Une statue sortie de l’ombre grâce aux inventaires
Notre-Dame des Sept Douleurs, une statue de la collégiale Saint-Feuillen de Fosses-la-Ville (province de Namur), vient de vivre une drôle d’histoire. La statue avait été déposée au Musée diocésain de Namur, par la fabrique d’église, dans les années 1930. Jusqu’en 2020, la tête de la statue manquait. Cette tête a finalement été retrouvée dans la collégiale, et a pu être réunie à la statue, lors d’une restauration qui vient de se terminer.
Après l’avoir perdue, Notre-Dame retrouve sa tête !
Notre-Dame des Sept Douleurs est entrée au musée comme une statue acéphale. À en juger d’après les traces sur le bois, la tête avait été sciée proprement, à une date inconnue. Sans tête, la statue n’a pas retenu l’attention et est restée dans l’obscurité des réserves du musée.
En 2019, un traitement de conservation menée sur les sculptures en bois du musée est l’occasion d’examiner la collection. Le traitement est suivi d’une mission de campagne photographique par l’IRPA (Institut royal du Patrimoine artistique, Bruxelles). À cette occasion, Notre-Dame des Sept Douleurs suscite des discussions sur son lieu d’origine. Marie-Christine Claes de l’IRPA vérifie le relevé photographique de la collégiale de Fosses sur la base de données de l’IRPA (BALAT) et, parmi les objets, repère une tête isolée…
Très rapidement, la vérification est faite auprès de la collégiale de Fosses-la-Ville, dont le patrimoine vient de faire l’objet d’un inventaire et de constats d’état. Verdict : la tête est toujours présente et en bon état ! Ravi de cette découverte, l’ancien curé de Fosses-la-Ville, l’abbé Fabian Mathot, apporte la tête au musée : la forme du cou, du voile, tout correspond ! Sur base des photographies, la tête paraissait très petite par rapport au reste du corps, c’est pourquoi le rapport entre les deux n’avait pas encore été établi.
Métamorphose
Avec la fabrique d’église qui finance l’opération, il est décidé de faire restaurer la sculpture. La statue est restaurée par Fanny Cayron, dans son atelier à Vedrin (Namur). La tête est soigneusement réintégrée, la sculpture nettoyée, la surface du bois traitée localement pour en améliorer l’apparence.
La restauration est l’occasion de mieux observer la tête. Contrairement au corps totalement décapé, la tête présente des traces de polychromie encore visibles. Elle a aussi été rabotée anciennement, comme le montrent des traces de gouge au sommet du crâne. Le pourtour présente aussi des traces de clous. La statue a donc pu être exposée avec une couronne ou un voile fixés par des clous. Après le sciage, la tête aurait-elle eu aussi une vie indépendante du corps, comme le pense Fanny Cayron ?
Imprévu de la restauration : celle-ci met en évidence la mauvaise qualité de la main gauche de la statue. Il s’agit en effet d’une réparation postérieure et maladroite. Elle apparaît difforme par rapport à l’autre main, originale et très fine. Après discussion avec la restauratrice, la décision est prise de retirer cette main intruse, pour rendre le plus possible son intégrité formelle à la statue.
Notre-Dame des Sept Douleurs
Sculptée dans du chêne, polychromée à l’origine, la statue de Notre-Dame de Fosses mesure environ 80 cm de haut. La Vierge se tient en position assise, éplorée, la main droite posée sur la poitrine. Sept glaives ou flèches métalliques étaient rapportées autour de la main. Il reste les trous dans lesquels elles étaient fichées et des traces d’oxydation noires. Elle peut être datée du début du 17e siècle.
Notre-Dame des Sept Douleurs est l’un des titres par lesquels est invoquée la Vierge. La dévotion et l’imagerie de Notre-Dame des Sept Douleurs soulignent l’association de la Vierge aux souffrances du Christ. À la Passion de Jésus correspond la compassion de Marie. Les représentations de Notre-Dame des Sept Douleurs s’insèrent donc dans le thème de la Mater Dolorosa. Le culte de Notre-Dame des Sept Douleurs, fêtée le 15 septembre, serait attesté pour la première fois au début du 14e siècle. Il s’épanouit à la fin du Moyen Âge et aux Temps modernes.
Le cœur transpercé de glaives trouve son origine dans la prophétie du vieillard Siméon lors de la présentation de Jésus au Temple : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction, et toi, ton âme sera traversée d’un glaive : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » (Lc 2, 33-35).
À partir de cette métaphore du glaive, se développe le thème des sept douleurs de Marie, reprises par la dévotion populaire, symbolisées par sept glaives transperçant son cœur. Les artistes ont représenté, avec quelques variations, ces sept douleurs. Ce sont : la prophétie de Siméon (Lc 2, 34-35) ; la fuite en Egypte (Mat 2, 13-21) ; la disparition de Jésus pendant trois jours au temple (Lc 2, 41-51) ; la rencontre de Marie et de Jésus sur le chemin de Croix (Lc 23, 27-31) ; Marie, au pied de la Croix, assiste à la mort de son fils (Jn 19, 25-27) ; la descente de Croix (Mat 27, 57-59) ; la mise au tombeau (Jn 19, 40-42).
Jusqu’à présent, on ignore quel était l’emplacement de la statue de Notre-Dame des Sept Douleurs dans la collégiale de Fosses. Se trouvait-elle insérée dans un retable d’autel, comme c’est le cas d’autres représentations du même type des 17e et 18e siècles ? Quoi qu’il en soit, nous retiendrons de l’histoire de cette sculpture qu’il convient de ne pas considérer trop rapidement une œuvre comme étant sans intérêt ou « trop endommagée ». L’apport de nouvelles données historiques, ou la découverte d’un élément manquant, peut soudain redonner du sens à une œuvre isolée.
Hélène Cambier
Remerciements à la Fabrique Saint-Feuillen de Fosses-la-Ville, Fanny Cayron, Marie-Christine Claes, Fabian Mathot, Corinne Van Hauwermeiren.