitaire d’une communauté tout entière. Il s’agit là d’une responsabilité historique de l’Eglise.