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Nouveau trésor : la Vierge attribuée à Passier Borman

Publié le 16/07/2024

Le Gouvernement de la Communauté française a décidé de classer la Vierge attribuée à Passier Borman de la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles avec la qualification de trésor le 19 juin 2024. Son classement est justifié en raison de sa valeur artistique et chacun des critères de classement retenu : l’état de conservation remarquable, la rareté, la grande qualité de conception et d’exécution et le lien avec l’histoire et l’histoire de l’art. Voyons ensemble cela plus attentivement !

Datée de 1500-1520, la sculpture est attribuée à la célèbre dynastie de sculpteurs les Borman et plus spécifiquement à Passier artiste auquel la collégiale semble avoir fait appel pour diverses réalisations dont un Calvaire monumental désormais exposé dans les salles du musée du Louvre.

Description

La sculpture représente la Vierge debout sur une base en forme de tertre, les mains jointes en prière. Son visage allongé offre un teint de porcelaine délicatement réhaussé de rose sur les joues. Légèrement incliné vers la droite, il est encadré d’une épaisse chevelure ondulée qui tombe jusqu’à hauteur de la taille en longues mèches dorées. Le léger retroussement de la robe sous le bras gauche laisse découvrir la sous-robe blanche et un pied chaussé d’un socque. La bordure de la sous-robe est décorée d’un feston d’épis de blé dorés. L’iconographie inhabituelle de la Vierge présentée seule en prière en fait une figure énigmatique dans l’art du Moyen Age tardif.

Fig. 1, 2, 3. Vierge attribuée à Passier Borman, photos © IRPA-KIK, Bruxelles, X009040,  X009042, X009044.

La valeur artistique

En raison de sa qualité exceptionnelle et de la douceur qui émane de cette représentation quasi grandeur nature, la Vierge avait été choisie pour accueillir le visiteur à l’entrée de la grande exposition consacrée à la famille Borman en 2020 au Musée M de Leuven (Borman and sons, 2019-2020). Cette illustre famille de sculpteurs inscrits à la corporation des Quatre Couronnés de la ville de Bruxelles a produit nombre de sculptures en bois, pierre et albâtre, de retables commandés ou exportés dans toute l’Europe, de monuments funéraires (par exemple Marie de Bourgogne, Marguerite d’Autriche) et de modèles pour des œuvres en laiton. La Vierge occupe une place importante au sein de cette production au même titre que le Calvaire de l’église Saint-Pierre de Leuven. En Fédération Wallonie Bruxelles, la Vierge figure parmi les plus importantes créations de la dynastie Borman encore conservées in situ.

L’état de conservation remarquable

D’un point de vue stylistique la Vierge peut être rapprochée d’une sainte Marie-Madeleine conservée au Grand Séminaire de Malines. Mais contrairement à cette dernière amputée et décapée, la Vierge de Nivelles offre un état de conservation remarquable. La sculpture est en effet intacte au niveau formel. Seule une fente de cœur s’est formée malgré la précaution du sculpteur d’évider le dos de la statue. Suite à un traitement réalisé à l’Institut Royal du Patrimoine artistique dans les années 1970, la polychromie d’origine est visible. En dehors d’un retable en Suède et de bustes reliquaires conservés en Espagne et à New York, la Vierge de Nivelles constitue à ce jour le seul exemple de ronde-bosse en bois attribuée à Passier qui ait conservé sa polychromie.

La rareté

En dehors d’une Vierge de douleur décapée de l’église de Haut-Ittre et du retable de Saint-Denis à Liège, la Vierge constitue la seule sculpture en ronde-bosse en bois attribuée à Passier Borman conservée en Fédération Wallonie-Bruxelles. Si la figure se distingue clairement du schéma de composition d’une statue de Vierge à l’Enfant, son iconographie particulière est sujette à discussion : Vierge d’Annonciation ? Vierge d’Assomption ? Ces deux hypothèses posent problème. L’hypothèse d’une Vierge d’Annonciation supposerait la présence d’un ange et d’un livre ouvert. Celle d’une Vierge d’Assomption se heurte à la présence du sol herbeux de la base. La polychromie d’origine apporte des indices complémentaires qui permettent de considérer une troisième hypothèse. En effet, la présence d’épis de blé sur la bordure de la sous-robe permet de rapprocher la statue de représentation de la Vierge aux épis de blé, un thème iconographique rare qui s’est développé surtout dans le sud de l’Allemagne au XVe siècle.

Il s’agit de la représentation d’une Vierge jeune, sans enfant, dans une église, les mains jointes, les cheveux lâchés, vêtue d’une robe semée d’épis dorés. Cette représentation s’inspirerait de métaphores des hymnes à la Vierge de la fin du Moyen Age qui la comparent à un champs de blé. Une représentation du thème figure dans le Missel du Duc Philippe le Bon, vers 1450. Il en existe une représentation sculptée au Rheinisches Landesmuseum. Bie, que d’un point de vue formel, la Vierge de Nivelles réponde à cette iconographique particulière, la polychromie de la robe s’en écarte quelque peu. En effet, les épis de blé ne sont pas présents en semé sur sa robe bleue comme le voudrait cette formule. Quoi qu’il en soit, le manque de points de comparaison qui permettraient de mieux comprendre la Vierge de Nivelles constitue l’une des caractéristiques qui soutiennent la rareté de l’œuvre. L’état de conservation de la sculpture et de la polychromie sont exceptionnels. La sculpture est à ce jour le seul exemple de statue en ronde-bosse en bois attribuée à Passier qui ait conservé sa polychromie.

La grande qualité de conception et d’exécution

La sculpture est taillée dans une seule bille de chêne à l’exception de petits éléments rapportés au niveau de la base. Les empreintes circulaires présentes au revers de la base sont les traces d’un système de fixation du bloc de bois sur le banc du sculpteur très couramment utilisé par les Borman. Le sculpteur a pris soin d’évider le dos de la sculpture qui présente une ouverture très étroite pour ne pas interrompre la ronde-bosse.

La légère inclinaison du long visage juvénile de la Vierge produit quelques plis dans la peau de son cou et donne naissance à un petit double menton. La douceur de son expression est rendue par un regard légèrement baissé marqué par des paupières lourdes et un sourire à peine esquissé. Ces caractéristiques permettent de rapprocher  la Vierge des célèbres bustes reliquaires féminins attribuées au Borman et conservées  au Metropolitan Museum. Ces sculptures très élégantes ont également en commun le décor ciselé des encolures à l’imitation de pierreries et de perles, entièrement sculpté dans le bois, et la finesse du léger plissé de la gympe (chemise) sur la poitrine. On notera dans la Vierge de Nivelles le détail raffiné de l’extrémité retroussé de ce vêtement autour du cou. Le sculpteur a su parfaitement jouer des contrastes dans le rendu de la qualité des étoffes, légère pour la sous-robe, plus épaisse pour la robe. L’agencement savant du drapé de la robe crée un jeu de contrastes très dynamiques. Ainsi, depuis la taille ceintrée, l’étoffe tombe en une cascade d’épis plis polygonaux tandis qu’un pan relevé et retenu sous le bras gauche donne naissance à un faisceau de longs plis en tuyau s’écrasant jusqu’au sol. La vue de face n’est pas privilégiée comme le montre l’étagement de plis brisés côté senestre. Ce traitement complexe des draps participe à la puissance plastique de la sculpture.

Le lien avec l’Histoire et l’Histoire de l’Art

La collégiale semble avoir fait beaucoup appel aux Borman dont elle conserve plusieurs œuvres attribuées au célèbre Jan II : trois grandes figures d’apôtres, un saint Antoine et un monument votif en pierre (Musée archéologique de Nivelles). Quant à son fils Passier, inscrit au métier des sculpteurs de la ville de Bruxelles en 1492, on lui donne le célèbre Calvaire monumental qui décorait le chœur de la collégiale, aujourd’hui  exposé au Musée du Louvre. La Vierge est rattachée au style dynamique et puissant de Passier, le fils de Jan II. Michel Lefftz situe son exécution avant le départ de Passier pour le chantier commandé par Marguerite d’Autriche pour le monastère de royal de Brou (Bourg-en-Bresse, France).

Tiré de l'Arrêté ministériel classant la Vierge attribuée à Passier Borman de la Collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles avec la qualification de trésor 

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