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L'Annonciation: les oxymores de saint Bernardin

Publié le 08/02/2019

Ce 25 mars, nous célébrerons l'Annonciation. En voici le commentaire de saint Bernardin.

Prédicateur écouté de la fin du XIIIe siècle, le franciscain Bernardin de Sienne manie avec adresse les figures de style. Son sermon sur l’Annonciation (De Triplici Christi Nativitate) exprime avec génie l’inexprimable mystère d’un Dieu qui s’incarne par amour pour l’homme. Pour Bernardin de Sienne, l’Annonciation est le moment où :

Fra Angelico_l'Annonciation

L’éternité vient dans le temps,
L’immense dans la mesure,
Le créateur dans la créature.
Dieu vient dans l’homme,
La vie dans la mort,
L’incorruptible dans le corruptible,
L’infigurable dans la figure,
L’indicible dans le discours,
L’inexplicable dans la parole,
L’incirconscriptible dans le lieu,
L’invisible dans la vision,
L’inaudible dans le son,
L’impalpable dans le tangible,
Le Seigneur dans l’esclavage,
La source dans la soif,
Le contenant dans le contenu.
L’artisan entre dans son œuvre,
La longueur dans la brièveté,
La largeur dans l’étroitesse,
La hauteur dans la bassesse,
La noblesse dans l’ignominie,
La gloire dans la confusion.

Ces oxymores – figure de style qui associe dans une même phrase deux termes opposés – sont illustrés à merveille par les peintres de la Renaissance qui à ce moment, à Florence, développent la technique de la perspective monofocale centrée.

Le tableau que nous montrons ici est l’œuvre de Fra Angelico (1400-1455). La Vierge est assise dans un portique et reçoit la visite de l’ange. Une colonne sépare les deux personnages, c’est la présence de Dieu. L'Éternel allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur ouvrir la route, la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer (Ex 13, 21).
Sur le côté, le jardin, l’Hortus conclusus, qui évoque le jardin du Cantique des cantiques. L’Hortus conclusus est un jardin de rêve et secret, porteur d’un puissant symbolisme inspiré par la description de l’Épouse, la Bien-aimée du Cantique des Cantiques : Elle est un jardin bien clos, ma sœur, ma fiancée ; un jardin bien clos, une source scellée (Ca 4, 12).
Ce jardin exprime l’essence de la Vierge et résume ses beautés et ses perfections.Le jardin est séparé d’un autre jardin, celui d’Eden, qui rappelle celui d’Eve, la première femme par qui la faute a été commise. Le lien entre les deux jardins signifie que Marie est la nouvelle Eve qui vient pour racheter la faute de la première.

Dans cette œuvre de Fra Angelico, toutes les lignes de fuite convergent vers le centre du tableau. L’espace dans lequel le spectateur lui-même est invité à entrer, est bien clos. Point d’infini dans cette scène, point d’ouverture vers un ailleurs. Dans cet espace fini, le créateur infini vient féconder l’humanité. Cette rencontre impossible constitue en quelque sorte un détonateur dramatique. C’est dans cette petite pièce que va naître un nouveau destin pour Dieu et pour les hommes.
Certains critiques d’art ont vu dans la technique de la perspective monofocale centrée la représentation d’un monde centré sur l’homme, un monde dont l’homme est le centre et la finalité, un monde déthéologisé, selon l’expression d’Erwin Panofsky . Ce serait l’expression aboutie de la pensée humaniste de la Renaissance. Ne faut-il pas plutôt y voir, comme nous le suggère Bernardin de Sienne , l’histoire d’un monde dont l’homme est la mesure et qui est subitement fécondé par un Dieu incommensurable ?

Christian Pacco

Oeuvre: FRA ANGELICO, L'Annonciation, 1430, San Giovanni Valdorno, église Santa Maria delle Grazie.

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