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Décrypter le vitrail de Mehagne : une création contemporaine

Publié le 01/12/2023

Vous souvenez-vous de ce grand vitrail coloré sur l’affiche de la dernière journée d’étude du CIPAR ? Dans cet article, nous vous le présentons ainsi que l’atelier qui l’a créé.

Description du vitrail de Mehagne

Le vitrail de Mehagne est une création de Claudine Pirotte offerte par l’ANOE (L’Asbl Amis du Nouvel orgue d’Embourg) et inaugurée le 25 mai 2013. Il s’agit d’un ensemble de 4 panneaux. Le thème est lié au nom de l’unité pastorale : « Notre-Dame des sources ». En effet, les « sources jaillissantes » sont présentes sur le premier et le quatrième panneaux, la présence de Marie est illustrée dans le deuxième.

Le premier panneau à gauche représente le récit de la Création dans la Genèse. On y voit la présence de Dieu-Trinité manifestée par la main du Père, par Jésus symbolisé par un poisson et par l’Esprit représenté sous les traits d’une colombe. A remarquer aussi la séparation des eaux d’en haut de celles d’en bas et l’apparition de la lumière, les étoiles, la lune, le soleil et son reflet dans l’eau. Les deux arbres de la vie et de la connaissance sont côte à côte. Tous les règnes (minéral, végétal, animal, humain et angélique) ont leur place dans le vitrail.

La représentation des noces de Cana, sur les deux panneaux centraux, manifeste une continuité entre l’eau de la création et le sang jaillissant de l’Agneau. Pour symboliser le miracle du changement de l’eau en vin des noces, les six jarres sont colorées en dégradés, du « bleu de l’eau » au « rouge du sang ». En arrière-plan, les mariés, couronnés selon le rite byzantin, se tiennent à la table des noces qui est une allégorie du banquet eucharistique, évoqué par la coupe et l’hostie. À l’avant plan, Marie, entourée de douze pétales de soleil, montre le pain et le vin et Jésus les bénit. Les anges Gabriel et Michel couronnent Marie et Jésus, ceci évoquant Marie Reine des Cieux et Jésus Christ-Roi. Les couples ont des vêtements aux couleurs complémentaires. Le couple des mariés se trouve sous une arche que l’on peut interpréter comme la porte du paradis, suggérant qu’ils sont eux-aussi rétablis dans leur unité primordiale et accueillis à nouveau dans le jardin d’Eden. Les douze fruits symbolisent la plénitude de cet accueil.

Le quatrième panneau est tiré de l’Apocalypse. De l’Agneau, symbolisant Jésus, coule le sang qui se mêle à un fleuve d’eau (rappel du sang et de l’eau qui coulent du flanc du Christ sur la Croix). L’Ange Raphaël montre ce fleuve de vie jaillissant du trône de l’Agneau. Au-dessus de l’Agneau, trois chérubins stylisés. Autour de lui se trouvent « l’alpha et l’oméga ». Et en-dessous, les sept sceaux qui ferment le livre de l’Apocalypse. Les deux arbres de la Vie et de la Connaissance ont ici un seul trône pour symboliser le retour à l’unité primordiale.

Outre l’intérêt du thème et la richesse de l’œuvre en références bibliques, la particularité de ce vitrail réside dans la luminosité de ses couleurs et la remarquable continuité de mouvement qui existe entre ses panneaux.

 

L’atelier J.M. Pirotte

Claudine Pirotte, la cartonnière et maitre-verrier qui a réalisé ce vitrail, travaille dans l’Atelier d’Art J.M. Pirotte depuis maintenant 50 ans.  Cet atelier familial situé à Beaufays perpétue une longue tradition et un savoir-faire de grande qualité dans l’art des vitraux. Sa réputation va bien au-delà de la région wallonne et sa spécialisation s’inscrit dans trois domaines : la création de vitraux pour bâtiments civils ou religieux (5 %), la réalisation de vitraux d’après des projets d’artistes cartonniers (1%) ainsi que la restauration de vitraux anciens (94%).

Claudine Pirotte nous a reçu chez elle pour nous présenter son parcours, son travail, son amour du vitrail et des couleurs. Originaire de Charleroi, elle a suivi des études artistiques à l’école Saint-Luc à Liège. Elle y a rencontré son mari, Jean-Marie Pirotte, et s’est formée auprès de son beau-père dans son atelier de vitrail de 1970 à 1973. Celui-ci avait travaillé à l’Atelier Osterrath de Tilff dès son retour de la guerre en 1945, atelier dont il a récupéré le fond en 1966, suite à la fermeture de l’Atelier Osterrath, pour lancer le sien.

Son goût pour l’agencement des couleurs lui vient de son professeur Raymond Julin, qui a réalisé beaucoup de vitraux dans la deuxième moitié du XXe siècle. Elle joue avec les couleurs, les oppose, les confronte et privilégie les nuances dégradées. Ces couleurs vives et profondes ont une place majeure dans ses œuvres. Elle prend beaucoup de temps dans le choix des palettes. Elle bannit la grisaille à ombrer qui assombrit les couleurs et baisse la vibration naturelle d’une couleur pure et sans artifice. Un exemple qui illustre cette position artistique se retrouve dans les quinze verrières qu’elle a créées et réalisés la basilique Saint-Martin à Liège – Basses et hautes nefs nord et sud).

Claudine Pirotte à côté des cartons de ses vitraux de la basilique Saint-Martin (à partir de 2006)

Dans ses créations, la dimension spirituelle a une place très importante, parallèlement à la dimension artistique. Les huit verrières sur les Béatitudes de l’église d’Angleur en sont un parfait exemple : elle a commencé cette œuvre en 1991 et a mis vingt-cinq ans à la finir du fait que les Ateliers Pirotte se sont « auto-mécénés » mais aussi à cause du travail spirituel long et difficile que cela lui a imposé. Le Baptême du Christ à l’église de Remoiville (Vaux-sur-Sûre) l’a également poussée dans ses derniers retranchements : « ce fut très dur, une vraie épreuve spirituelle », nous dit-elle

Ce long travail se reflète dans ses créations, qui regorgent de références bibliques et qu’il faut prendre le temps de lire et de décoder si l’on veut les saisir pleinement.

Les différents cartons pour le projet du vitrail du Baptême du Christ à l’église de Remoiville (Vaux-sur-Sûre)
Les différents cartons pour le projet du vitrail du Baptême du Christ à l’église de Remoiville (Vaux-sur-Sûre)

Par ailleurs, Claudine Pirotte a également réalisé des vitraux à partir de cartons, entre autres ceux de l’artiste liégeois Raymond Julin pour la Cathédrale de Liège (quatre verrières des hauts Transepts et absides du Chœur) et pour Li Rondia que les Ateliers Pirotte ont restauré lors de la remise en état des pierres de remplage du Rondia (la rosace de style gothique rayonnant de la Collégiale de Huy).

Rappelons toutefois que la plus grande partie des travaux de l’Ateliers Pirotte consiste dans la restauration de vitraux (exemple : les 350 panneaux des verrières du Chœur de la Basilique St Martin).

Pour conclure notre entretien, Claudine Pirotte nous confie que si elle devait résumer son travail, elle reprendrait les mots que le doyen de la Cathédrale de Liège lui avait adressés avant qu’elle ne se lance dans la réalisation des projets des vitraux dessinés par Raymond Julin dans les années 80 : « Travaillez bien, parce que vous travaillez pour sept ou huit cents ans ».

 

 

Vinciane GROESSENS

Source pour la description de l’œuvre : un article écrit par Marie-Pierre Fraikin,

une paroissienne de Mehagne

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