CIPAR

Retour sur la journée d'étude sur le vitrail

Publié le 31/03/2023

Le « Centre belge Interdiocésain du Patrimoine et des Arts religieux » (CIPAR) a consacré sa 5e Journée d’étude à L’Art du vitrail : observer, comprendre et conserver (Namur, 25 mars 2023). Une citation de Marc Chagall a ouvert cette journée : « Le vitrail est une symphonie, une poésie de couleurs qui transcende les symboles… ». La matinée a été dédiée à l’histoire du vitrail et à sa raison d’être dans les édifices religieux. La seconde partie de la journée a porté sur la conservation préventive de cette structure de verre et de métal particulièrement fragile. Des exemples de restauration et de créations contemporaines en Wallonie ont été présentés par les créateurs.

 

L’Art du vitrail : 5e Journée d’étude du CIPAR  (Namur, 25 mars 2023)

La matinée

Christian PACCO (administrateur du CIPAR) a déployé la thématique de la lumière selon Suger, l’Abbé de Saint-Denis (12e siècle). Le vitrail médiéval n’est pas d’ordre décoratif, mais théologique et spirituel. Pour Suger et le Pseudo-Denys, Dieu est la lumière incréée qui descend sur la terre des hommes et remonte vers le Créateur, le Père des lumières (Jc 1, 17). L’art gothique souligne la verticalité qui pointe vers le ciel. Grâce à la technique de l’arc brisé et des arcs boutants, les architectes ont ouvert de vastes fenêtres capables d’accueillir la lumière colorée des vitraux. La ville de Jérusalem, au temps des Croisades, attire les croyants qui viennent pour visiter le pays du Sauveur et libérer son tombeau. La Sainte Chapelle (Paris) développe de riches programmes iconographiques à travers ses multiples vitraux où s’exprime la dramatique du salut. Faut-il parler à leur sujet d’une « Bible des pauvres » (Grégoire le Grand) ? Bien sûr, les images peuvent être lues par les simples chrétiens, mais ce vaste programme théologique est aussi le fruit d’une intelligence renouvelée du mystère de la foi que l’Université naissante va explorer avec succès, à l’époque de S. Thomas d’Aquin (13e siècle). La Scolastique utilise la logique d’Aristote et aspire à de grandes synthèses, les Sommes théologiques, où la cohésion du mystère du salut soit mise en lumière. On comprend pourquoi la Jérusalem céleste fascine, cette ville précieuse, capable d’accueillir l’humanité entière, qui resplendit de la lumière de l’Agneau et n’a besoin ni du soleil, ni de la lune pour l’éclairer (Ap. 21, 23).

 

Yvette VANDEN BEMDEN (Université de Namur et Comité wallon du vitrail) : Le vitrail ancien : du 12e au 17e siècle. A l’époque romane et gothique, on trouve à la fois des vitraux incolores et d’autres colorés. Ils racontent l’histoire sainte. Le 13e siècle représente l’Arbre de Jessé qui prend son départ dans l’Ancien Testament pour arriver au Nouveau jusqu’à l’Apocalypse. On crée des Rosaces dans les cathédrales. Celle de Chartres montre les prophètes portant sur leur dos les apôtres. Le 14e siècle connaît un temps d’arrêt ; c’est l’époque de bien des malheurs, notamment la Guerre de Cent ans et la Grande peste. Progressivement, la dévotion privée (Devotio moderna) prend la place de la réflexion théologique. C’est l’âge d’or de l’intériorité, de la mystique, de la lecture, de la vie spirituelle et des images de dévotion, dans le cadre familial. Le 16e siècle est le plus riche pour le vitrail, notamment en raison du mécénat des Habsbourg. Les nobles représentent volontiers les scènes religieuses et se font représenter, comme on le voit à Sainte-Waudru (Mons), à Saint-Gommaire (Lierre), à la cathédrale de Bruxelles et à Liège (Saint-Martin, Saint-Jacques, Saint Paul). Toutefois, la Réforme et l’iconoclasme marquent un temps d’arrêt pour la représentation religieuse. Le 17e siècle est une période de transition, suivie par la remise en question de la religion (18e s.). Le vitrail du 19e siècle retrouve aujourd’hui la faveur du public, après avoir été exagérément critiqué.

Isabelle LECOQ (IRPA, Bruxelles) aborde le vitrail dans la riche période des 19e et 20e siècles. Au 19e s. les vitraux s’intègrent dans l’architecture, le mobilier et le décor intérieur. Il faut toutefois attendre 1850 et le dynamisme du baron J.-B. de Béthune pour que renaisse le vitrail de type médiéval, néogothique. Il y a pléthore d’ateliers, mais un seul en Wallonie (Tilf). Progressivement le vitrail devient une production internationale et même européenne. Il faut attendre 1920 pour que la modernité apparaisse dans la construction d’églises de style Art Déco et le nouveau vitrail, par exemple au Carmel de Jambes (Namur) et chez les Cisterciennes de Cordemoy, à Bouillon. Le vitrail non figuratif émerge vers 1958 (vitraux de Londot dans le chœur de l’église romane de Waha). Le Corpus vitrearum, repérage international pour les seuls vitraux anciens, date de 1980. Ensuite, il s’ouvre aux créations des 19e et 20e siècles. Ses objectifs sont multiples : repérage, étude, conservation et valorisation de ce vaste patrimoine. On se référera à l’Inventaire de l’IRPA (Institut Royal du Patrimoine Artistique, Bruxelles). Le travail est urgent, notamment en raison de la désacralisation de nombreuses églises. Claudine LOISEL (ingénieur de recherche au Laboratoire de Recherche des monuments historiques, Champs-sur-Marne, France) aborde la question de la conservation-restauration des vitraux en France, au sein d’équipes pluridisciplinaires, et avec d’autres pays. Il s’agit d’établir l’état sanitaire des pièces étudiées, de les analyser scientifiquement, de s’accorder sur les préconisations et de traiter avec l’Administration.

L’après-midi

Diverses créations de vitraux ont été présentées par leurs auteurs. A commencer par le peintre et maître-verrier Etienne TRIBOLET (Beauraing). Parmi ses nombreuses réalisations, on peut citer la cathédrale anglicane de Bruxelles, diverses collégiales, et tout récemment la grande verrière de l’église Saint-Martin, à Arlon, à l’occasion de son centenaire. Présentée d’abord par la présidente de la fabrique d’église, Gisèle VERTE-NOIRHOMME, cette réalisation montre que la détermination dans ce long parcours a été sans faille. L’artiste a fait l’éloge du doyen d’Arlon, l’abbé Jean-Marie Jadot, aujourd’hui décédé. Le sujet de cette grande verrière est le « Matin de Pâques », c’est-à-dire la Résurrection. Les couleurs du bas du vitrail dans les tons bleus évoquent les turbulences du monde, puis progressivement l’éclaircie apparaît, avec des tons plus chauds. La résurrection fait son œuvre, comme l’évoque E. Tribolet dans un texte d’une grande sensibilité et d’une grande profondeur. Bernard TIRTIAUX, à l’œuvre depuis 1968, est à la fois maître-verrier, sculpteur sur verre, acteur et écrivain… La palette de ses réalisations et l’utilisation de techniques innovantes caractérisent son travail. Il a oeuvré pour des églises et des particuliers, mais aussi pour des communes. On retiendra notamment sa Cathédrale de lumière, ses sculptures contemporaines, ses rosaces de verre, notamment pour l’église Saint-Nicolas-en-Havré (Mons).

Enfin, l’abbé Michel TEHEUX, mécène de la cathédrale Saint-Paul (Liège) depuis une dizaine d’années, a présenté le dossier complexe de cette « aventure ». C’est lui qui a opté pour des vitraux contemporains et a choisi les artistes, non sans concertation avec l’équipe engagée dans ce gigantesque dossier. Il s’agissait d’abord de cinq verrières pour les chapelles de Saint-Lambert et Saint-Joseph. Le projet s’est ensuite élargi à la nef centrale de l’église comptant 14 hautes verrières. Celles de gauche sont l’œuvre du prêtre dominicain, d’origine coréenne, Kim En Joong ; celles de droite sont du maître-verrier Gottfried Honegger (Zürich) dans le style « art conceptuel ». Quant à la porte de laiton de la cathédrale, elle est l’œuvre du sculpteur belge Jacques Dieudonné (France). Quant au vitrail de Léon d’Oultres (16e s.) qui avait été déposé, il a pu été restauré et replacé dans la cathédrale, grâce au même mécène. Celui-ci, dans une capsule vidéo, a évoqué l’aventure des vitraux contemporains de la cathédrale de Liège, qui a impliqué de nombreux acteurs, avec leurs compétences et leurs exigences propres. Outre le commanditaire au grand cœur, il faut saluer le travail du Comité du vitrail de Wallonie, les dialogues avec l’IRPA, avec les chanoines de la cathédrale et l’Administration. La cathédrale Saint-Paul, de style gothique, est en effet un bâtiment classé au titre de « Patrimoine exceptionnel de Wallonie ».

Un temps de questions-réponses a été organisé par les deux présidents de séance, Laurent TEMMERMAN (CIPAR, Brabant wallon) et Yves CHARLIER (CIPAR, Liège). En finale, l’abbé Jean-Pierre LORETTE (CIPAR, Tournai) a fait l’éloge de la vocation du « passeur de lumière » qui veille à transmettre le patrimoine en bon état aux générations futures, du passeur attaché au patrimoine religieux, et du passeur d’Eglise transmettant aux générations futures les témoignages de foi des époques précédentes. Il a fait aussi l’éloge de l’art contemporain et de sa transmission, chaque époque apportant sa pierre à l’édifice.

                                                                                                              André HAQUIN

 

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