CIPAR

L’église Saint-Jean-Baptiste de Namur fait restaurer une œuvre majeure de la sculpture namuroise

Publié le 31/05/2024
Fig. 1. Le Christ triomphant après traitement. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X165055, 2024).
Fig. 1. Le Christ triomphant après traitement. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X165055, 2024).

Depuis le 14 mai dernier, les visiteurs peuvent admirer un Christ triomphant au centre du Grand salon du Musée des Arts décoratifs de Namur. Cette œuvre remarquable du sculpteur namurois Feuillen Houssart (1710-1753) provient de l’église Saint-Jean-Baptiste de Namur. Elle a fait l’objet d’une étude matérielle et d’une restauration dans l’atelier des sculptures en bois de l’Institut royal du Patrimoine artistique, financées par le fonds Léon Courtin-Marcelle Bouché.

Fig. 2. Détail du visage du Christ après traitement. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X165067, 2024).
Fig. 2. Détail du visage du Christ après traitement. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X165067, 2024).

La restauration de la statue s’inscrit dans le cadre d’initiatives de plus grande ampleur. La première est la restauration intérieure de l’église Saint-Jean-Baptiste. Edifice classé depuis 1936, il s’agit de la plus ancienne église conservée de Namur. Outre le bâtiment, la Fabrique d’église entend aussi valoriser le mobilier, dont la richesse constitue un des attraits indéniables de l’église. En 2021, une demande de financement est déposée auprès du Fonds Courtin-Bouché, afin d’entreprendre la restauration du Christ triomphant exposé dans l’autel latéral nord de l’église. Le projet a pour objectif de conserver et de rendre toute sa lisibilité à ce chef-d’œuvre de la sculpture namuroise, afin de l’exposer à nouveau dans l’église après la fin des travaux. En accord avec l’Agence wallonne du Patrimoine, un emplacement plus adéquat sera choisi pour le mettre en valeur. Entre-temps, et jusqu’au 8 septembre 2024, le Christ est présenté dans l’exposition « Des mains de maîtres. Sculpteurs baroques et rococo à Namur (17e-18e s.) », organisée au Pôle muséal des Bateliers à Namur. Elle sera ensuite, et jusqu’à la fin des travaux de l’église, conservée au Musée diocésain de Namur.

Fig. 3. Le revers de la sculpture à mi-nettoyage. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X158567L, 2024).
Fig. 3. Le revers de la sculpture à mi-nettoyage. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X158567L, 2024).

Le Christ de Saint-Jean-Baptiste est actuellement au cœur des recherches menées par Michel Lefftz, professeur en histoire de l’art à l’Université de Namur. L’œuvre était jusqu’à présent méconnue. Avant sa dépose récente, la statue était installée en hauteur, sur un retable d’autel, soustraite aux regards. Ses grandes qualités plastiques étaient dès lors passées inaperçues. Pourtant, le Christ en ronde-bosse, de grande taille, impressionne d’emblée par sa silhouette gracieuse et la délicatesse de son expression. À la suite de récentes découvertes, Michel Lefftz a pu attribuer la sculpture à Feuillen Houssart (Namur 1710 – Averbode 1753). Jusqu’ici, on ne connaissait de lui que ses importants travaux pour l’abbaye d’Averbode, et aucune œuvre namuroise n’avaient pu lui être rattachées. D’autres œuvres peuvent aujourd’hui lui être attribuées comme les anges musiciens des stalles de l’abbatiale de Floreffe, plusieurs angelots des confessionnaux de l’église Saint-Loup à Namur, ou encore le beau saint Corneille de l’église Saint-Rémi à Thon-Samson. Les réalisations de Houssart manifestent une maîtrise technique hors du commun et une inventivité exceptionnelle. La restauration du Christ de Saint-Jean-Baptiste suivie de l’exposition est une occasion unique de documenter sa carrière et de le remettre à l’honneur. Pièce maîtresse de l’artiste, l’œuvre manifeste pleinement son talent et permet d’y voir l’un des meilleurs sculpteurs de la phase « maniérée » du baroque.

La qualité de la statue et le potentiel d’étude qu’elle représente pour la connaissance des pratiques des sculpteurs au 18e siècle ont retenu l’attention de l’atelier de restauration des sculptures en bois de l’IRPA. Grâce au généreux soutien financier du fonds Léon Courtin – Marcelle Bouché, le traitement de conservation-restauration de Christ lui a été confié, et a été réalisé par Emmanuelle Mercier et Violette Demonty. En plus de lui rendre une apparence digne de son statut de chef-d’œuvre, ce traitement a permis d’en assurer la bonne conservation à long terme.

Fig. 4. Le dos de la statue, avec les joints d’assemblage visibles. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X165067, 2024).
Fig. 4. Le dos de la statue, avec les joints d’assemblage visibles. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X165067, 2024).

L’étude matérielle réalisée par l’équipe de l’IRPA[1] a permis de mieux comprendre comment l’œuvre a été réalisée. Taillée dans un bois de feuillu clair et tendre, probablement du tilleul, la sculpture est composée de pas moins de 27 morceaux de bois assemblés. Cette pratique, courante à l’époque baroque, a été observée à travers de nombreux joints d’assemblage, complétée d’une radiographie. Le soin apporté à la taille du dos de la sculpture et des cheveux, semble indiquer qu’elle n’était initialement prévue pour être exposée dans l’autel, mais dans un endroit où toutes ses faces étaient visibles, voire portée en procession. L’étude stratigraphique et topographique des polychromies successive a révélé trois niveaux de polychromie différentes. La dernière, soignée et de qualité, pourrait dater du 19e ou du début du 20e siècle. Elle serait contemporaine des pierres colorées, serties dans des bijoux métalliques appliqués autour des cinq plaies du Christ. L’analyse d’anciens clichés dans la base de données photographiques de l’IRPA a permis aussi de mieux comprendre d’anciennes altérations. Le placement d’une lourde cape sur les épaules du Christ serait ainsi probablement à l’origine d’usures au niveau du torse. Après 1973, la sculpture a probablement subi un dégât important, peut-être dû à une chute, suivi d’une restauration conséquente, notamment au niveau des assemblages. Au fil du temps, plusieurs doigts des mains ont été endommagés, voire perdus, et réparés de manière plus ou moins qualitative.

Outre l’étude de l’œuvre, l’atelier de restauration a procédé à un traitement de l’œuvre en plusieurs étape, à commencer par une éradication des insectes xylophage au moyen d’une anoxie. Les quelques soulèvements de polychromie ont ensuite été fixés, avant un nettoyage superficiel de la surface, afin d’en éliminer les saletés incrustées (probablement dues à la suie des bougies). Les retouches grossières ont été enlevées, de même que d’anciens mastics. De nouveaux bouchages ont été appliqués dans les cavités laissées par ces derniers, et des zones de vois vermoulues ont été consolidées.

           

Fig. 5. La main droite avant traitement, avec index en cire et auriculaire en matériau de bouchage blanc. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X155692L, 2024) et fig. 6. La main droite après traitement. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X165066, 2024).

Fig. 7. Saint Corneille de l’église Saint-Rémi de Thon. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X161879, 2023).
Fig. 7. Saint Corneille de l’église Saint-Rémi de Thon. © KIK-IRPA, Bruxelles (cliché X161879, 2023).

La reconstitution des doigts mutilés a constitué une étape importante du traitement. Il a été jugé important de pouvoir reconstituer la qualité expressive de la main, sans pour autant inventer totalement la position des doigts manquants. Ceux-ci ont donc été reconstitués à l’aide des anciens clichés de l’IRPA, mais aussi par l’examen d’œuvres comparables de l’artiste, en particulier le saint Corneille de l’église de Thon, cité plus haut, également attribué à Feuillen Houssart. Une empreinte de l’auriculaire et de l’index du saint ont ainsi permis de réaliser deux nouveaux doigts, adaptés à la morphologie du Christ. Enfin, un masticage et une retouche des lacunes ont été effectués ; réalisée par petits points, détectable de près mais invisible à distance, cette retouche masque les joints d’assemblage.

Outre la stabilisation des dégradations, l’étude et le traitement de conservation-restauration du Christ ont apporté une meilleure compréhension de son histoire, et une remise en valeur de la sculpture dans son troisième état de polychromie. Avec la reconstitution des doigts, elles permettent d’apprécier la valeur esthétique de l’œuvre.

Lise Constant

[1] Le présent résumé de l’étude et de la restauration par l’IRPA est issu de l’article rédigé par Violette Demonty et Emmanuelle Mercier, « Une œuvre majeure du baroque rococo en Namurois : le Christ triomphant attribué à Feuillen Houssar(t) », dans Des mains de maitres.

Sculpteurs baroques et rococo à Namur (17e-18e s.), vol. 1, catalogue d’exposition, Namur, 14 mai – 8 septembre 2024, Namur, 2024, p. 133-143.

Publié dans
CIPAR - Centre Interdiocésain du Patrimoine et des Arts Religieux linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram