CIPAR

Regards sur les inondations, la crise et ses conséquences…6 mois après

Publié le 04/03/2022

La réponse en acte du service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège

Sur l’ensemble des 529 églises que compte le Diocèse de Liège, seules 28 d’entre elles ont été victimes des inondations. L’ampleur des dégâts est très variable, selon la hauteur atteinte par l’eau et le type de bien impacté. Alors que Fraipont était noyée sous 2,20 mètres d’eau, l’église Saint-Rémy d’Angleur n’a été inondée « que » d’une quarantaine de centimètres.

Au lendemain des inondations, les situations de première urgence ont été traitées par le CIPAR avec l’aide du service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège et du Bouclier Bleu (Blue Shield Belgium). Vient ensuite la gestion de crise à moyen et à long terme. Afin de satisfaire cette demande, le Diocèse de Liège, et avec lui la Commission Vicariale d’Art sacré, ont souhaité engager une personne à temps plein pour s’occuper du suivi du sinistre, en réponse aux états de faits constatés par le CIPAR[1] et pour prendre le relais de ce dernier sur le terrain. Cette mission m’ayant été confiée en novembre 2021, je propose ici quelques réflexions et constatations, à maintenant 6 mois des faits, ainsi qu’une présentation de la mission menée sur le terrain par le service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège avec, en guise de conclusion, un clin d’œil à celui qui est devenu notre « mascotte » : le saint Sébastien de Fraipont, un nouveau « Moïse sauvé des eaux » !

Car à circonstances exceptionnelles, réponses exceptionnelles. À la seule réserve que les réponses à ces circonstances doivent être rapides et donc, préparées, réfléchies et adaptées au patrimoine rencontré. Si notre pays n’a fort heureusement pas eu la malchance de connaître – de mémoire d’hommes – de tels cataclysmes, le revers de la médaille est qu’il n’a pas eu, non plus, l’occasion de mettre en pratique des plans d’urgence[2] pour sauver au plus vite et au mieux le patrimoine.

  1. Quelques réflexions sur le déroulé de la crise

Il semble opportun de scinder ces constatations en deux périodes : celles issues de la gestion immédiate post-sinistre et celles qui se sont imposées à moyen terme, au fil de l’évolution de la situation.

En ce qui concerne la gestion dans l’urgence de la crise, il apparaît que la situation eut à pâtir notamment de :

  • L’absence de lieu de repli qui aurait permis non seulement de stocker le patrimoine sinistré afin de le mettre à l’abri des convoitises, mais pour permettre aux professionnels du patrimoine d’apporter à ces œuvres un traitement élémentaire de conservation, les premiers gestes de sauvegarde.

L’absence de procédure de sauvegarde. Autrement dit, qui fait quoi et comment. Prenons l’exemple des textiles liturgiques. Devant des tissus couverts de boue, quels sont les premiers gestes à poser ? Qu’est-ce qu’il ne faut surtout pas faire ? Toutes ces questions, les fabriciens se les sont posées, mais il est difficile de trouver une réponse rapide dans l’urgence de la crise alors que les professionnels sont appelés sur tous les fronts. Ce qui a entraîné de graves dommages, parfois irréparables, sur le patrimoine textile. Loin de nous l’idée de blâmer les gestes malencontreux qui ont été posés. Au contraire, ces gestes, même inadaptés, témoignent d’un attachement au patrimoine de nos églises. Ne sauve-t-on pas ce que l’on estime ? En revanche, si une procédure de sauvegarde avait été diffusée et de temps en temps rappelée (à l’image des plans d’évacuation "incendie" pour les personnes), des gestes salvateurs auraient pu être posés et éviter déformations et décolorations irréversibles de certaines pièces liturgiques.

Nous ne récriminons personne, bien au contraire, et nous étions tous bien en peine d’imaginer qu’une telle catastrophe toucherait un jour notre pays. Toutes les forces en présence ont accompli un travail remarquable devant l’ampleur de la catastrophe. Mais sans doute avons-nous avantage à tirer parti dès maintenant de ces quelques manquements. Des groupes de réflexion (notamment au sein de la cellule conservation préventive de l’IRPA) sont d’ailleurs mis en place afin de garantir une meilleure gestion des éventuelles crises à venir.

Une fois l’eau retirée, les premiers gestes de sauvegarde posés, les œuvres mises en sécurité, il faut dresser le bilan du sinistre et réfléchir à moyen et long terme sur l’avenir de ce patrimoine. S’il est certain que la première volonté des fabriciens et des membres du clergé est de rouvrir au plus vite les églises, la réalité est parfois plus complexe. Le mois de juillet qui laissa les bâtiments détrempés a été rapidement suivi des mois plus froids de l’hiver. Ainsi va le cycle des saisons et avec lui, la tentation de chauffer les bâtiments pour accélérer le séchage. Si ce réflexe est légitime, il peut entraîner des dégradations liées à un séchage trop rapide des matériaux. C’est pourquoi nous recommandons de ne pas dépasser les 10 à 12°C afin de garantir une température minimum sans pour autant offrir aux moisissures un terrain propice de développement.  

Ce conseil nous permet dès à présent de réaffirmer le rôle du service des affaires patrimoniales duiocèse de Liège en tant que premier référent disponible pour prodiguer conseils et assistance auprès des fabriciens qui en émettent le souhait, notamment pour émettre un avis sur l’état sanitaire des biens et un estimatif du coût d’un traitement de conservation-restauration.

D’autres constats sur la gestion à moyen terme de cette crise peuvent être cités. Prenons par exemple l’ancienneté des chaudières, endommagées par l’eau, qui doivent être remplacées afin de chauffer l’église pour célébrer la messe, faire revenir les fidèles, faire vivre l’église. Ce remplacement à un coût parfois difficilement supportable pour la trésorerie de certaines fabriques. Cet état de fait se conjugue avec le dédommagement éventuel par les assurances et l’allocation des fonds reversés à d’autres causes que celle du patrimoine. En effet, la loi permet désormais d’utiliser les dédommagements perçus pour un sinistre à d’autres biens que ceux impactés par le sinistre. Cette possibilité associée aux moyens financiers parfois (souvent) restreints des Fabriques d’église laisse présager des situations où le remplacement de la chaudière sera préféré à la conservation-restauration d’œuvres d’art, fussent-elles dans certains cas considérées comme patrimoine historiquement ou artistiquement signifiant. Chaque point de vue est compréhensible, tant celui de la fabrique d’église que celui du conservateur du patrimoine.

Un autre constat de manquement concerne l’inventorisation du patrimoine. Lors des visites effectuées par nos services afin de se rendre compte de l’ampleur des dégâts sur le patrimoine mobilier, nous avons pu constater, plus d’une fois, que certains biens (principalement de l’orfèvrerie) ont été mis en dépôt chez des paroissiens afin de les mettre en sécurité. Et ce fut une sage décision afin d’éviter les vols et autres mystérieuses disparitions alors que les portes des églises sont laissées grandes ouvertes pour permettre le séchage du bâtiment. En revanche, il est plus embêtant de constater que ces dépôts ont été réalisés sans inventorisation du patrimoine déposé.

Si l’inventorisation est certes une tâche demandant patience et méthode et que l’emploi de l’outil informatique n’a pas de quoi réjouir les plus anciens d’entre nous, nous profitons de ces quelques lignes pour rappeler que cet inventaire est une obligation légale. Et nous ne pouvons, encore une fois, que réitérer la disponibilité de nos services en collaboration avec le CIPAR pour aider les personnes qui en émettent le souhait à réaliser l’inventaire du patrimoine mobilier de leur église. En cas de sinistre, il est alors facile d’évaluer rapidement l’ampleur du patrimoine impacté et surtout, en cas de vol ou de disparition, pouvoir fournir la preuve que l’objet appartient bien à l’église qui le réclame. Car en matière de vol de patrimoine mobilier, et en l’absence de preuve de propriété (et bien que ce patrimoine soit inaliénable), il est un adage qui ne se dément pas : « possession vaut titre »…

  1. Notre mission

Les problèmes de « logistique » ne doivent pas faire oublier que la première victime est, selon notre point de vue, le patrimoine. Les brusques variations d’humidité provoquées par une montée rapide des eaux, voire parfois la stagnation de certaines œuvres dans l’eau, ont causé des soulèvements parfois importants au niveau de la polychromie ou des blanchiments des bois laissés au naturel. Les miasmes contenus dans les eaux boueuses conjugués à l’atmosphère confinée humide engendrèrent quant à elles très rapidement l’apparition de moisissures.

En revanche, il est avec les inondations un danger bien plus grand que les inondations elles-mêmes : c’est le temps post-traumatique qui, se conjuguant avec le côté « invisible » de l’eau désormais évacuée, provoque des dommages parfois de nombreux mois après le sinistre. Le temps de réaction des matériaux étant très différents d’une œuvre à l’autre. Mais comment prouver que les soulèvements qui apparaissent sur une sculpture plus de huit mois après un sinistre sont bien la conséquence de celui-ci et non celle d’un manque d’entretien ?

Car oui, il y a bien sûr le manque d’entretien, faute de moyens financiers. Si cette sempiternelle rengaine ne semble pas pouvoir être effacée prochainement du tableau noir du patrimoine, il faut reconnaître que certains édifices, parfois classés, sont aujourd’hui dans un triste état. Certaines églises ont vu, lors des inondations, leurs confessionnaux blanchir au contact de l’eau, leurs maîtres-autels se couvrir de boues et de soulèvements, mais lorsqu’on lève les yeux, il y a aussi les stucs en faux marbre qui se détachent du haut des piliers engagés ou encore les sculptures couvertes de soulèvements qui scandent les colonnes de la nef et pourtant, l’eau n’est pas montée aussi haut…

Face à ce triste constat, notre mission auprès du Diocèse consiste à dresser le diagnostic consécutif au sinistre du patrimoine mobilier, à dresser l’état sanitaire des biens patrimoniaux impactés et à évaluer la nécessité d’un traitement de conservation-restauration ainsi que son degré d’urgence.

L’ensemble des 28 églises sinistrées a été visité. Chacune de nos visites a été documentée, chaque œuvre sinistrée a bénéficié, peu importe l’ampleur des dégâts, d’une fiche d’état sanitaire précisant les opérations qu’il conviendrait de mener pour assurer leur pérennité, accompagnée d’un estimatif financier d’un tel traitement. Chaque fabrique d’église a reçu la synthèse de nos visites sous forme d’un rapport illustré accompagné des fiches d’état sanitaire de chacune des œuvres sinistrées. Ces rapports ont également été transmis par nos services aux assurances afin d’envisager de concert la meilleure manière de répondre à cette situation complexe. Le dossier suit actuellement son cours.

En outre, certaines situations sanitaires critiques ont pu être résolues rapidement grâce à des interventions de conservation menées in situ afin d’endiguer rapidement la propagation des altérations. Ces opérations ont consisté principalement à stabiliser l’état de dégradation par la pose de fixage temporaire des polychromies tout en éliminant les moisissures sur les œuvres qui en montraient la nécessité.  

  1. Un saint devenu « mascotte » : le saint Sébastien de Fraipont

Et en fait de nécessité de traitement, je voudrais terminer par la présentation de celui qui est devenu un peu la mascotte de notre mission auprès du Diocèse : le saint Sébastien de Fraipont. Pourquoi lui me direz-vous ?  Certes, il ne constitue pas une sculpture d’une qualité remarquable ou exceptionnelle. Non, il est tout simplement la première sculpture à bénéficier d’un traitement de conservation complet lui permettant de retrouver une pérennité au sein de son église lorsque celle-ci rouvrira ses portes aux fidèles.

Alors bien sûr, le traitement a dépassé le cadre strict de la conservation puisqu’il a pu bénéficier d’une consolidation du bois, d’un masticage et d’une retouche des lacunes. Mais n’est-ce pas la moindre des choses que l’on pouvait lui offrir, lui qui a baigné dans l’eau et qui était couvert de boue, et où les moisissures s’enchevêtraient parmi les soulèvements ?

Cette sculpture était en piteux état lorsqu’elle a été mise à l’abri dans les réserves du Trésor de la cathédrale de Liège[3]. Couverte de soulèvements et de moisissures, elle présentait également un gonflement des anciens bouchages à la craie et une altération en profondeur de la structure du bras gauche suite à une attaque importante d’insectes xylophages dont le travail acharné a causé des dommages bien avant les inondations. Et c’est là tout le paradoxe de la prise en charge de ce type d’œuvres suite à une inondation ! Il est impossible de nettoyer sans fixer la polychromie, même si certains soulèvements ne sont pas la conséquence du sinistre. Il est tout autant impossible de refixer des bouchages anciens qui ont gonflé avec l’eau, mais qui sont posés sur un bois qui a perdu toute cohésion. Cette perte de cohésion causée par les attaques d’insectes est ancienne, certes, mais conditionne le traitement que l’on prodigue aujourd’hui. Bien sûr qu’un dédommagement du sinistre ne va prendre en compte que ce qui est strictement lié à la cause de dommage. Mais tout professionnel qui hérite de cette situation sur une œuvre se trouve bien en difficulté quand il doit segmenter son travail, car tant que le bois n’est pas sain et de cohésion suffisante, il ne sert à rien de refixer une polychromie. Donc oui, il faut une consolidation du bois même si celle-ci n’est pas imposée par la montée des eaux et ne sera pas prise en compte par les assurances. Mais après tout, la sculpture n’a pas demandé à être inondée…

Voilà pourquoi, nous avons décidé, dans le cadre de notre mission auprès du Diocèse de Liège, d’offrir au saint Sébastien de Fraipont un traitement complet. Rendre un peu de lustre à sa jolie frimousse, faire oublier cette sinistre étape de ces quatre cents ans d’existence, mais aussi faire valoir sa qualité plastique certes un peu malhabile, mais surtout tellement attachante. 

En conclusion, il nous semble important d’insister sur le rôle du service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège, certes un peu discret, mais qui, en collaboration avec le CIPAR demeure néanmoins toujours disponible sur le terrain pour répondre aux questions et aux besoins des fabriques d’église.

Corinne Van Hauwermeiren

Dr. Histoire de l’art

Conservateur-restaurateur o.a.

Service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège.

[1] C’est évidemment sans compter l’aide fournie par les bénévoles, tellement nombreux qu’il n’est pas possible de tous les citer ici. Nous remercierons en particulier les restauratrices de textiles qui ont accompli un travail hors pair pour sauver ce qui pouvait l’être. Les intervenants ont été Chantal Carpentier, Joke Vandermeersch et Kathleen Ribbens.

[2] De tels plans de sauvetage d’urgence existent et ont été mis sur pied par les instances patrimoniales internationales que sont Blue Shield et l’UNESCO

[3] Nous tenons d’ailleurs à remercier une fois encore Monsieur Julien Maquet, Conservateur du Trésor de la Collégiale, pour la mise à disposition de ces locaux.

Sur l’ensemble des 529 églises que compte le Diocèse de Liège, seules 28 d’entre elles ont été victimes des inondations. L’ampleur des dégâts est très variable, selon la hauteur atteinte par l’eau et le type de bien impacté. Alors que Fraipont était noyée sous 2,20 mètres d’eau, l’église Saint-Rémy d’Angleur n’a été inondée « que » d’une quarantaine de centimètres.

Au lendemain des inondations, les situations de première urgence ont été traitées par le CIPAR avec l’aide du service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège et du Bouclier Bleu (Blue Shield Belgium). Vient ensuite la gestion de crise à moyen et à long terme. Afin de satisfaire cette demande, le Diocèse de Liège, et avec lui la Commission Vicariale d’Art sacré, ont souhaité engager une personne à temps plein pour s’occuper du suivi du sinistre, en réponse aux états de faits constatés par le CIPAR[1] et pour prendre le relais de ce dernier sur le terrain. Cette mission m’ayant été confiée en novembre 2021, je propose ici quelques réflexions et constatations, à maintenant 6 mois des faits, ainsi qu’une présentation de la mission menée sur le terrain par le service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège avec, en guise de conclusion, un clin d’œil à celui qui est devenu notre « mascotte » : le saint Sébastien de Fraipont, un nouveau « Moïse sauvé des eaux » !

Car à circonstances exceptionnelles, réponses exceptionnelles. À la seule réserve que les réponses à ces circonstances doivent être rapides et donc, préparées, réfléchies et adaptées au patrimoine rencontré. Si notre pays n’a fort heureusement pas eu la malchance de connaître – de mémoire d’hommes – de tels cataclysmes, le revers de la médaille est qu’il n’a pas eu, non plus, l’occasion de mettre en pratique des plans d’urgence[2] pour sauver au plus vite et au mieux le patrimoine.

  1. Quelques réflexions sur le déroulé de la crise

Il semble opportun de scinder ces constatations en deux périodes : celles issues de la gestion immédiate post-sinistre et celles qui se sont imposées à moyen terme, au fil de l’évolution de la situation.

En ce qui concerne la gestion dans l’urgence de la crise, il apparaît que la situation eut à pâtir notamment de :

  • L’absence de lieu de repli qui aurait permis non seulement de stocker le patrimoine sinistré afin de le mettre à l’abri des convoitises, mais pour permettre aux professionnels du patrimoine d’apporter à ces œuvres un traitement élémentaire de conservation, les premiers gestes de sauvegarde.

L’absence de procédure de sauvegarde. Autrement dit, qui fait quoi et comment. Prenons l’exemple des textiles liturgiques. Devant des tissus couverts de boue, quels sont les premiers gestes à poser ? Qu’est-ce qu’il ne faut surtout pas faire ? Toutes ces questions, les fabriciens se les sont posées, mais il est difficile de trouver une réponse rapide dans l’urgence de la crise alors que les professionnels sont appelés sur tous les fronts. Ce qui a entraîné de graves dommages, parfois irréparables, sur le patrimoine textile. Loin de nous l’idée de blâmer les gestes malencontreux qui ont été posés. Au contraire, ces gestes, même inadaptés, témoignent d’un attachement au patrimoine de nos églises. Ne sauve-t-on pas ce que l’on estime ? En revanche, si une procédure de sauvegarde avait été diffusée et de temps en temps rappelée (à l’image des plans d’évacuation "incendie" pour les personnes), des gestes salvateurs auraient pu être posés et éviter déformations et décolorations irréversibles de certaines pièces liturgiques.

Nous ne récriminons personne, bien au contraire, et nous étions tous bien en peine d’imaginer qu’une telle catastrophe toucherait un jour notre pays. Toutes les forces en présence ont accompli un travail remarquable devant l’ampleur de la catastrophe. Mais sans doute avons-nous avantage à tirer parti dès maintenant de ces quelques manquements. Des groupes de réflexion (notamment au sein de la cellule conservation préventive de l’IRPA) sont d’ailleurs mis en place afin de garantir une meilleure gestion des éventuelles crises à venir.

Une fois l’eau retirée, les premiers gestes de sauvegarde posés, les œuvres mises en sécurité, il faut dresser le bilan du sinistre et réfléchir à moyen et long terme sur l’avenir de ce patrimoine. S’il est certain que la première volonté des fabriciens et des membres du clergé est de rouvrir au plus vite les églises, la réalité est parfois plus complexe. Le mois de juillet qui laissa les bâtiments détrempés a été rapidement suivi des mois plus froids de l’hiver. Ainsi va le cycle des saisons et avec lui, la tentation de chauffer les bâtiments pour accélérer le séchage. Si ce réflexe est légitime, il peut entraîner des dégradations liées à un séchage trop rapide des matériaux. C’est pourquoi nous recommandons de ne pas dépasser les 10 à 12°C afin de garantir une température minimum sans pour autant offrir aux moisissures un terrain propice de développement.  

Ce conseil nous permet dès à présent de réaffirmer le rôle du service des affaires patrimoniales duiocèse de Liège en tant que premier référent disponible pour prodiguer conseils et assistance auprès des fabriciens qui en émettent le souhait, notamment pour émettre un avis sur l’état sanitaire des biens et un estimatif du coût d’un traitement de conservation-restauration.

D’autres constats sur la gestion à moyen terme de cette crise peuvent être cités. Prenons par exemple l’ancienneté des chaudières, endommagées par l’eau, qui doivent être remplacées afin de chauffer l’église pour célébrer la messe, faire revenir les fidèles, faire vivre l’église. Ce remplacement à un coût parfois difficilement supportable pour la trésorerie de certaines fabriques. Cet état de fait se conjugue avec le dédommagement éventuel par les assurances et l’allocation des fonds reversés à d’autres causes que celle du patrimoine. En effet, la loi permet désormais d’utiliser les dédommagements perçus pour un sinistre à d’autres biens que ceux impactés par le sinistre. Cette possibilité associée aux moyens financiers parfois (souvent) restreints des Fabriques d’église laisse présager des situations où le remplacement de la chaudière sera préféré à la conservation-restauration d’œuvres d’art, fussent-elles dans certains cas considérées comme patrimoine historiquement ou artistiquement signifiant. Chaque point de vue est compréhensible, tant celui de la fabrique d’église que celui du conservateur du patrimoine.

Un autre constat de manquement concerne l’inventorisation du patrimoine. Lors des visites effectuées par nos services afin de se rendre compte de l’ampleur des dégâts sur le patrimoine mobilier, nous avons pu constater, plus d’une fois, que certains biens (principalement de l’orfèvrerie) ont été mis en dépôt chez des paroissiens afin de les mettre en sécurité. Et ce fut une sage décision afin d’éviter les vols et autres mystérieuses disparitions alors que les portes des églises sont laissées grandes ouvertes pour permettre le séchage du bâtiment. En revanche, il est plus embêtant de constater que ces dépôts ont été réalisés sans inventorisation du patrimoine déposé.

Si l’inventorisation est certes une tâche demandant patience et méthode et que l’emploi de l’outil informatique n’a pas de quoi réjouir les plus anciens d’entre nous, nous profitons de ces quelques lignes pour rappeler que cet inventaire est une obligation légale. Et nous ne pouvons, encore une fois, que réitérer la disponibilité de nos services en collaboration avec le CIPAR pour aider les personnes qui en émettent le souhait à réaliser l’inventaire du patrimoine mobilier de leur église. En cas de sinistre, il est alors facile d’évaluer rapidement l’ampleur du patrimoine impacté et surtout, en cas de vol ou de disparition, pouvoir fournir la preuve que l’objet appartient bien à l’église qui le réclame. Car en matière de vol de patrimoine mobilier, et en l’absence de preuve de propriété (et bien que ce patrimoine soit inaliénable), il est un adage qui ne se dément pas : « possession vaut titre »…

  1. Notre mission

Les problèmes de « logistique » ne doivent pas faire oublier que la première victime est, selon notre point de vue, le patrimoine. Les brusques variations d’humidité provoquées par une montée rapide des eaux, voire parfois la stagnation de certaines œuvres dans l’eau, ont causé des soulèvements parfois importants au niveau de la polychromie ou des blanchiments des bois laissés au naturel. Les miasmes contenus dans les eaux boueuses conjugués à l’atmosphère confinée humide engendrèrent quant à elles très rapidement l’apparition de moisissures.

En revanche, il est avec les inondations un danger bien plus grand que les inondations elles-mêmes : c’est le temps post-traumatique qui, se conjuguant avec le côté « invisible » de l’eau désormais évacuée, provoque des dommages parfois de nombreux mois après le sinistre. Le temps de réaction des matériaux étant très différents d’une œuvre à l’autre. Mais comment prouver que les soulèvements qui apparaissent sur une sculpture plus de huit mois après un sinistre sont bien la conséquence de celui-ci et non celle d’un manque d’entretien ?

Car oui, il y a bien sûr le manque d’entretien, faute de moyens financiers. Si cette sempiternelle rengaine ne semble pas pouvoir être effacée prochainement du tableau noir du patrimoine, il faut reconnaître que certains édifices, parfois classés, sont aujourd’hui dans un triste état. Certaines églises ont vu, lors des inondations, leurs confessionnaux blanchir au contact de l’eau, leurs maîtres-autels se couvrir de boues et de soulèvements, mais lorsqu’on lève les yeux, il y a aussi les stucs en faux marbre qui se détachent du haut des piliers engagés ou encore les sculptures couvertes de soulèvements qui scandent les colonnes de la nef et pourtant, l’eau n’est pas montée aussi haut…

Face à ce triste constat, notre mission auprès du Diocèse consiste à dresser le diagnostic consécutif au sinistre du patrimoine mobilier, à dresser l’état sanitaire des biens patrimoniaux impactés et à évaluer la nécessité d’un traitement de conservation-restauration ainsi que son degré d’urgence.

L’ensemble des 28 églises sinistrées a été visité. Chacune de nos visites a été documentée, chaque œuvre sinistrée a bénéficié, peu importe l’ampleur des dégâts, d’une fiche d’état sanitaire précisant les opérations qu’il conviendrait de mener pour assurer leur pérennité, accompagnée d’un estimatif financier d’un tel traitement. Chaque fabrique d’église a reçu la synthèse de nos visites sous forme d’un rapport illustré accompagné des fiches d’état sanitaire de chacune des œuvres sinistrées. Ces rapports ont également été transmis par nos services aux assurances afin d’envisager de concert la meilleure manière de répondre à cette situation complexe. Le dossier suit actuellement son cours.

En outre, certaines situations sanitaires critiques ont pu être résolues rapidement grâce à des interventions de conservation menées in situ afin d’endiguer rapidement la propagation des altérations. Ces opérations ont consisté principalement à stabiliser l’état de dégradation par la pose de fixage temporaire des polychromies tout en éliminant les moisissures sur les œuvres qui en montraient la nécessité.  

  1. Un saint devenu « mascotte » : le saint Sébastien de Fraipont

Et en fait de nécessité de traitement, je voudrais terminer par la présentation de celui qui est devenu un peu la mascotte de notre mission auprès du Diocèse : le saint Sébastien de Fraipont. Pourquoi lui me direz-vous ?  Certes, il ne constitue pas une sculpture d’une qualité remarquable ou exceptionnelle. Non, il est tout simplement la première sculpture à bénéficier d’un traitement de conservation complet lui permettant de retrouver une pérennité au sein de son église lorsque celle-ci rouvrira ses portes aux fidèles.

Alors bien sûr, le traitement a dépassé le cadre strict de la conservation puisqu’il a pu bénéficier d’une consolidation du bois, d’un masticage et d’une retouche des lacunes. Mais n’est-ce pas la moindre des choses que l’on pouvait lui offrir, lui qui a baigné dans l’eau et qui était couvert de boue, et où les moisissures s’enchevêtraient parmi les soulèvements ?

Cette sculpture était en piteux état lorsqu’elle a été mise à l’abri dans les réserves du Trésor de la cathédrale de Liège[3]. Couverte de soulèvements et de moisissures, elle présentait également un gonflement des anciens bouchages à la craie et une altération en profondeur de la structure du bras gauche suite à une attaque importante d’insectes xylophages dont le travail acharné a causé des dommages bien avant les inondations. Et c’est là tout le paradoxe de la prise en charge de ce type d’œuvres suite à une inondation ! Il est impossible de nettoyer sans fixer la polychromie, même si certains soulèvements ne sont pas la conséquence du sinistre. Il est tout autant impossible de refixer des bouchages anciens qui ont gonflé avec l’eau, mais qui sont posés sur un bois qui a perdu toute cohésion. Cette perte de cohésion causée par les attaques d’insectes est ancienne, certes, mais conditionne le traitement que l’on prodigue aujourd’hui. Bien sûr qu’un dédommagement du sinistre ne va prendre en compte que ce qui est strictement lié à la cause de dommage. Mais tout professionnel qui hérite de cette situation sur une œuvre se trouve bien en difficulté quand il doit segmenter son travail, car tant que le bois n’est pas sain et de cohésion suffisante, il ne sert à rien de refixer une polychromie. Donc oui, il faut une consolidation du bois même si celle-ci n’est pas imposée par la montée des eaux et ne sera pas prise en compte par les assurances. Mais après tout, la sculpture n’a pas demandé à être inondée…

Voilà pourquoi, nous avons décidé, dans le cadre de notre mission auprès du Diocèse de Liège, d’offrir au saint Sébastien de Fraipont un traitement complet. Rendre un peu de lustre à sa jolie frimousse, faire oublier cette sinistre étape de ces quatre cents ans d’existence, mais aussi faire valoir sa qualité plastique certes un peu malhabile, mais surtout tellement attachante. 

En conclusion, il nous semble important d’insister sur le rôle du service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège, certes un peu discret, mais qui, en collaboration avec le CIPAR demeure néanmoins toujours disponible sur le terrain pour répondre aux questions et aux besoins des fabriques d’église.

Corinne Van Hauwermeiren

Dr. Histoire de l’art

Conservateur-restaurateur o.a.

Service des affaires patrimoniales du Diocèse de Liège.

[1] C’est évidemment sans compter l’aide fournie par les bénévoles, tellement nombreux qu’il n’est pas possible de tous les citer ici. Nous remercierons en particulier les restauratrices de textiles qui ont accompli un travail hors pair pour sauver ce qui pouvait l’être. Les intervenants ont été Chantal Carpentier, Joke Vandermeersch et Kathleen Ribbens.

[2] De tels plans de sauvetage d’urgence existent et ont été mis sur pied par les instances patrimoniales internationales que sont Blue Shield et l’UNESCO

[3] Nous tenons d’ailleurs à remercier une fois encore Monsieur Julien Maquet, Conservateur du Trésor de la Collégiale, pour la mise à disposition de ces locaux.

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