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Pepinster : 18 tapisseries exceptionnelles mises à l’abri

Publié le 11/01/2022

Cinq mois après les inondations, la fabrique Saint-Antoine l’Ermite de Pepinster se lance dans la rénovation de son église. La première étape consiste à mettre à l'abri la collection de tapisseries, œuvres rares et intéressantes à plusieurs égards. Ce travail de conservation préventive s’est déroulé sans encombre toute la journée du mardi 21 décembre 2021. 

Classée au Patrimoine exceptionnel de Wallonie, l’église de Pepinster est un magnifique exemple de style néogothique primaire, construite sur les plans de l'architecte liégeois Clément Léonard à partir de 1893.

Elle a été gravement endommagée par les inondations de juillet. Le CIPAR a été plusieurs fois sur place pour conseiller la fabrique, faire un état des lieux et un rapport sur les dégâts engendrés par le sinistre. Les chaises ont été regroupées dans le chœur, les confessionnaux ont été écartés du mur et légèrement surélevés du sol et l’église a été régulièrement ouverte pour l’aérer.

Aujourd’hui, le sol présente un affaissement très important. Un trou béant d'un mètre cube s'y est même formé. La plupart des carreaux du revêtement de sol sont en train de s’effriter jusqu’à se désagréger entièrement. En séchant, le sol est couvert de salpêtre. La seule possibilité qui s’impose au vu de l’état du sol est de le démonter entièrement tout en essayant, si possible, de conserver les carreaux en bon état et de couler une nouvelle chape isolante. Le président du conseil de Fabrique d’église, Monsieur Jean Detiffe, nous confie qu’« il sera certainement très difficile de retrouver le même dallage ». Il avait été spécialement fabriqué pour l’église de Pepinster par la firme Picha & Cie de Gand en s’inspirant de ce qui se faisait au XIIIe siècle. Toutefois, l’église étant classée, tout sera mis en œuvre par l’auteur de projet, en concertation et avec les conseils et le soutien de l’AWaP, pour faire en sorte que les nouveaux carreaux soient refaits « à l’identique » par une entreprise spécialisée, tant dans leur aspect physique et chromatique que dans leur remise en place, en respectant scrupuleusement le graphisme particulier des dessins abstraits qui font la particularité de ce pavement. A ce titre, l’équipe spécialisée de l’auteur de projet a déjà effectué un relevé scrupuleux de l’ensemble de ce pavement.

Avant les inondations, la fabrique avait déjà prévu de rénover la toiture et l’orgue. Ce planning de travaux a été chamboulé et va être repensé pour entreprendre  une campagne de plus grande envergure englobant le revêtement de sol. Toutefois, la rénovation de la toiture est toujours bien planifiée et la deuxième réunion de patrimoine à ce sujet a été clôturée il y a quelques semaines.

En amont des travaux, il fallait en priorité enlever la série de 18 tapisseries, accrochées depuis 1910 sur le mur gouttereau, afin de les protéger, non seulement de l’humidité ambiante actuelle, mais aussi de la poussière qui risque immanquablement d’arriver lors des futurs travaux de rénovation du sol. Un travail délicat car les tapisseries étaient accrochées à plusieurs mètres de haut. L’entreprise chargée du démontage a dû utiliser une nacelle élévatrice et la déplacer entre chaque tapisserie, ce qui lui a demandé quelques jeux d’adresse sur la partie du sol affaissée. Deux d’entre elles étaient difficiles à enlever car les crochets étaient coincés. La taille importante des œuvres, près de 2,2m de long, n’a pas non plus rendue évidente l’intervention. 

Le lieu de conservation (sec et sain) choisi pour le temps des travaux a été préparé avec un système de barres métalliques auxquelles les tapisseries seront suspendues.

   

Un chemin de croix en tapisserie

Reprises également dans le classement, les tapisseries rectangulaires représentent les 14 stations du chemin de croix. Quatre tapisseries, moins larges et de forme carrée, représentent  les anges tenant des banderoles avec inscriptions ou les instruments de la Passion du Christ. Toutes sont encadrées par un décor de guirlandes végétales de fleurs ou de pampres de vignes et grappes de raisins. 

Ces tapisseries pépines ont une valeur patrimoniale incroyable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est très rare de pouvoir admirer des tapisseries accrochées en permanence depuis plus d’un siècle dans une église. Ce sont des œuvres qui en général étaient exposées pour certaines fêtes liturgiques et cachées le reste de l’année pour assurer leur conservation. 

Ensuite, elles participent à la réelle unité de style néo-gothique de l’église. En effet, toute la décoration intérieure de l’édifice a été envisagée comme un tout d’une haute qualité d'exécution avec des œuvres d'artistes réputés. L’entièreté des voûtes et murs de l’édifice est couverte de peintures et les baies des murs pignons sont colorées de vitraux historiés. En dessous de l’intersection des différentes stations du chemin de croix, un écoinçon peint représentant un instrument de la Passion (croix, clous, tenailles, marteau, couronne d'épines, lance, colonne, roseau, fouet, éponge, échelle, dés à jouer, tunique, coq, soleil, lune, main, lanterne, etc.) fait écho au thème des tapisseries. 

 

De plus, les tapisseries pépines ont une histoire très particulière. Elles ont toutes été réalisées par l’école professionnelle des Sœurs Annonciades d’Heverlee (près de Louvain) entre 1905 et 1910. Ce sont des copies de tapisseries réalisées à Bruxelles au 16e siècle, toutes conçues par le même maître, Jean van Room (dit aussi Jean de Bruxelles) dont les œuvres sont aujourd’hui dispersées dans le monde entier dans des collections privées et publiques. La collection de 18 tapisseries est donc le fruit d’un seul atelier de confection. 

Pour finir, comme le souligne Emmanuel Vanderheyden de l’AWAP, « c’est un chemin de croix quasiment unique » vu qu’il est réalisé en tapisserie et non en peinture ou en terre cuite comme habituellement.

Etat de conservation

La restauratrice de textiles Kathleen Ribbens a inspecté chaque tapisserie une fois au sol (préalablement recouvert de papier bulle pour protéger les œuvres). Elle a pu constater que les œuvres étaient majoritairement en bon état malgré la présence de beaucoup de poussière et de toiles d’araignées à l’arrière. Quelques-unes sont plus abîmées et trouées, victimes de mites. Les insectes se sont généralement placés entre le châssis en bois et la tapisserie pour se tenir au chaud. C’est à cet endroit que les dégâts sont les plus importants. Une bordure de feutre noire a été collée sur certains châssis. Celle-ci a été systématiquement la cible des insectes. Certains clous ont rouillé et ont endommagé de ce fait les fils de la tapisserie aux alentours du point d’accroche. Une seule tapisserie montre de graves problèmes de tensions. Elle est gondolée à cause d’une pièce du châssis disparue.

Il n’a pas encore été décidé quel traitement de conservation conviendrait le mieux mais Kathleen Ribbens pense qu’il sera, en tout cas, nécessaire de les nettoyer avec un aspirateur de musée. Emmanuel Vanderheyden insiste : « C’est un patrimoine tout bonnement exceptionnel et on se doit de le préserver. »

 

Vinciane Groessens

Grand merci à Emmanuel Vanderheyden, expert de l’église de Pepinster, pour toutes ses explications sur place et sa documentation écrite. Nous tenons également à remercier Kathleen Ribbens pour son œil aguerri de restauratrice et son talent pour partager ce qu'elle observe.

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