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L’institution de la fête du « Corpus Christi » ou « Fête-Dieu »

Publié le 28/05/2019

La Fête-Dieu trouve son origine à Liège, au 13e siècle. C’est une fête typiquement occidentale et propre à l’Eglise catholique. Une religieuse augustine, Julienne de Cornillon (Liège), eut pendant sa prière la vision d’une sphère lumineuse en forme d’hostie, ou semblable à la lune, dont une partie était obscure.

Histoire de la Fête-Dieu

Anseremme Se Julienne de cornillon 1909Julienne de Cornillon comprit que cette partie manquante signifiait qu’il fallait créer une fête spécifique pour célébrer l’institution de l’eucharistie. Après bien des années, Julienne se confia au chanoine liégeois Jean de Lausanne, qui en parla à différents théologiens. Finalement, l’évêque de Liège, Jean de Thourotte, institua la fête du Corps du Christ « ad confundendam haereticorum insaniam » (c’est-à-dire « pour combattre la folie des hérétiques »). Et il fit composer un Office du Saint-Sacrement intitulé Animarum cibus; cette fête fut célébrée pour la première en 1246 à Fosses-la-Ville (terre liégeoise). En 1263, un miracle eucharistique se produisit à Bolsena (Italie), près d’Orvieto. Un prêtre, qui avait douté de la présence eucharistique du Christ, constata que le pain consacré qu’il rompait se mit à saigner. Le sang fut conservé sur un corporal qu’on vénère depuis à Orvieto. L’année suivante, en 1264, le pape Urbain IV, ancien archidiacre de Liège, décida d’étendre la fête à l’Eglise universelle. A la demande du pape, l’Office romain du Saint-Sacrement fut rédigé par S. Thomas d’Aquin, théologien de l’eucharistie très réputé. C’est cet Office qui s’est répandu dans tous les pays et qu’on trouve dans le Missel et dans l’Office romains, aujourd’hui encore.

Contexte théologique et pastoral

Pour comprendre l’institution de la fête du Saint-Sacrement, il faut tenir compte d’un double facteur, à la fois pastoral et théologique. Au plan pastoral, les chrétiens du 13e siècle communiaient très peu, sans doute par respect pour le grand mystère du Christ présent à l’eucharistie avec son corps et son sang. A tel point que le IVe Concile du Latran (1215) prescrivit à chaque baptisé de communier une fois l’an à Pâques, après s’être confessé. C’est donc que la communion des fidèles était devenue particulièrement rare car les chrétiens ne s’en estimaient pas dignes. Il faut dire qu’à cette époque, l’autel était fort éloigné et l’eucharistie célébrée en latin n’était pas comprise des fidèles. D’où, comme solution alternative, une piété populaire qui s’exprima de diverses manières. Le « désir de voir l’hostie » s’intensifia au point que l’évêque de Paris (vers 1200) inaugura l’élévation de l’hostie de suite après la consécration, permettant ainsi aux fidèles de vénérer le Saint-Sacrement. Ne pouvant communier de manière sacramentelle, les fidèles s’engagèrent dans une « communion spirituelle » ou même « visuelle » en contemplant le pain consacré.

Au plan théologique, les controverses du 11e siècle, notamment avec Béranger de Tours, amenèrent certains à mettre en doute la « présence réelle » du Christ à l’eucharistie et la « transsubstantiation » (changement du pain au corps du Christ et du vin au sang du Christ) qui en rend compte théologiquement. Plus largement, le 11e siècle aborda l’eucharistie, non plus à la manière des Pères de l’Eglise, comme source de salut et de sanctification, mais sous l’aspect de la « présence » étonnante du Christ à l’eucharistie.
C’est donc une époque de grand changement : l’approche théologique quitte l’horizon « symbolique » des Pères de l’Eglise pour des considérations davantage rationnelles, de type « dialectique ». La piété du peuple chrétien vint à la rescousse en une sorte de « protestation » en faveur de la « réelle présence », contre les « hérétiques » tels que les Cathares et Bérenger de Tours. Chez nous, à Bois-Seigneur-Isaac, en 1405, se produisit un miracle eucharistique semblable à celui de Bolsena.

Processions eucharistiques et Expositions du Saint-Sacrement

Procession Fête Dieu à LiègeLes processions eucharistiques sont postérieures à l’institution de la fête du « Corpus Christi ». C’est à Cologne qu’eut lieu la première procession (1279). Bien d’autres pays suivirent et la Fête-Dieu se répandit partout au 14e siècle en Europe et ensuite dans les colonies comme l’Amérique Latine. Il s’agissait de vénérer publiquement l’eucharistie et de protester de la vraie foi. On transportait l’hostie consacrée dans les villes et les campagnes, escortée par les foules et les autorités du lieu. On invitait ainsi tous les habitants à se joindre à cette vénération et à cette confession de foi, surtout après la Réforme protestante, qui elle aussi avait mis en cause la présence réelle. Dans les premiers temps, le corps du Christ a été inséré dans des reliquaires, munis d’une petite fenêtre permettant de voir la relique, et par la suite le pain consacré. Ce n’est que plus tard que les orfèvres fabriquèrent de véritables « ostensoirs » (« ostendere » signifie montrer).

Les expositions du Saint-Sacrement en vue de l’adoration sont postérieures ; elle se sont développées après la Réforme. Elles sont une invitation à la prière silencieuse et à la contemplation du corps du Christ, livré pour le salut de l’humanité. C’est l’occasion de confesser la foi en la présence réelle et permanente du Christ, qui ne se limite pas à l’acte de la célébration eucharistique. Au 19e siècle en particulier, les congrégations religieuses et les corporations se multiplièrent, se revendiquant de la présence eucharistique du Christ.

Après le Concile Vatican II

Le Concile a redécouvert la place de la célébration eucharistique, à laquelle toute l’assemblée des baptisés est associée, car l’Eglise est une « communion ». L’autel s’est rapproché des fidèles, la proclamation des Ecritures comme Parole de Dieu a reçu une place qu’elle n’avait peut-être jamais connue. De même la partie eucharistique a été dotée de nouvelles Prières eucharistiques, avec chacune la double épiclèse, se rapprochant ainsi de l’eucharistie célébrée chez les chrétiens orientaux. Au début du 20e siècle, la communion des fidèles « fréquente et même quotidienne » a été favorisée par les décrets eucharistiques du pape Pie X (1905 et 1910).

Le Missel de Paul VI (1970) a donné comme titre à la Fête-Dieu « Le Saint-Sacrement du corps et du sang du Christ », soulignant l’importance des deux éléments, car chacun exprime la totalité de la personne du Christ livré pour le salut du monde. De plus, le concile a offert aux fidèles laïcs de communier sous les espèces du corps et du sang du Christ. Enfin, il est stipulé que l’action eucharistique, « mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur » est le cœur du culte chrétien. L’adoration et la procession eucharistique doivent être comprises comme une démarche complémentaire et facultative d’intériorisation, dans le prolongement de la célébration elle-même. Pour l’adoration, tout en gardant les temps de silence favorables à la prière personnelle, on suggère de proposer la lecture de textes bibliques en rapport à l’eucharistie, ainsi que des chants adaptés.

Ouvrages utiles

  • André HAQUIN et Jean-Pierre DELVILLE (éd.), Fête-Dieu (1246-1996). 1. Actes du colloque de Liège, 12-14 septembre 1996, Vol. 19/1, 244 p. (avec une « bibliographie de la Fête-Dieu 1946-1997 », p. 193-225 et de nombreuses illustrations). 2. Vie de Sainte Julienne de Cornillon (édition critique par J.-P. Delville), Louvain-la- Neuve, Vol. 19/2, 282 p. Publications de l’Institut d’Etudes Médiévales, 1997.
  • Rituel de l’eucharistie en dehors de la messe, Paris, 1963, 107 p. (notamment la communion aux malades, la réserve eucharistique, l’exposition eucharistique, les processions eucharistiques, les congrès eucharistiques).
  • André HAQUIN (éd.), L’eucharistie au cœur de l’Eglise, pour la vie du monde, Louvain-la-Neuve, Faculté de théologie, « Cahiers de la Revue théologique de Louvain » 36, 2004, 193 p.
Diplôme Fête Dieu Liège (Grand Curtius)
Diplôme d'institution de la Fête-Dieu. Document sur parchemin, 29 décembre 1252 (Grand Curtius, Liège)

André Haquin

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