Genèse du sauvetage de la toile monumentale de Théodore-Edmond Plumier ornant le maître-autel de l’église Sainte Catherine en Neuvice à Liège : Le Martyre de Sainte Catherine
Dès la fin du mois de mai 2018, nous avons examiné l’œuvre à la demande de l’architecte en charge de la réfection de la façade de l’église. L’affaiblissement de la toile sur le bord inférieur droit lui semblait préoccupante. Il n’était alors question que de déposer le tableau à plat, hors de l’autel afin d’assurer la bonne conservation de l’œuvre. Malheureusement, la situation s’est dégradée très rapidement.
Alors que nous étions en attente du placement d’un échafaudage qui nous permettrait d’avoir accès à la partie supérieure du maître-autel, la toile s’est déchirée sous son propre poids début du mois de juillet 2018. Cette situation critique allait nous obliger à intervenir plus rapidement. Nous avons alors procédé dans un premier temps au sauvetage de la partie déchirée qui reposait sur le tabernacle. Le châssis a ensuite été retiré du maître-autel en novembre de la même année.
Cet accident aussi spectaculaire que dramatique nous offrait la possibilité de proposer une intervention de conservation - restauration complète. L’objectif était d’ assurer la pérennité de l’œuvre en intervenant sur le support fortement endommagé mais également d’améliorer l’aspect esthétique du tableau. Il est vrai que la composition avait disparu sous les importantes couches de vernis et d’encrassement qui le recouvraient.
Afin de concrétiser ce projet ambitieux, la fabrique d’église a bénéficié d’une importante subvention du Fonds David Constant de la Fondation Roi Baudouin. La restauration a pris place au sein de l’église Sainte-Catherine entre octobre 2019 et juin 2022.
La restauration du tableau a permis de redécouvrir le sujet exact du tableau et la richesse des couleurs de la composition. Sous l’encrassement, la date et la signature étaient également devenues illisibles, mais elles sont rapidement réapparues dès le début du nettoyage.
Par sa monumentalité mais aussi par sa qualité plastique, la grande toile du maître-autel de l'église Sainte-Catherine à Liège constitue le chef-d'œuvre de Théodore-Edmond Plumier et c’est à ce titre qu’elle a été classée au titre de Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles par arrêté du 18 juillet 2019.
L’œuvre illustre le martyre de sainte Catherine d’Alexandrie, sainte qui sera exécutée pour s’être convertie au christianisme. Ne voulant pas renoncer à sa foi, elle sera condamnée par l’empereur Maxence à être écorchée vive sur des roues dentelées. Mais un ange intervint et foudroie les roues qui se brisent en tuant les bourreaux. La sainte apparait majestueuse et imperturbable au centre de chaos.
Actuellement, le tableau n’est malheureusement pas visible car l’intérieur de l’église qui a récemment été classé est en cours d’étude et de restauration. Le maître-autel profite également d’un nettoyage approfondi avant la remise en place du tableau. Nous espérons que ces travaux seront achevés d’ici la fin de l’année.
Une œuvre majeure d’une des plus grandes femmes peintres du XVIIe siècle conservée au Séminaire de Namur : le Mariage mystique de sainte Catherine de Michaelina Wautier
Il y a trente ans à peine, Michaelina Wautier (Mons, ?- Bruxelles, 1689) était presque totalement inconnue et elle n’avait jamais fait l’objet d’aucune étude. C’est dans les toutes dernières années du XXe siècle qu’elle a commencé à retenir l’attention des historiens de l’art et ceux-ci ont bientôt dû convenir que cette Montoise se révélait en fait l’une des plus grandes femmes peintres du XVIIe siècle ! En ce temps où les femmes peintres étaient reléguées dans des genres dits mineurs, Michaelina a produit tant des grandes toiles mythologiques et religieuses que des scènes de genre, des fleurs ou des portraits, ce qui est très inhabituel. C’est manifestement en raison de sa condition de femme que l’historiographie a scandaleusement oublié cette artiste de premier plan !
Elle représente l’une des personnalités artistiques les plus surprenantes, et les moins connues, des Pays-Bas au XVIIe siècle. Elle ne s'est signalée à nous qu'à travers une petite trentaine de tableaux signés ou documentés. Sa notoriété grandissante a conduit à de multiples attributions sur des bases stylistiques, mais le bon grain doit encore être séparé de l’ivraie. Curieusement, sa production documentée se situe seulement entre 1643 et 1659, alors qu’elle a vécu environ 75 ans.
Hors de ses tableaux, on sait peu de choses d’elle ; sa date de naissance exacte n’est, par exemple, pas connue, contrairement à ce que l’on avait cru. On sait qu’elle est issue d’une famille de la petite noblesse montoise, qu’elle avait des nombreux frères et sœurs. Son frère Charles (1609-1703) a dû jouer un rôle important dans sa formation car il est également devenu peintre ; on commence aussi à redécouvrir son œuvre. Charles et Michaelina sont toujours restés très proches. Étant demeurés tous deux célibataires, ils partagèrent le même domicile à Bruxelles et le même atelier. Ils furent tous deux enterrés dans l’église de la Chapelle. C'étaient des personnalités suffisamment en vue pour se voir commander des tableaux par l'archiduc Léopold-Guillaume de Habsbourg, gouverneur des Pays-Bas et l’un des plus grands collectionneurs de son temps. La question de leur collaboration est l’un des sujets qui interpellent le plus les historiens de l’art qui se penchent aujourd’hui sur leur production.
Le saisissant Mariage mystique de sainte Catherine (157 x 218 cm) est l’une des meilleures réalisations de Michaelina dans le grand genre. On y voit sainte Catherine d’Alexandrie agenouillée, aisément reconnaissable à la roue dentelée à ses côtés, et portant la main vers l’Enfant Jésus assis sur les genoux d’une mère au regard compatissant. Marie est assise sur une tablette de pierre devant saint Joseph. Au second plan au centre se découvre sainte Barbe, à moins qu’il ne s’agisse de sainte Agnès ; elle tient la palme symbole de son martyre. À droite apparaît le petit saint Jean, accompagné d’un agneau, son attribut autant que celui de sainte Agnès. C’est l’une des représentations les plus originales que l’on connaisse de ce thème au XVIIe siècle.
La signature et la date de 1649 que porte ce beau tableau ont été oubliées jusqu’en 2001. Une de ses principales spécificités, c'est l'extrême caractérisation des personnages : on devine des portraits dûment étudiés. Le visage affable de la noble dame qui a servi de modèle à la Vierge apparaît comme un contrepoint à la représentation dynamique de saint Joseph, rejeté dans l'ombre. Il se dégage de cette dernière figure une exceptionnelle puissance expressive qu'accentuent les contrastes lumineux ; c'est un saint Joseph bien éloigné de la typologie traditionnellement neutre et austère du personnage. Il faut peut-être voir dans les figures des portraits de notabilités locales, éventuellement de la famille de Croÿ. L’origine de cette toile est malheureusement inconnue.
Ce trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles a retrouvé sa vivacité grâce à sa restauration à l’IRPA en 2017-2018. Il devrait être bientôt proposé à l’admiration d’un large public international, dans le cadre d’une grande exposition sur Michaelina Wautier qui se tiendra au Kunsthistorisches Museum de Vienne à l’automne 2025, puis à la Royal Academy de Londres dans les premiers mois de 2026.
Pierre-Yves Kairis
Vice-président de l’Institut archéologique liégeois
Bibliographie
KAIRIS P.-Y., « Le portrait dans le Namurois au XVIIe siècle » dans TOUSSAINT J. (éd.), Portrait en Namurois, Namur, Province de Namur, 2002, pp. 39-41.
KAIRIS P.-Y.,Mariage mystique de sainte Catherine en présence de sainte Barbe et du petit saint Jean, dans JAFFRE G. et MARCHANT C. (sous la coord.),Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, Protection du Patrimoine culturel, vol. 1, Stavelot, 2015, p. 229.
VAN DER STIGHELEN K., « Prima inter pares’. Over de voorkeur van aartdhertog Leopold-Wilhelm voor Michaelina Woutiers (ca 1620-na 1682) », dans VLIEGHE H. et VAN DER STIGHELEN K., Actes du colloque Sponsors of the Past. Flemish Art and Patronage 1550-1700, Turnhout, Brepols, 2005, pp. 107-108.
VAN DER STIGHELEN K. (dir.), Catalogue de l’exposition Michaelina Wautier. 1604-1689. Gloryfying a Forgotten Talent, Anvers, 2018, p. 200-203.
Exposition - Soigner notre patrimoine
La collégiale de Huy accueille cet été une nouvelle exposition, intitulée "Soigner notre patrimoine", l'événement émane d'un partenariat inédit entre la fabrique d'église, le Trésor de la collégiale, l'école Nationale supérieure des Arts visuels de La Cambre (Bruxelles) et l'école Supérieure des Arts Saint-Luc (Liège).
Si vous êtes de passage à Huy, n'hésitez pas à la découvrir, elle y est visible jusqu'au 29 septembre 2024.
Maura Moriaux
Programme des prochaines Journées du Patrimoine est actuellement consultable en ligne
Est-ce que vous allez parfois sur notre rubrique "Annonces patrimoniales"? Elle nous permet de faire le lien entre les fabriques qui ont du mobilier à léguer et d'autres qui sont à la recherche d'une pièce. N'hésitez pas à y jeter un œil de temps à autres. Et si vous avez également quelque chose à y poster, envoyez nous un mail : v.groessens@cipar.be.
Nouveau trésor : la Vierge attribuée à Passier Borman
Le Gouvernement de la Communauté française a décidé de classer la Vierge attribuée à Passier Borman de la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles avec la qualification de trésor le 19 juin 2024. Son classement est justifié en raison de sa valeur artistique et chacun des critères de classement retenu : l’état de conservation remarquable, la rareté, la grande qualité de conception et d’exécution et le lien avec l’histoire et l’histoire de l’art. Voyons ensemble cela plus attentivement !
L’intitulé de ce tableau peut surprendre : le terme invention n’est pas ici repris selon son sens commun, mais renvoie, selon une tradition de longue date en histoire de l’art, au sens initial de découvert.
Le sujet évoque en effet la découverte de la croix du Christ par sainte Hélène. Selon la légende, la mère de l’empereur Constantin se mit à la recherche de la sainte croix à Jérusalem en l’an 326. Après des fouilles, elle découvrit trois croix, celle de Jésus de Nazareth et celles des deux larrons. Laquelle était celle du divin condamné ? On approcha les trois bois du corps d’un cadavre et au contact de la sainte croix, celui-ci ressuscita. C’est l’épisode illustré dans ce grand tableau d’autel (354 x 194 cm) issu du pinceau de Bertholet Flémal, le principal peintre liégeois du XVIIe siècle. Au contraire de la plupart de ses prédécesseurs, dont son propre maître Gérard Douffet, le maître liégeois n’a pas mis l’accent sur le caractère anecdotique de la résurrection du cadavre, mais sur le moment qui a suivi, celui où l’on voit sainte Hélène en adoration devant l’instrument de la Passion retrouvé.
L’Invention de la sainte croix est la dernière œuvre connue de Bertholet Flémal (1614-1675) et c’est l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre. Le tableau était destiné au nouveau maître-autel de la collégiale Sainte-Croix à Liège, érigé en 1674, et sans doute sur le dessin du même Flémal, également architecte. L’autel a été construit aux frais du prévôt de Sainte-Croix Guillaume-Bernard de Hinnisdael et il a été offert par celui-ci à sa collégiale dans le contexte de la coutume dite du drap d’or. Au terme de cette coutume, les dignitaires des collégiales étaient tenus d’offrir un cadeau à leur église suite à leur élection.
Le sujet est évidemment en relation avec la dédicace de l’église. La toile en a orné le maître-autel jusqu’à la vente de celui-ci à l’église d’Odeigne en 1847, dans le cadre de la débaroquisation des églises gothiques qui prévalait alors largement dans notre pays. Le tableau est resté dans l’église Sainte-Croix et c’est l’un des très rares tableaux du peintre encore conservés dans son institution d’origine. Toutefois, pendant la durée des travaux de restauration de l’église, il est présenté dans un collatéral de la cathédrale Saint-Paul.
L’artiste joue habilement sur le mélange de crainte et de ferveur que suscite cette découverte. Le ciel et la terre sont intelligemment unis. L'ange à gauche du registre céleste aide les trois soldats au sol à redresser la croix ; c'est le bois même de celle-ci qui relie les deux registres, selon un axe ascensionnel. L'ange qui lui fait face est déjà en vénération, de même que sainte Hélène. Avec un visage d'un profil absolu tel que les affectionne Flémal, celle-ci est clairement mise en évidence au milieu d'une foule bigarrée. Son somptueux péplum rose la détache hardiment et fait d’elle l’un des personnages les plus distingués de tout l'œuvre de Flémal. L'ensemble est dominé par une palette très froide, que rythment les blancs caractéristiques du peintre. Cette grande toile est le véritable chant du cygne de son auteur : à quelques mois de sa disparition, il s'y est surpassé. Elle traduit par des passions diversifiées les sentiments de crainte et de vénération autour desquels toute la composition a été charpentée. Par les contrastes dans le paysage, le peintre conçoit la découverte de la croix comme l’aube d’un renouveau pour l’humanité.
Ce n’est pas le seul exemple de tableau de ce sujet par Bertholet Flémal. Il avait peint quelques années auparavant un tableau très proche pour le maître-autel de l’église des croisiers de Liège. Depuis le début du XIXe siècle, ce tableau peut être admiré dans l’église Saint-Barthélemy à Liège. Il met davantage l’accent sur l’adoration par les plus humbles de la croix nouvellement découverte, on pourrait dire inventée.
Pierre-Yves Kairis
Vice-président de l’Institut archéologique liégeois
HELBIG J., La peinture au pays de Liège et sur les bords de la Meuse, Liège, 1903, Imprimerie liégeoise Henri Poncelet, pp. 256 et 269-270.
HENDRICK J., La peinture au pays de Liège. XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Liège, Perron-Whale, 1987, pp. 130, 131 et 136.
KAIRIS P.-Y., Bertholet Flémal (1614-1675), Paris, Arthena, 2015, passim, p. 38, 60, 65, 75, 133 et 153 (avec la bibliographie antérieure).
KAIRIS P.-Y., Invention de la sainte croix, dans JAFFRE G. et MARCHANT C. (sous la coord.), Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, Protection du Patrimoine culturel, vol. 1, Stavelot, 2015, p. 237.
Formation en gestion et conservation du patrimoine mobilier religieux : nouveau programme!
Après avoir eu lieu à Namur et à Châtelineau (Charleroi), la formation en gestion et conservation du patrimoine mobilier religieux du CIPAR prend place à Liège cet automne ! Cette formation a pour objectif de fournir des clés de compréhension du patrimoine conservé dans nos églises ainsi que de fournir conseils et astuces pour assurer leur préservation. Si vous êtes intéressés, découvrez ici le programme et les modalités d'inscription.
L’église Saint-Jean-Baptiste de Namur fait restaurer une œuvre majeure de la sculpture namuroise
Depuis le 14 mai dernier, les visiteurs peuvent admirer un Christ triomphant au centre du Grand salon du Musée des Arts décoratifs de Namur. Cette œuvre remarquable du sculpteur namurois Feuillen Houssart (1710-1753) provient de l’église Saint-Jean-Baptiste de Namur. Elle a fait l’objet d’une étude matérielle et d’une restauration dans l’atelier des sculptures en bois de l’Institut royal du Patrimoine artistique, financées par le fonds Léon Courtin-Marcelle Bouché.
La restauration de la statue s’inscrit dans le cadre d’initiatives de plus grande ampleur. La première est la restauration intérieure de l’église Saint-Jean-Baptiste. Edifice classé depuis 1936, il s’agit de la plus ancienne église conservée de Namur. Outre le bâtiment, la Fabrique d’église entend aussi valoriser le mobilier, dont la richesse constitue un des attraits indéniables de l’église. En 2021, une demande de financement est déposée auprès du Fonds Courtin-Bouché, afin d’entreprendre la restauration du Christ triomphant exposé dans l’autel latéral nord de l’église. Le projet a pour objectif de conserver et de rendre toute sa lisibilité à ce chef-d’œuvre de la sculpture namuroise, afin de l’exposer à nouveau dans l’église après la fin des travaux. En accord avec l’Agence wallonne du Patrimoine, un emplacement plus adéquat sera choisi pour le mettre en valeur. Entre-temps, et jusqu’au 8 septembre 2024, le Christ est présenté dans l’exposition « Des mains de maîtres. Sculpteurs baroques et rococo à Namur (17e-18e s.) », organisée au Pôle muséal des Bateliers à Namur. Elle sera ensuite, et jusqu’à la fin des travaux de l’église, conservée au Musée diocésain de Namur.
Le Christ de Saint-Jean-Baptiste est actuellement au cœur des recherches menées par Michel Lefftz, professeur en histoire de l’art à l’Université de Namur. L’œuvre était jusqu’à présent méconnue. Avant sa dépose récente, la statue était installée en hauteur, sur un retable d’autel, soustraite aux regards. Ses grandes qualités plastiques étaient dès lors passées inaperçues. Pourtant, le Christ en ronde-bosse, de grande taille, impressionne d’emblée par sa silhouette gracieuse et la délicatesse de son expression. À la suite de récentes découvertes, Michel Lefftz a pu attribuer la sculpture à Feuillen Houssart (Namur 1710 – Averbode 1753). Jusqu’ici, on ne connaissait de lui que ses importants travaux pour l’abbaye d’Averbode, et aucune œuvre namuroise n’avaient pu lui être rattachées. D’autres œuvres peuvent aujourd’hui lui être attribuées comme les anges musiciens des stalles de l’abbatiale de Floreffe, plusieurs angelots des confessionnaux de l’église Saint-Loup à Namur, ou encore le beau saint Corneille de l’église Saint-Rémi à Thon-Samson. Les réalisations de Houssart manifestent une maîtrise technique hors du commun et une inventivité exceptionnelle. La restauration du Christ de Saint-Jean-Baptiste suivie de l’exposition est une occasion unique de documenter sa carrière et de le remettre à l’honneur. Pièce maîtresse de l’artiste, l’œuvre manifeste pleinement son talent et permet d’y voir l’un des meilleurs sculpteurs de la phase « maniérée » du baroque.
La qualité de la statue et le potentiel d’étude qu’elle représente pour la connaissance des pratiques des sculpteurs au 18e siècle ont retenu l’attention de l’atelier de restauration des sculptures en bois de l’IRPA. Grâce au généreux soutien financier du fonds Léon Courtin – Marcelle Bouché, le traitement de conservation-restauration de Christ lui a été confié, et a été réalisé par Emmanuelle Mercier et Violette Demonty. En plus de lui rendre une apparence digne de son statut de chef-d’œuvre, ce traitement a permis d’en assurer la bonne conservation à long terme.
L’étude matérielle réalisée par l’équipe de l’IRPA[1] a permis de mieux comprendre comment l’œuvre a été réalisée. Taillée dans un bois de feuillu clair et tendre, probablement du tilleul, la sculpture est composée de pas moins de 27 morceaux de bois assemblés. Cette pratique, courante à l’époque baroque, a été observée à travers de nombreux joints d’assemblage, complétée d’une radiographie. Le soin apporté à la taille du dos de la sculpture et des cheveux, semble indiquer qu’elle n’était initialement prévue pour être exposée dans l’autel, mais dans un endroit où toutes ses faces étaient visibles, voire portée en procession. L’étude stratigraphique et topographique des polychromies successive a révélé trois niveaux de polychromie différentes. La dernière, soignée et de qualité, pourrait dater du 19e ou du début du 20e siècle. Elle serait contemporaine des pierres colorées, serties dans des bijoux métalliques appliqués autour des cinq plaies du Christ. L’analyse d’anciens clichés dans la base de données photographiques de l’IRPA a permis aussi de mieux comprendre d’anciennes altérations. Le placement d’une lourde cape sur les épaules du Christ serait ainsi probablement à l’origine d’usures au niveau du torse. Après 1973, la sculpture a probablement subi un dégât important, peut-être dû à une chute, suivi d’une restauration conséquente, notamment au niveau des assemblages. Au fil du temps, plusieurs doigts des mains ont été endommagés, voire perdus, et réparés de manière plus ou moins qualitative.
Outre l’étude de l’œuvre, l’atelier de restauration a procédé à un traitement de l’œuvre en plusieurs étape, à commencer par une éradication des insectes xylophage au moyen d’une anoxie. Les quelques soulèvements de polychromie ont ensuite été fixés, avant un nettoyage superficiel de la surface, afin d’en éliminer les saletés incrustées (probablement dues à la suie des bougies). Les retouches grossières ont été enlevées, de même que d’anciens mastics. De nouveaux bouchages ont été appliqués dans les cavités laissées par ces derniers, et des zones de vois vermoulues ont été consolidées.
La reconstitution des doigts mutilés a constitué une étape importante du traitement. Il a été jugé important de pouvoir reconstituer la qualité expressive de la main, sans pour autant inventer totalement la position des doigts manquants. Ceux-ci ont donc été reconstitués à l’aide des anciens clichés de l’IRPA, mais aussi par l’examen d’œuvres comparables de l’artiste, en particulier le saint Corneille de l’église de Thon, cité plus haut, également attribué à Feuillen Houssart. Une empreinte de l’auriculaire et de l’index du saint ont ainsi permis de réaliser deux nouveaux doigts, adaptés à la morphologie du Christ. Enfin, un masticage et une retouche des lacunes ont été effectués ; réalisée par petits points, détectable de près mais invisible à distance, cette retouche masque les joints d’assemblage.
Outre la stabilisation des dégradations, l’étude et le traitement de conservation-restauration du Christ ont apporté une meilleure compréhension de son histoire, et une remise en valeur de la sculpture dans son troisième état de polychromie. Avec la reconstitution des doigts, elles permettent d’apprécier la valeur esthétique de l’œuvre.
Lise Constant
[1]Le présent résumé de l’étude et de la restauration par l’IRPA est issu de l’article rédigé par Violette Demonty et Emmanuelle Mercier, « Une œuvre majeure du baroque rococo en Namurois : le Christ triomphant attribué à Feuillen Houssar(t) », dans Des mains de maitres.
Sculpteurs baroques et rococo à Namur (17e-18e s.), vol. 1, catalogue d’exposition, Namur, 14 mai – 8 septembre 2024, Namur, 2024, p. 133-143.