Le Génie du Mal de la cathédrale Saint-Paul de Liège classé Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles
À l’aube du XIXe siècle, après que Saint-Paul a été choisie comme nouvelle cathédrale de Liège suite à la destruction de Notre-Dame-et-Saint-Lambert, le nouveau chapitre décida de rénover le mobilier du sanctuaire nouvellement désigné. C’est ainsi qu’une nouvelle chaire de vérité – toujours visible aujourd’hui – fut installée en 1843.
Cette œuvre, réalisée par l’artiste anversois Guillaume Geefs (1805-1883), symbolise le triomphe de la religion sur le Mal. Ce faisant, la cuve de cette chaire de vérité est ornée de cinq bas-reliefs présentant plusieurs scènes du Nouveau Testament : la descente du Saint-Esprit, la naissance de Jésus-Christ, son entretien avec les docteurs du Temple, son sermon sur la montagne et sa Résurrection.
Dans la flèche se trouvent encore Moïse et les quatre grands prophètes de l’Ancien Testament, ainsi qu’Adam et Ève ; tandis que le sommet de celle-ci est orné d’une statue de Dieu le Père, située à 17 m de hauteur. L’Ancien Testament cohabite ainsi avec le Nouveau pour offrir une percutante synthèse biblique.
Enfin, au pied de la cuve, se trouvent six statues en marbre blanc de Carrare, d’une hauteur de 1m80 et présentant les saints Hubert, Pierre, Paul et Lambert encadrant une allégorie féminine de la Foi, couronnée et terrassant le Serpent.
Afin de finaliser cette composition, Guillaume Geefs confia à son frère Joseph (1808-1885) la réalisation d’une statue de Lucifer, destinée à montrer l’impuissance des forces du Mal face à la parole divine. Cette statue fut installée en 1843. Cependant, cet « Ange du Mal » déplut au chapitre cathédral et fut rapidement retiré de son emplacement, comme en témoigne un article du journal L’Émancipation daté du 8 août 1844 : « Liège n’en veut pas. Ce diable-là est trop nu, et surtout trop sublime ».
Guillaume Geefs réalisa ainsi un second Lucifer en remplacement de celui sculpté par son petit frère. Ce Génie du Mal est aujourd’hui encore visible à l’arrière de la chaire de vérité de Saint-Paul, tandis que la statue de Joseph Geefs se trouve désormais au musée des Beaux-Arts de Bruxelles.
Le Lucifer de Liège nous rappelle que le Mal ne se dévoile jamais tel qu’il est. L’Ange déchu est ainsi présenté sous une forme humaine que seuls certains détails trahissent : des ailes membranées de chauve-souris, de discrètes cornes dissimulées dans ses cheveux, le poignet gauche et la cheville droite enchaînés à un rocher, un sceptre brisé à la main, des ongles de pieds acérés comme des griffes et une pomme croquée trahissant le péché originel… Autant de détails que le spectateur devra longuement analyser afin de comprendre quelle créature se tient face à lui. Avec, en point d’orgue, une larme émergeant de son œil gauche, comme pour rappeler la douleur de son irréversible faute et de son exil.
Par ailleurs, sa grande beauté rappelle aux croyants que le Mal est séduisant et qu’il nous faut sans cesse résister afin de ne pas céder au péché. Le message ainsi véhiculé est que la Foi triomphe toujours du Mal et qu’en plaçant ce « beau diable » à l’arrière de la chaire de vérité, nous aurons réussi à nous en détourner.
Depuis le 18 mars 2025, cette œuvre unique au monde est désormais classée Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles, au même titre que dix autres œuvres du Trésor et de la cathédrale !
Alexandre Alvarez
Les photographies sont toutes de l'auteur.