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Essai typologique et symbolique des personnages de crèche toscans

Publié le 01/12/2022

Le nombre restreint de personnages et le peu de variété d’une église à l’autre a de quoi interpeler alors que le thème est particulièrement prisé des fidèles et que les crèches sont présentes dans tous les sanctuaires.1 Françoise Lautman2, chercheuse au CNRS, avait souligné un style indéterminé proche des images de dévotion de ces figures de crèches. Elle arguait de leur diffusion à grande échelle dans toute l’Europe, mais aussi dans les colonies, pour évoquer un caractère universaliste.3

En réalité, les styles orientaux ou régionaux ont suivi les modes et les goûts du clergé. Cet art, sous l’influence du romantisme, puise sa source dans la sculpture médiévale, époque à laquelle l’église était la plus influente. Plus que les témoins d’une vogue passagère, ces statues affichent des attitudes codifiées et une catéchèse surprenante dont le sens est aujourd’hui devenu pour la plupart d’entre-nous indéchiffrable. La symbolique est aussi en référence constante aux textes de l’ancien Testament qui corroborent l’authenticité des récits évangéliques de Luc et de Matthieu. Le présent chapitre a pour but de réhabiliter ces figurines longtemps méprisées après le dernier concile et de fournir au spectateur des clefs pour mieux en comprendre la signification initiale.

A ce titre, une des modèles de crèche parmi les plus représentatifs est celle que je désigne comme le modèle toscan en 65 cm, importé par les mouleurs de cette région ; il figure en bonne place au musée de Correglia-Antelminelli.

La série est largement diffusée sur notre territoire, moins répandue en France sauf peut-être dans le nord. Il est à noter que ces séries se limitent aux acteurs évangéliques, pas de personnages plus anecdotiques ou porteurs de présents comme on peut en trouver en Italie. La Vierge mise à part, on ne rencontre pas non plus de figures féminines.

La sainte Famille indépendamment de l’image heureuse de la Nativité véhicule plusieurs notions importantes.

Ainsi, la signification étymologique du nom Bethléem, la maison du pain n’a pas manqué d’attirer l’attention de Pères de l’Eglise tels Grégoire de Nysse4 comparant les chrétiens aux animaux se rendant à la crèche pour se nourrir ou Jean Chrysostome5 qui en a souligné l’analogie avec la table du sacrifice. Thomas de Celano dans la relation de la nuit de Greccio y fait encore allusion.6 Ce concept a connu un succès remarquable, peut-être grâce à l’influence des mystères (pièces de théâtres jouées par les clercs sur les parvis des églises) dans l’art français du XIIe siècle. Dans les statues de grande taille, le spectateur remarquera que les socles de Marie, de Joseph et la mangeoire de l’Enfant symbolisent le sol de Bethléem représenté par des épis de blé et non de la simple paille.

D’autre part, l’idée de l’eucharistie paraît indissociable de celle de la Passion et de la mort. Le texte de Luc fait référence aux langes qui, dans l’art de l’icône et la tradition byzantine, sont assimilés aux bandelettes et au suaire de la toilette mortuaire. La grotte de la nativité a la même valeur symbolique que le tombeau creusé dans le roc. Dans l’icône orthodoxe comme dans l’art médiéval, le nouveau-né surgit de l’ombre de la mort. Les limbes ne sont jamais loin représentés par un trou béant dans les nativités des primitifs flamands.

Gravure anversoise de Cornelis GALLE le jeune (1615-1678) représentant l’Enfant Jésus avec les instruments de la Passion. La cité portuaire va rester jusque la fin de l’Ancien Régime un des principaux diffuseurs de l’imagerie religieuse envoyée aussi dans les terres de mission.
Gravure anversoise de Cornelis GALLE le jeune (1615-1678) représentant l’Enfant Jésus avec les instruments de la Passion. La cité portuaire va rester jusque la fin de l’Ancien Régime un des principaux diffuseurs de l’imagerie religieuse envoyée aussi dans les terres de mission.

Dès le Moyen-Âge, l’art religieux faisait discrètement référence au sacrifice de la croix en faisant tenir à l’Enfant-Jésus une grappe de raisin pressé. L’art de la Contre-Réforme apportera des allusions plus transparentes et significatives allant jusqu’à le représenter endormi sur la croix et rêvant de sa Passion. Les images de dévotion et autres canivets largement diffusés au cours du XIXe siècle en montrent toujours de nombreux exemples.

A droite, Enfant jésus endormi sur la croix, plâtre argenté, XIXe siècle. Ce modèle est très proche de l’imagerie sulpicienne.
Enfant jésus endormi sur la croix, plâtre argenté, XIXe siècle. Ce modèle est très proche de l’imagerie sulpicienne.

L’Enfant Jésus traditionnel qui figure dans les crèches d’origine toscane est un enfant de deux ou trois ans voluptueux et potelé généralement présenté dans une taille disproportionnée par rapport aux autres personnages pour créer une perspective morale.  Son apparence qui n’est pas celle d’un nouveau-né élude l’accouchement :

« Engendré non pas créé, consubstantiel au Père » comme l’affirme dès 325 le symbole de Nicée-Constantinople. Ses pieds se chevauchent et ses bras sont grands ouverts. Certains ont cru y voir un geste d’accueil ; cette attitude irréaliste fait davantage allusion au crucifié. Vêtu de blanc, en référence à l’hostie, il porte le colobium, tunique longue d’origine byzantine. Cette iconographie trouve peut-être son parangon dans le Volto santo vénéré dans la cathédrale de Lucques depuis le XVe siècle. Christ en croix habillé vainqueur de la mort se tenant la tête droite. Son culte fut propagé au Moyen-Âge en Europe du Nord par les marchands lucquois. Le vieux Bon-Dieu conservé près de Banneux à Tancrémont lui est antérieur de plusieurs siècles, il constitue un des plus beaux exemples du genre.

La mangeoire en plâtre forme une sorte de mandorle dont les épis rappellent un autre passage des Révélations de sainte Brigitte dans lequel l’Enfant est comme rayonnanttandis que dans les petites tailles sont souvent figurés bluets et coquelicots que l’on trouve au milieu des champs de blés. Dans les représentations d’origine allemandes, les langes rappellent davantage le périzonium du crucifié ou le suaire de la mise au tombeau lorsque l’Enfant est couvert jusqu’au nombril.

La Vierge agenouillée en prière Vers 1370, au soir de sa vie, sainte Brigitte de Suède (1300-1373) va effectuer un pèlerinage en Terre-Sainte, elle rapporte que la Vierge lui apparut et lui rapporta de manière très précise la manière dont elle avait accouché : Au moment d’enfanter, elle retira ses sandales, son manteau et son voile laissant tomber ses cheveux d’or sur ses épaules. Alors qu’elle priait les mains levées, l’Enfant naquit environné d’une vive lumière. La Vierge inclinant la tête, joignit les mains et adora son fils à même le sol avec un profond respect.7 Cette attitude des fidèles en prière (implectio manuum) trouve son origine dans le cérémonial du serment féodo-vassalique. C’est la manifestation d’allégeance du vassal face à son suzerain lors de la remise du fief. Marie adore son fils, son seigneur et son Dieu. La gestuelle s’est étendue par la suite aux fidèles en prière devant le Créateur.

Une autre attitude est celle de la co-rédemptrice avec les mains croisées sur la poitrine. On retrouve cette gestuelle dans une Nativité du peintre de la renaissance italienne Lorenzo Lotto8.

Le modèle iconographique de la Vierge en adoration va désormais prévaloir en Occident reléguant celui de la Vierge couchée réprouvé par Molanus dans son Traité des Saintes images9. Le thème primitif de l’accouchement va devenir une conception virginale et se transformer en adoration. Marie, assimilée à une reine est vêtue d’un manteau brodé d’or. Elle porte le voile symbole de la consécration. C’était l’usage pour les femmes jusque Vatican II d’entrer dans les églises la tête couverte. Ce voile fait écho à la première Épître de Paul aux Corinthiens : Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c’est exactement comme si elle était tondue ; si donc une femme ne met pas de voile, alors qu’elle se coupe les cheveux ! Or s’il est honteux pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou tondus, qu’elle se voile.10 Concernant les pièces originaires d’Allemagne, on notera que la Vierge est souvent représentée sans voile selon le texte de sainte Brigitte. Elle conserve, par contre, son manteau et ses pieds sont chaussés ou recouverts. Sur certains modèles toscans, une partie du pied nu est visible.

Les couleurs ont aussi varié suivant les ateliers. Le manteau est généralement bleu, souvent bordé d’or.  La robe était autrefois rouge signe de l’amour divin. Brigitte de Suède parle d’une tunique transparente impossible à représenter. Le XIXe siècle, suite aux apparitions de Paris à Catherine Labouré et de Lourdes, lui préférera le bleu et le blanc. Ce dernier devient parfois un jaune pâle ou un ton crème. Ces couleurs expriment le détachement des valeurs de ce monde et l’envoi de l’âme libérée vers Dieu. On la retrouve aussi en rose ou dans des tons pastel qui, sans signification précise, ont parfois contribué à la réputation de mièvrerie assortie à ce type de production.

Saint Joseph en adoration

Troisième grand protagoniste de la Nativité, dont le culte ne se développe véritablement qu’au XVIIe siècle, Joseph fait le pendant à la Vierge. Les Évangiles canoniques nous apprennent peu de choses à son sujet. Ce sont encore les apocryphes, notamment le Protévangile de Jacques et l’Histoire de Joseph le Charpentier qui se chargent de combler les lacunes. Son iconographie dans ce type de crèche laisse peu de place à l’anecdote à laquelle nous avaient habitués les mystères médiévaux, mais elle véhicule divers symboles qui puisent, pour la plupart, leurs sources dans l’ancien Testament, corroborant l’authenticité des prophéties ou établissant des concordances entre les récits de l’ancienne et de la nouvelle alliance.

Père nourricier de Jésus, il est généralement représenté un genou en terre, tantôt âgé, chauve et chenu, sous l’influence de l’art médiéval et l’Histoire apocryphe de Joseph le Charpentier, tantôt comme un homme d’âge mûr sous celle de la Contre-Réforme.10 Ses pieds sont toujours nus, ils rappellent l’épisode de Moïse devant le buisson ardent :  …retire tes sandales car le lieu où tu te tiens est une terre sainte.11 A l’instar du buisson qui brûle sans se consumer,  la virginité de Marie n’a pas été corrompue par sa maternité.

Le caractère sacré du sol en rapport avec le nom même de Bethléem est parfois accentué par une pierre présente sous le pied de Joseph. Suivant une ancienne tradition, le Beith-el, la demeure de Dieu, pierre dressée de Jacob, est devenue Bethleem, la maison du pain. Le bétyle est associé à la pierre de l’autel et la présence symbolique de Dieu se meut en présence substantielle et en nourriture spirituelle.

Un autre attribut important sur de nombreux modèles est le bâton qu’il tient dans une main ou dans l’autre suivant les tailles. Il est selon les ateliers représenté en bois ou en métal. Dans les petites tailles, lorsqu’il fait corps avec le personnage, le bâton est terminé par un lys. Cette anecdote de la baguette fleurie empruntée aux apocryphes fait référence au choix miraculeux de Joseph parmi les divers prétendants à la main de Marie. Elle est à mettre en parallèle avec l’épisode de la désignation d’Aaron comme grand prêtre dans le Pentateuque12. Le bâton de Joseph, relique insigne en l’absence de reliques corporelles, était conservé dans l’église des Camaldules de Florence14. On comprend dès lors la prépondérance de ce modèle iconographique dans l’art italien et toscan ! D’autres interprétations laissent souvent Joseph une main posée sur la poitrine, comme le fidèle qui   s’apprête à recevoir l’hostie.  On peut l’interpréter comme un signe d’acceptation de son rôle de père nourricier. L’art allemand fidèle à la version de sainte Brigitte lui fait tenir une chandelle, une lanterne ou un lumignon. Enfin, un trait qui n’est pas une constante : ses reins sont ceints d’une large ceinture, allusion à sa chasteté et à son union virginale avec Marie.

Les couleurs qui lui sont le plus souvent associées sont le brun et le violet. Symbole du sol terrestre, le brun est aussi un symbole d’humilité et de pauvreté. C’est pourquoi il est adopté par certains ordres monastiques. Quant au bleu mauve ou au violet, il rappelle la mort non comme une fin en soi, mais en tant que passage. On peut aussi interpréter la pourpre comme une couleur qui rappelle sa descendance royale. La robe est parfois simplement de couleur crème pour faire pendant à Marie.

L’âne et le bœuf

L’âne et le bœuf prennent presque toujours part au décor familier de la crèche. Pourtant, à y regarder de plus près, le texte de Luc pas plus que celui de Matthieu n’en font mention. Une fois encore, c’est un évangile apocryphe, celui du Pseudo-Matthieu, qui les introduit dans l’histoire de Noël.15 Les théologiens se basent sur un passage d’Isaïe 1, 3 pour justifier leur présence :  Le bœuf connaît son propriétaire et l’âne la crèche de son maître.  On a parfois rapproché ces versets avec un passage mal compris d’Habacuc dans la version des Septante : tu apparaîtras entre deux animaux que la Vulgate de Saint Jérôme traduit avec plus de discernement par tu apparaîtras au milieu des années .16  D’un point de vue symbolique ces animaux étaient très importants dans la culture juive antique. L’âne est cité 106 fois dans la Bible et le bœuf 141 fois.

Le premier, animal non ruminant, était considéré comme impur ; par opposition au second, animal de trait dont la chair pouvait être consommée et qui était même préconisé lors du sacrifice rituel.17 L’exégèse patristique a reconnu dans le bœuf maintenu sous le joug l’allégorie du peuple élu et dans l’âne les gentils, non-juifs pliés sous le poids de l’idolâtrie. Ces deux animaux s’opposent donc en tendances maléfiques et bénéfiques. C’est pourquoi, dans les figurines de plâtre lorsque les pièces font partie d’un même ensemble, le bœuf est idéalement situé à côté de la Vierge et l’âne du côté de Joseph, né avec le péché originel.

Ces bêtes de somme ne pouvaient pas non plus être associés pour les travaux des champs18. Le Christ réunit l’inconciliable autour de sa crèche. Il associe Juifs et nations païennes. Cette dichotomie va se retrouver au travers des groupes des bergers et des mages. Ces animaux sont représentés la plupart du temps couchés et dans des proportions réduites puisque leur présence n’est pas mentionnée dans les Évangiles canoniques.

Le bœuf et l’âne de Togneri en 85 cm.  La tête de l’âne est généralement couverte du bridon ; signe de la bête de somme ou allégorie du mal maîtrisé ? L’âne est toujours plus imposant que le bœuf. L’arrière de ces animaux est plat ce qui permet de gagner de la place sur la profondeur de l’étable. Dans les tailles inférieures, les corps sont complets.

Les anges 

Dans les cas beaucoup moins fréquents où les anges sont présents autour du berceau, ils forment avec les personnages cités précédemment ce que les créchistes désignent sous le nom de « Mystère ». Messagers divins, purs esprits, ils sont représentés sous la forme humaine, mais caractérisés par les nimbes, les pieds nus et les ailes. Ils sont mentionnés à plusieurs reprises dans l’Evangile de Luc. Leur présence s’est répandue après le Concile de Trente comme gardiens perpétuels des tabernacles installés désormais sur les autels. Le Concile insiste également à l’encontre du culte protestant sur la transsubstantiation et la présence réelle du Christ dans l’hostie. Les armoires eucharistiques et autres théothèques sont progressivement abandonnées. C’est également à cette époque que l’on voit se développer le culte de l’Ange gardien dans la plupart de nos églises.

L’archange Gabriel est représenté en vol portant le phylactère du récit de Luc (II, 14) « Gloria in Excelsis Deo », Gloire à Dieu au plus haut des cieux, parfois simplement « Gloria ».

Les anges adorateurs

Représentés agenouillés en adoration, ce sont, en réalité, des anges identiques à ceux que l’on pouvait trouver naguère près des autels. Ils adorent soit Dieu, soit l’eucharistie. Leur attitude est l’exact pendant de Marie et Joseph : un est agenouillé et a les mains jointes, l’autre un seul genou en terre et les mains croisées sur la poitrine en signe d’humilité. Initialement, ils adoraient Dieu ou le Saint-Sacrement de face. C'est le XVIIIe siècle seulement qui a eu l'idée saugrenue de leur faire baisser les yeux, témoin cette hymne des vêpres du bréviaire parisien de 1736 :

« Nubuntque vultus angeli. » — (…) se couvrent de leurs ailes et se voilent la face.

Molanus, dans son Traité des saintes Images conseille de les représenter jeunes, éblouissants, vêtus de blanc, les pieds nus, le torse et les reins ceints, parés de pierres précieuses, soutenus par deux ailes entourées de nuées,19 Le plus beau modèle iconographique du genre était l’Adoration des anges peinte par G. van Honthorst dit delle Notti. Ce tableau conservé aux Offices de Florence fut détruit lors d’un attentat à la bombe dans la nuit du 26 au 27 mai 1993.

Il existe également une paire d’anges enfantins réservés aux petites tailles jusque 40 cm environ. Leurs pieds ne reposent plus sur une nuée.  Ils étaient utilisés dans les crèches, mais on en rencontrait fréquemment autrefois dans les cimetières sur les tombes d’enfants morts en bas-âge.  C’était une de leurs missions comme le rappelle le rituel romain de l’office de la Toussaint : « (…) Dieu, dans la miséricorde de qui reposent les âmes des fidèles, daignez bénir ce tombeau et déléguez votre saint ange pour son gardien. »

Dans la crèche de certaines familles, ils personnalisaient autrefois un enfant. La figurine était disposée à proximité de la Nativité si son propriétaire avait été exceptionnellement sage. Cette pratique se faisait aussi avec un agneau.

Paire d’anges adorateurs d’inspiration néo-gothique de 60 cm provenant de la Hesbaye liégeoise. Ils étaient badigeonnés de blanc et sont en cours de restauration. Agenouillés sur une nuée, ils portent un diadème étoilé, symbole de gloire, ce qui les prédestinerait à figurer à la crèche
Paire d’anges adorateurs d’inspiration néo-gothique de 60 cm provenant de la Hesbaye liégeoise. Ils étaient badigeonnés de blanc et sont en cours de restauration. Agenouillés sur une nuée, ils portent un diadème étoilé, symbole de gloire, ce qui les prédestinerait à figurer à la crèche

Pour compléter le tableau, on trouve, en bon dernier et non des moindres, un ange qui est peut-être celui qui connaissait le plus de succès auprès du jeune public, il s’agit de l’ange quêteur agenouillé généralement sur un cousin, il remercie en balançant la tête quand on dépose une pièce dans le tronc.

Autrefois, l’argent récolté était destiné aux enfants de chœur ou aux personnes qui avaient monté la crèche. Victimes de saccages pour dérober l’aumône, ces troncs anciens très fragiles ont disparu presque complètement. Un autre modèle avec un petit Africain collectait pour les missions. Parfois, les anges étaient remplacés par un acolyte.

Anges enfantins, hauteur 26 cm. Au centre : ange Gloria du catalogue de la maison Raffl, Paris, début du XXe siècle, Ange quêteur, 32 cm qui ressemble à un modèle encore diffusé il y a peu par l’atelier Pieraccini-Bacci à Tours. 

Paire d’anges d’autel de l’atelier Togneri, début XXe siècle, hauteur 68 cm.

Le groupe des bergers

Provenant du récit de Luc, les bergers par souci d’équilibre de la composition sont représentés, comme les mages, au nombre de trois. Comme eux, ils figurent les trois âges de la vie, ils représentent le peuple juif. La symbolique va beaucoup plus loin ; elle s’étend à l’Ancien Testament qui la caractérise.

Indépendamment d’une représentation bucolique, les bergers, selon une pratique courante à l’époque médiévale, vont aussi représenter les prophètes. Leur présence corrobore les récits de la Bible hébraïque et démontrent leur accomplissement.

Le plus jeune, sous les traits d’un adolescent imberbe, représente le futur roi David. Il porte à sa ceinture la corne de l’onction utilisée par Samuel pour le sacrer roi d’Israël20.  Ancêtre direct du Christ, il rappelle la généalogie décrite au début de l’Evangile de Matthieu. De son index dirigé vers le bas, il indique la descendance. Il apporte un agneau.  Les textes affirment que l’adolescent était beau avec les cheveux blonds ou roux selon les traductions.

Le plus âgé des trois est représenté en prière. Il s’agit d’Isaïe qui occupe la place la plus importante parmi les quatre grands prophètes. Pilier de la doctrine chrétienne, son nom est mentionné 85 fois dans le Nouveau Testament. En réalité, le nom d’Isaïe désigne deux personnages différents qui ont vécu à des siècles d’intervalle. Sa popularité, particulièrement dans l’art du Moyen-Âge, est due à ses prédictions sur l’Annonciation et la Nativité du Christ.

Le passage, 7,14 : « une Vierge deviendra enceinte, elle enfantera un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. »

Le 9,5 : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné. » en fait le héraut de la Nativité.

L’attitude de méditation fait référence à la prière d’Isaïe (45,6) dans laquelle Dieu lui apparaît et rappelle qu’il a ceint Cyrus de force afin que l’on sache du soleil levant au soleil couchant qu’il n’y a pas d’autre Dieu que lui. C’est moi qui produis la lumière et crée les ténèbres. Elle est renforcée par un autre passage, 26, 9 « Mon âme t’a désiré pendant la nuit : au matin l’esprit qui est en moi te cherche. » Il faut encore se souvenir que, dans l’ancienne liturgie, le récit de l’adoration des bergers constituait l’Evangile de la messe de l’aurore.

Le chapitre 11,1 : « Un rameau sortira de la Racine de Jessé et une fleur s’épanouira au sommet… » complète la généalogie de la Vierge et du Christ.

Ces notions étant difficiles à traduire dans le plâtre, il est représenté de manière beaucoup plus subtile. Sous les traits d’un vieillard, la bouche bée il rappelle un autre épisode dans lequel un séraphin lui purifie les lèvres avec un charbon ardent : 6. 5-7 : « Malheur à moi, je suis perdu car j’ai les lèvres souillées et mes yeux ont vu l’Eternel ». Mais un des séraphins prit sur l’autel, avec des pincettes, un charbon ardent et lui toucha les lèvres.  Les doigts croisés à la place des mains jointes évoquent un geste de supplication.   

Le troisième pâtre est un homme d’âge mûr aux traits émaciés, barbu et hirsute. Il rappelle Jean le Baptiste le dernier des grands prophètes à annoncer la venue du Messie. Ascète représenté debout et pieds nus, il apporte un agneau symbolisant l’Agneau de Dieu. Il est vêtu de peau, allusion à la mélotte, vêtement fait de poil de chameau et non d’une peau de chameau 20. Tel que décrit dans les évangiles de Marc et Matthieu21, il porte une ceinture de cuir autour des reins.

On constate souvent la présence d’un berger musicien qui ne devait pas figurer dans la série initiale. Il s’agit d’un joueur de zampogna, sorte de cornemuse très populaire en Italie durant la période de Noël. Rien d’étonnant à le rencontrer avec un type d’instrument déjà connu à l’époque de Jésus. Sa présence repose sur un jeu de mots sur l’évangile grec de Luc. Les bergers qui étaient aux champs αγραυλούντες, auraient pu être confondus sous la plume de certains commentateurs avec le terme αυλούντες qui jouent de la flûte22. Ce berger était distribué au début du XXe siècle par plusieurs ateliers dans un ensemble en 85 cm.

      

Isaïe en médiation, le berger musicien proviennent de l’atelier Togneri, Liège, vers 1910 et Jean-Baptiste au centre probablement issu de l’atelier Casci de Namur (Salzinnes), il est légèrement postérieur.  

Les rois mages

Derniers adorateurs de l’Enfant à prendre place dans le décor décrits comme des mages venant d’Orient dans l’Évangile de Matthieu, donc de la droite, On les disposait à l’origine dans la partie droite de la crèche les têtes et les regards sont souvent orientés en ce sens.  Le terme mage avait une connotation plutôt négative dans l’ancien Testament. Dans le récit évangélique, ces voyageurs apparaissent comme des personnages sages et pieux faisant partie d’une caste sacerdotale d’astronomes répandue en Perse et en Médie. Astrologie et astronomie formaient une discipline unique dans l’antiquité. À l’époque paléochrétienne, ces mages symbolisent la manifestation aux Gentils, les peuples non juifs.

Ce sont les personnages sur lesquels l’exégèse patristique a le plus conjecturé. Ils sont, sous leur forme actuelle, le fruit d’une lente maturation. Dès le IVe siècle, leur nombre est limité à trois en corrélation avec les présents cités dans l’Évangile de Matthieu, ils sont douze dans les légendes syriaques et la tradition orientale23. Au siècle suivant, la tradition leur attribue un âge différent. Tertullien au IIe siècle leur attribue un rang social élevé et les qualifie de « fere reges », presque rois. Césaire d’Arles (~470-542) franchit le pas et leur confère la dignité royale. L’iconographie mettra du temps à s’imposer. Il faudra attendre le IXe siècle pour les voir affublés de couronnes et d’attributs royaux, ils symboliseront à l’apogée de la féodalité l’allégeance des rois.  L’exégèse s’appuie sur la prophétie d’Isaïe (60,3) : « Les nations marcheront à ta lumière et les rois à ta clarté naissante. » et sur l’interprétation du Psaume 72, 10-11 qui s’applique en réalité à Salomon, mais qui peut spirituellement concerner le Christ : « Les rois de Tharsis et des îles lui payeront le tribut, les rois de Séba et de Saba offriront des présents, toutes les nations se prosterneront devant lui. »

Les trois mages en 60 cm. Au moment de la rédaction de ce chapitre, ce groupe était encore en cours de restauration.

Un manuscrit conservé à Paris 24 et le Liber Pontificalis de Ravenne    vont leur donner des noms qui seront popularisés sous la forme de Gaspar, Melchior et Balthazar 25 La tradition varie d’un pays à l’autre ce qui entraine des discussions parfois passionnées entre les créchistes.

Une dernière évolution notoire interviendra encore en attribuant à chacun d’eux une race différente. Ils appartiendront ainsi aux trois continents connus et seront censés descendre des fils de Noé, Sem le Sémite, Japhet l’Européen et Cham l’Africain.  Un texte erronément attribué à Bède le Vénérable décrit Balthasar(sic) par l’adjectif fuscus , basané…Il semble en réalité que cette tradition ait une origine allemande. Sainte Élisabeth de Schönau, moniale bénédictine et visionnaire rhénane décédée en 1164, décrit Balthazar comme un noir dans une prière26.

Dans les effigies de plâtre, ils portent tous trois les attributs royaux : couronne et manteau de cour doublé d’hermine, représentent les trois races et les trois âges de la vie. Par souci de symétrie avec le groupe des bergers un seul mage, celui d’âge mûr, est debout ; les deux autres sont agenouillés rappelant le texte de Matthieu 2, 11 : « (…) se prosternant, ils lui rendirent hommage. » Le roi dressé apporte l’or, symbole de la royauté. Dans d’autres types de crèche, le coffret est souvent l’attribut du vieillard agenouillé.

Le plus âgé avec une longue barbe est enturbanné et évoque l’Orient et la péninsule arabique. À l’automne de sa vie, il apporte la cassolette de myrrhe, gomme aromatique du balsamier, rappel du caractère mortel de l’homme. Sa valeur était plusieurs fois supérieure à celle de l’or dans l’Antiquité.

Le troisième symbolise la jeunesse et la race africaine. Il offre l’encens symbole de la divinité résine précieuse extraite du boswellia, arbre surtout répandu en Afrique. L’encens est réservé à Dieu. Dans les versions de plus grande taille, la navette est représentée avec l’encensoir.

Bien que l’on considère souvent l’œuvre des figuristes comme un travail populaire, on peut conclure que ce groupe précurseur qui en a souvent inspiré d’autres notamment dans la statuaire française est le fruit d’une longue réflexion entre les artisans et les autorités religieuses. Il revêt des notions théologiques nombreuses et un catéchisme très riche. Puisse cet article en faire redécouvrir le sens profond et peut-être apporter un autre regard.

Michel Vincent


Notes

1 Pour plus de renseignements sur les figuristes en général, cf. l’article précédent réédition augmentée d’un  tiré-à-part en collaboration avec le Musée d’Art religieux et d’Art mosan et l’Associazione Toscani in Liegi , Liège 2000 ; pour l’Allemagne cf. LINGENS Peter, Gipsgiesser und Polychromeure in Kevelaer, Pro arte, Kevelaer 2004 ; pour la France cf. DOUCET Jean, Crèches du monde entier, Mystères et traditions de la Nativité, Éd. du Signe, Strasbourg, 2002, pp.128-132. L’auteur (†) alors Conservateur du Musée de Blain s’inspire de mes propres recherches qu’il adapte à la région nantaise . Voir aussi les recherches très récentes de CARMINATI Pauline, qui en préparant une thèse de doctorat a publié plusieurs articles au contenu très dense.

2 BERLINER  Rudolf, Die Weihnachtskrippe, München, Prestel verlag, 1955, p. 14. Cette définition est inspirée d’un passage du Paradisus Puerorum, de Philippe de BERLAYMONT dont la 1ère édition paraît à Anvers chez Martin NUNTIUS en 1618. Ce texte est le premier dans l’histoire à débattre de la pratique de la crèche et de tenter sa justification.

3 LAUTMAN Françoise, Crèches et traditions de Noël, catalogue d’exposition au Musée des A.T.P., Éditions de la Réunion des Musées nationaux, Paris, 1986, pp. 129-130.

4 Oratio in diem Natalem, in MIGNE, J.-P. Patrologie grecque XLVI, 1141-1144.

5 De beata Philogonia, in  MIGNE J.-P. Patrologie grecque, XLVIII, 753.

6 Thomas de CELANO, Vita Prima, 87. La crèche est devenue un temple consacré au Seigneur; sur l’emplacement de la mangeoire un autel est construit en l’honneur du bienheureux Père François, afin que là où des animaux ont autrefois mangé leur nourriture composée  de foin, les hommes mangent désormais pour la santé de leur âme et de leur corps, la chair de l’Agneau sans tache, Jésus-Christ Notre Seigneur (…)

STEFANUCCI Angelo, Storia del Presepio, Roma : Autocultura, pp. 85-86. Le petit fils fut donné à la lumière. De lui émanait une lumière et une splendeur si ineffables que le soleil ne pouvait donner aucune lumière car la splendeur divine obscurcissait totalement toute autre lumière…Traduction de l’italien par l’auteur de ces lignes. Il faut rappeler ici aussi le passage du Symbole de Nicée Constantinople : « Lumière née de la lumière ». 8L'implectio manuum, autrement dit le geste  des mains jointes, est devenue l’attitude du fidèle en prière. Rappelons que les premiers chrétiens faisaient leurs oraisons les bras écartés.  Le geste remonte à l'époque carolingienne, il constituait à l’origine un acte de soumission du vassal face à son suzerain lors du serment féodo-vassalique. Les bras croisés sur la poitrine sont inspirés d'une nativité de Lorenzo Lotto où la Vierge est vue comme co-rédemptrice, cf. Sophie de  GOURCY, Apprendre à voir la Nativité, Desclée de Brouwer, Tournai, 2016, p. 70 et suivantes . Le geste rappelle aussi celui des catéchumènes qui reçoivent la bénédiction au lieu de la communion.

9 Sur la Vierge en couches et souffrante, modèle devenu obsolète, cf. MOLANUS, Traité des saintes images, livre II, chap.27, édition traduite du latin, Cerf 1996.

10 Épître aux Corinthiens, III 5-6. Le voile est aussi un signe de sujétion à l’époux. Cf. même passage verset 10.

11 Jean GERSON (1363-1429), Chancelier de l’Université de Paris, soutenait déjà au Concile de Constance en se basant sur un verset d’Isaïe 62,5 que Joseph avait moins de 50 ans lorsqu’il épousa Marie. Sur ce sujet cf. aussi MOLANUS, Traité des saintes images, livre III, chap.12, édition traduite du latin, Cerf 1996. pp. 365-368.

12 Exode 3-5.

13 Livre des Nombres, 17 16-26.

14 Chiesa dei Camaldoli, cf. RÉAU, Louis, Iconographie de l’art chrétien, t. III, Iconographie des saints, PUF, Paris, 1958, p.754.

15 Pseudo Matthieu, in Écrits apocryphes chrétiens, Paris; nrf Gallimard, 1997, pp.108-147, chap. 14: Le troisième jour de la naissance du Seigneur la bienheureuse Marie sortit de la grotte et elle entra dans une étable et déposa l’Enfant entre un âne et un bœuf.

16 Habacuc 3,2 La version des Septante est la traduction grecque de la Bible hébraïque.  Réalisée par 70 sages à Alexandrie aux IIIe- IIe siècle avant notre ère, elle aurait été miraculeusement identique chez tous les traducteurs. Quant à la Vulgate, il s’agit de la traduction latine de l’ancien et du nouveau Testament par saint Jérôme au IVe siècle.

17 Deutéronome 14, 4  Le bœuf est privilégié au mouton et à la chèvre parmi les animaux qui   peuvent être mangés. Concernant les modalités des sacrifices, cf. notamment Exode 20, 24 et Lévitique 1, 25

18 Tu ne laboureras pas avec un âne et un bœuf ensemble. Cet extrait du Deutéronome, 22,10 empêchait que fussent attachés à la charrue deux animaux ayant une force de traction différente.

19MOLANUS, op. cit. p. 438.

Dieu lui-même commande dans l’Exode XXV, 18-21 de réaliser des images des anges pour les placer dans le saint des saints du Temple : « Tu feras deux chérubins d’or repoussé, tu les feras aux deux côtés des propitiatoires. Fais l’un des chérubins à une extrémité et l’autre chérubin à l’autre extrémité : tu feras les chérubins faisant corps avec le propitiatoire, à ses deux extrémités. Les chérubins auront les ailes déployées vers le haut et protégeront le propitiatoire de leurs ailes en se faisant face. Les faces des chérubins seront tournées vers le propitiatoire. »

20 Samuel 16, 13

21 Marc 1,6 ; Matthieu 3

22 Sur cette hypothèse cf. REAU Louis, op. cit. t. II, Iconographie du Nouveau Testament, pp. 232-233.

23 Concernant les Mages en général : KEHRER Hugo, Die Heilige drei Könige in Literatur und Kunst, Leipzig, Verlag E.A. Seeman, 2 vol., 1908, 1909 ; FELIX Madeleine, Le Livre des Rois Mages , Tournai, Desclée de Brouwer, 2000 et Caspar Melchior Balthasar 850 Jahre Verehrung der Heiligen Drei Könige im Kölner Dom : Verlag Kölner Dom, 2015. Cet ouvrage au tirage limité existe également en anglais.

24 Paris, Bibliothèque nationale, Codex 4884.

25 Jacques de Voragine dans La légende dorée précise qu’il s’agit des noms grecs. Paris , Garnier-Flammarion, 1967, 2 vol. (traduction française du latin de J.-B. M. BROZE), vol. I, L’Épiphanie du Seigneur, p. 115.

26 Cf. RAGGI A.-M., article Magi in Bibliotheca Sanctorum, Roma : Citta nuova Editrice, t. VIII, 1967, col. 515. Cette tradition est qualifiée de douteuse par Molanus dans son Traité des saintes Images. Molanus, op. cit. , livre III, chap. 3, p. 344. Un des modèles les plus anciens représentant le roi maure figure dans l’Adoration des Mages d’Hugo van der Goes. Il date des environs de 1430.

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