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Le facing, une technique de fixation temporaire de la couche picturale

Publié le 31/03/2023

Pour une restauratrice d’œuvres d’art, la préservation de la couche picturale est essentielle pour préserver l’intégrité de l’œuvre. Pour son dépositaire, il est le moyen le plus sûr de réduire le coût d’une future restauration. En effet, dans le domaine de la conservation d’œuvres d’art, une grande partie des œuvres est peinte. Cette peinture, ou polychromie, est susceptible de se détacher. Les facteurs physico-chimiques en sont les principaux responsables. Mais comment cela se passe au cœur de la matière…?

Les œuvres d’art polychromes sont souvent composées de matériaux hygroscopiques comme le bois ou la toile. Ces matériaux sont extrêmement sensibles aux variations hygrométriques. Ainsi le bois, comme la toile, se mettent en équilibre avec l’humidité relative de l’air ambiant. La couche de peinture quant à elle, lorsqu’il s’agit de peinture à l’huile, est peu sensible à l’humidité. Les variations dimensionnelles du support bois ou toile, en se mettant en équilibre avec leur environnement hygrométrique, créent une tension qui, provoque la rupture de la couche de peinture.

Cette rupture se fait de façon progressive. D’abord apparait un réseau de craquelures en même temps qu’un clivage entre les différents matériaux. Peu à peu, à force de variations hygrométriques, des soulèvements de la polychromie apparaissent, connus sous le terme d’écaillage. Si l’on ne fait rien, ces écailles finissent par tomber, provoquant des lacunes de la couche picturale et entrainant donc la perte irrémédiable d’une partie de l’œuvre.

    Exemple de soulèvements avec perte de matière dans le pied d’un des angelots du maître-autel. 1691-1710. Bois polychromé et doré. Église Saint-Lambert de Soumagne.

Exemple de soulèvements avec perte de matière dans le pied d’un des angelots du maître-autel. 1691-1710. Bois polychromé et doré. Église Saint-Lambert de Soumagne.

Découpes de feuilles de papier japon en vue de protéger les écailles du buste de Saint Lambert. Église Saint-Lambert de Soumagne.
Découpes de feuilles de papier japon en vue de protéger les écailles du buste de Saint Lambert. Église Saint-Lambert de Soumagne.

Pour agir, un geste simple, avant le seuil irrémédiable de la rupture et de la perte est la protection temporaire, autrement nommé « le facing ». Il s’agit d’un geste de conservation préventive, consistant à apposer sur les soulèvements un film de papier de type papier bolloré ou papier japon. Cette feuille de papier, très fine (entre 9 à 12g/m2), est appliquée sur la surface avec une colle de type méthylcellulose. Ce type d’adhésif se présente sous forme de gel, limitant ainsi la pénétration de l’adhésif sous les écailles ; en effet le but ici est de retenir les écailles en place et d’éviter la perte de matière ; c’est pour cela qu’on parle de fixation temporaire. L’adhésif a un pouvoir collant limité, et peut se retirer aisément. On l’utilise en général à faible concentration, soit à 3 ou 4%.

Exemple de fixations temporaires effectuées suite aux inondations de juillet 2021. Christ aux liens, bois polychrome, XVème siècle. Église Saint-Gilles de Fraipont.      

Exemple de fixations temporaires effectuées suite aux inondations de juillet 2021. Christ aux liens, bois polychrome, XVème siècle. Église Saint-Gilles de Fraipont.

Différents types d’adhésif existent, qui sont de natures moléculaires différentes. Ils se trouvent dans les magasins spécialisés en restauration et conservation. Ces adhésifs présentent le double avantage d’être peu onéreux et d’être stable dans le temps. Ainsi la pérennité de l’intégrité physique de l’objet est assurée pour une durée indéterminée.

Exemple de soulèvements avec perte de matière (à droite de la volute dorée) ; Fixation au papier japon (papier tengusho) à gauche de la volute dorée. Chandelier Pascal de la fin du XVIIIème siècle. Bois polychromé et doré. Église Saint-Jean-l ’Évangéliste de Beaufays. 
Exemple de soulèvements avec perte de matière (à droite de la volute dorée) ; Fixation au papier japon (papier tengusho) à gauche de la volute dorée. Chandelier Pascal de la fin du XVIIIème siècle. Bois polychromé et doré. Église Saint-Jean-l’Évangéliste de Beaufays.

Attention cependant au provisoire qui dure…

En effet, la feuille de papier japon est peu visible sur une sculpture en ronde-bosse, car très fine et épousant parfaitement la surface. Mais si le problème s’est présenté en un endroit, il est à craindre qu’il apparaitra en d’autres zones. Ainsi, une œuvre présentant des soulèvements  est à surveiller. Les soulèvements de la couche picturale sont un symptôme pour lequel il est important de comprendre la cause.

La cause est toujours un changement d’humidité relative. Soit suite à des infiltrations d’eau, inondations ou autres, soit souvent lié à un chauffage mal placé, trop violent et peu compatible avec des œuvres d’art fragiles et sensibles.

Ainsi, la première action est la surveillance et l’observation. Un examen en lumière rasante des œuvres permet souvent de déterminer si la polychromie est en danger. En cas de doute, n’hésitez pas à avoir le réflexe de vous tourner vers les services diocésains compétents en la matière.

Exemple de soulèvements avec perte de matière dans l’habit de Saint Antoine de Padoue. Eglise Saint-Antoine Ermite de Pepinster. Vue en lumière rasante.

Si vous êtes vous-mêmes confrontés à des œuvres en danger, entreprenez les démarches suivantes :

  • Ne touchez à rien pour éviter que les écailles de peinture ne tombent ;
  • Prenez de bonne photos, nettes et avec une bonne source lumineuse (l’idéal est la lumière rasante) ;
  • Envoyez-les aux services diocésains du patrimoine de votre diocèse (cliquez ici pour retrouver les coordonnées). En effet, ils pourront évaluer les solutions les plus adéquates sur base d’un constat d’état précis ou vous rediriger vers des conservateurs-restaurateurs formés et compétents.
Exemple de fixations temporaires effectuées suite aux inondations de juillet 2021. Christ aux liens, bois polychrome, XVème siècle. Église Saint-Gilles de Fraipont.
Exemple de fixations temporaires effectuées suite aux inondations de juillet 2021. Christ aux liens, bois polychrome, XVème siècle. Église Saint-Gilles de Fraipont.

Delphine GOURDON, Service Patrimoine de l’évêché de Liège, Conservatrice-restauratrice de biens culturels 

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