LE MARBRE SAINTE-ANNE de la Collégiale de Dinant au Vatican
Les terrains paléozoïques, qui constituent une bonne partie du sous-solde la Wallonie, comportent toute une série de niveaux calcaires dont beaucoup ont été utilisés, à une époque ou à une autre, comme matériau de construction,marbre ou roche ornementale parfois largement exporté. La Belgique a donc produit des centaines de variétés différentes de marbres et était jusque vers le milieu du siècle passé, un des principaux producteurs mondiaux. La plupart de ces sites d’exploitations ont été abandonnés, tel est le cas de ceux du Marbre Sainte-Anne, d’autres sont encore exploités comme par exemple le Petit-granit. Ce matériau fut extrait à Maffle dans le passé. Il s'agit ici d'un extrait d'article d'Eric Groessens sur ce matériaux très souvent utilisé pour le pavement ou les autels de nos églises.
Introduction
Le terme « marbre » est utilisé ici dans son sens technique et commercial, c’est-à-dire le sens que « monsieur-tout-le-monde » lui assigne. La définition géologique du terme, qui en limite l’usage au calcaire métamorphique est relativement récente. C’est donc dans la première acception que ce mot est employé historiquement pour décrire les roches qui allient un aspect agréable
à la possibilité de prendre un beau poli et d’être utilisées en décoration, ameublement, confection d’objets de bimbeloterie et en sculpture. En Belgique, ce sont tous des calcaires durs, sédimentaires, d’âge dévonien supérieur ou carbonifère inférieur, c’est-à-dire qu’ils se sont déposés en mer, dans un intervalle de temps de 50 millions d’années, entre 380 et 330 millions d’années.
Illustration 1 : Collégiale de Dinant, pavement en Sainte-Anne
Ce sont des roches à faible porosité mais de coloration et d’intensité variées, souvent rehaussées de veines de calcite, ou de restes d’organismes fossiles tels que coquillages, coraux, entroques et de remplissages énigmatiques dénommés « stromatactis ».
L’origine du nom
Certains auteurs ont écrit que le nom du marbre Sainte-Anne provenait de la chapelle située près de la carrière de Solre-Saint-Géry d’où étaient extraits différents marbres, dont évidemment celui qui nous intéresse. On peut cependant se poser la question de l’antériorité de cette chapelle par rapport à l’exploitation.
De même, Jules Demaret écrit que les premières carrières ont commencé au hameau de Sainte-Anne à Labuissière. Ce hameau n’a pu être localisé, mais ici aussi le nom pourrait avoir été donné après le début de l’exploitation. Je me suis interrogé à propos des relations entre Sainte-Anne et les matériaux extraits du sous-sol. Chez nous, il y a Sint-Anna Pede d’où provenaient
les briques qui ont servi, au Moyen Âge, aux constructions bruxelloises. Toujours à Bruxelles, on a exploité en divers endroits des grès calcareux lutétiens, appelés chez nous les grès lédiens et bruxelliens. Certains toponymes, liés à Sainte-Anne, rappellent ces anciennes exploitations : rue sainte Anne, près du Grand sablon ; chapelle et drève Sainte-Anne à laeken à côté d’un grand gisement de pierres ; paroisse Sainte-Anne à Auderghem à deux pas d’un lieu-dit Kalkoven etc.
Illustration 2 : Solre-St-Géry, Chapelle Sainte-Anne
Une carrière de marbre noir de Dinant aux abords de cette ville est dénommée Sainte-Anne et de nombreuses mines étaient dédiées à cette sainte, dont celle d’Annaberg dans le Hartz, qui a donné son nom au minéral nickelifère « Annabergite ». N’oublions pas non plus qu’elle est la patronne de la Bretagne, haut-lieu de l’exploitation du granit et d’autres substances minérales.
Une réponse m’a été fournie par Drolet qui écrit qu’au Moyen Âge, sainte-Anne, dont la fille Marie était associée à la lune et son fils Jésus au soleil.
Comme la lune et le soleil symbolisent l’argent et l’or, on eut tôt fait d’honorercsainte Anne comme « la mère de la mine » ou « mine spirituelle », celle qui produit les richesses du sous-sol.
Le Marbre Sainte-Anne
Dans le pavement des Grands appartements de Versailles, au Palais royal de Copenhagen et chez nous aux murs de la salle du trône du Palais des académies, on peut voir de nombreux exemples d’applications de marbre Sainte-Anne qui démontrent sa préciosité.
Précisons d’emblée que lorsque nous parlons de Sainte-Anne, nous parlons exclusivement du marbre belge et pas de ces succédanés que sont les Sainte-Anne français (d’Hon-Hergies, de Trélon, de Rancennes etc.) qui sont d’âge Givétien, ni du Marbre de Cousolre,...
Celui qui nous intéresse est un marbre frasnien (légèrement plus ancien que le Marbre rouge belge) à fond noir, sur lequel se détache un mélange de fleurs grises et de taches blanches cristallines. Il était très estimé parce qu’il présente un bel aspect, qu’il est solide et d’un prix abordable. Comme le marbre rouge il est d’origine corallienne mais ses bancs sont stratifiés et plus ou moins continus, contrairement aux récifs rouges qui formaient des monticules dans le paysage sous-marin. - On l’a exploité à labuissière, Gerpinnes, Gougnies, Biesme, etc.
Illustration 3 : Saint-Waudru, Mons, Autel en Sainte-Anne
On distingue trois variétés ; grand mélange, moyen mélange et petit mélange, selon l’importance des taches blanches. le grand mélange, le plus apprécié, est marqué de bandes ondulées (dites rubans) gris clair, lits de polypiers, tandis que le petit mélange est de tonalité générale noirâtre. Ce marbre apparaît surtout à partir des environs de 1775, époque de la découverte de son plus beau gisement à Labuissière, en Hainaut. On l’a extrait aussi dans la région de Biesmes, Gerpinnes et Gougnies, et déjà aussi antérieurement une variété de ce type était extraite près de Beaumont, à savoir à Barbençon et à Solre-saint-Géry. Le gouverneur Charles de lorraine (1712-1780), grand collectionneur, passionné de sciences naturelles, a fait installer vers 1766, dans le vestibule de son palais bruxellois, une superbe rosace dont les 28 rayons recensent les principales variétés marbrières exploitées dans les régions
qu’il régentait.
Xavier Duquenne, spécialiste du bâti du 18e siècle, écrit que « la nouveauté du marbre de Labuissière, jointe à sa beauté l’a aussitôt lancé dans la mode, de sorte qu’il se présente fréquemment en plateau sur le mobilier de l’époque louis XVI. C’est cet engouement qui finalement, avec la tonalité endeuillée, entraîna une certaine disgrâce après une trentaine d’années, mais au 20e siècle, le Sainte-Anne connut une reprise dans les édifices publics : Bibliothèque de l’université de Gand, Institut national de radiodiffusion, et vers 1965, archives générales du royaume ».
Dans son traité sur l’art de bâtir, Rondelet écrit en 1817 que le Sainte-Anne est le marbre gris le plus recherché. Il était d’un emploi très considérable dans la marbrerie ; presque tous les dessus de meubles communs ; les tables de café sont couvertes avec ce marbre ; on en fait des quantités de cheminées. Il se vendait communément à 24 f. en blocs rendus à l’atelier de l’entrepreneur,
le pied brut à Paris, en 1817, au même prix que le cerfontaine, le Franchimont, le Barbençon mais était étonnement moins cher que le petit granit (dit marbre feluil) qui se vendait 26 f. Par contre le marbre Malplaquet (de Merlemont) se vendait 31 f. et les marbres noirs de Dinant et de Namur 35 f. le prix du marbre de Rance et autres griottes de Flandre montait à 40 f. et le blanc statuaire à 52 f.
Illustration 4 : Pavement de la Basilique Saint-Pierre au Vatican en Sainte-Anne
Les marbres de chez nous étaient considérés à Paris, comme des marbres bon marché, ce qui était parfois faussement assimilé à un matériau de moindre qualité car les marbres des Pyrénées par exemple, se vendaient nettement plus cher. Vers 1850, le sainte-anne coûtait à Paris, de 640 à 700 frs le m3 alors que le Cousolre ne se vendait que de 440 à 460 frs le m3 ».
La dernière carrière active de marbre Sainte-Anne est celle des Hayettes à Biesme. Elle était exploitée par M.P.G. (Marbres, Pierres et Granits) et a été
arrêtée en 1975.
Les amoureux de la pierre et du marbre ne peuvent que regretter la disparition de ce beau matériau de chez nous. L’antique de Meuse, qui succède
stratigraphiquement au Sainte-Anne pourrait un jour prendre le relais.
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Bibliographie
Jean-Pierre Ducastelle, Les carrières de Maffle, dans Etudes et Documents du cercle royal d’Histoire et d’archéologie d’ath et de la région, Ath, t. 25, 2013, 448 p.
Jean-Paul Drolet, Santa Barbara, Patronne des mineurs, 65 p., laval, vers 1990.
Eric Groessens, « les marbres de Flandre et du Hainaut à Versailles. », Les Echos de la Soc. Hist. rég. de Rance, n° 356, 2005, pp. 6-23.
Eric Groessens & Francis Tourneur, Les marbres wallons à Versailles, les Wallons à Versailles, ed. renaissance du livre & com. r. des Monuments, sites et fouilles, liège, 2007, pp. 357-376.
Francis Tourneur, « les Pierres et les Marbres de Wallonie : une tradition plus que millénaire et toujours bien vivante », Le savoir-faire wallon au fil du temps, Les Dossiers de l’IPW, n° 9, 2010, pp.154-199.
Xavier Duquenne, « les marbres mis en œuvre en Belgique au XVIIIe siècle », Monogr. Musée des Arts anc. du Namurois, t. 32, 2006, pp. 109-118. 8 ciprien Prosper BrarD, Traité des Pierres précieuses, des porphyres, granits, marbres et albâtres et autres roches propres à recevoir le poli et à orner les monuments publics et les édifices particuliers (etc.), ed. schoell, Paris 1808.
Jean-Baptiste Rondelet, Manuel d’Architecture ou Traité de l’Art de bâtir, ed. roret, 1832, t. 2. 11 B. sancholle, Dictionnaire du commerce de des Marchandises, ed. Guillaumin et cie, Paris, vers 1850.
Jules Demamet, « Gisement, exploitation, travail et commerce des Marbres en Belgique et à l’étranger », Ann. Trav. Publics de Belgique, Bruxelles, t. 44, 1886. 13 a. FauconnIer, De Ghoy-sur-Sambre autrefois à Labuissière aujourd’hui, (cercle d’Hist. Pierre Wins), Merbes-le-château, 1999, 150 p.
Eric Groessens
Université catholique de Louvain-la-Neuve
Service géologique de Belgique