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Les églises sinistrées en Brabant wallon et la question du patrimoine en bois

Publié le 21/09/2021

Bien que les inondations de juillet 2021 aient principalement touché la région de Liège, la province du Brabant wallon n’a pas non plus été épargnée. Deux églises en particulier ont été impactées par la montée des eaux : celles de Wavre et de Basse-Wavre. Le CIPAR s’est rendu sur place pour constater l’étendue des dégâts occasionnés au patrimoine religieux.

Église Saint-Jean-Baptiste de Wavre

Situé dans le centre-ville de Wavre, cet édifice a été construit en grande partie au XVe siècle. En façade, sa tour-clocher massive qui alterne des bandeaux de brique rouge et de pierre calcaire blanche se reconnaît de loin. Cette église a fortement été touchée par les inondations : de l’eau boueuse est montée jusqu’à 45 cm dans la nef. Le chœur, surélevé de quelques marches, a heureusement été épargné. En extérieur, le grès ferrugineux des murs a été endommagé, de même que la porte d’entrée.

Basilique Notre-Dame de Basse-Wavre

Le culte marial est attesté au sanctuaire Basse-Wavre depuis le XIe siècle, et la chapelle alors érigée est rapidement devenue un lieu de pèlerinage-phare du pays. La basilique actuelle a été édifiée entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Construit dans une plaine marécageuse, l’édifice n’avait que peu de chances d’échapper aux inondations de l’été dernier. L’eau, montée jusqu’à 30 cm, s’est répandue dans l’ensemble de l’édifice, inondant également le presbytère attenant.

Des problématiques communes

La situation des deux églises est similaire en de nombreux points. Étant toutes deux classées patrimoine exceptionnel de Wallonie, elles ont pu bénéficier de l’expertise des agents de l’AWaP en ce qui concerne le patrimoine immobilier. Les deux édifices ont également eu la chance d’avoir peu de petit patrimoine mobilier impacté par les inondations. Les sacristies ont été soit peu inondées, soit elles contenaient peu d’objets et qui ont pu être rapidement évacués. L’orfèvrerie et les textiles liturgiques ont donc très peu été endommagés. Le dallage des deux édifices s’est par contre affaissé et déchaussé en plusieurs endroits, car il reposait sur des bancs de sable et sur des sépultures anciennes (comme à l’église de Tilff). Cela rend la circulation dangereuse en plusieurs points dans les nefs latérales. Mais le type de patrimoine qui a le plus souffert dans ces deux églises du Brabant Wallon sont tous les éléments en bois.

Focus : le bois inondé dans tous ses états

Le bois est un des matériaux omniprésents dans nos églises, qui entre dans la composition tant d’éléments mobiliers qu’immobiliers par destination. Étant donné qu’il s’agit d’un matériau hygroscopique (c’est-à-dire qui possède la propriété d’absorber l’humidité), cela le rend particulièrement sensible aux sinistres de type inondations, qui peuvent provoquer des altérations multiples.

Développement de moisissures

La plus fréquente est le développement de moisissures, des micro-organismes qui apparaissent très rapidement suite à une inondation (ou en cas d’atmosphère humide de façon générale). De nombreux éléments en bois à Wavre et Basse-Wavre sont ainsi couverts de moisissures : lambris, chaire de vérité, socles de statues, statuaire, etc.

Présence de boue

L’eau qui a inondé ces deux églises était boueuse et souillée (notamment par des hydrocarbures). Lorsque les eaux se sont retirées, la boue est restée, formant un dépôt. En séchant, cela a créé une fine couche de boue, malgré le fait que les fabriques aient rapidement nettoyé l’église et rincé à l’eau claire les éléments concernés. Les lambris et confessionnaux sont particulièrement concernés par ce problème, notamment car leurs nombreuses moulures et leurs angles nécessitent un nettoyage minutieux.

Déformations et désolidarisations

En absorbant ainsi l’humidité environnante, le bois gonfle, ce qui risque de provoquer des déformations et des fissures. Si les objets en bois sont composés de différents morceaux assemblés entre eux, l’eau peut également provoquer la désolidarisation des collages. Le pied de la chaire de vérité de l’église de Wavre est composé de plusieurs morceaux assemblés. Ceux-ci ont réagi et bougé de façon différente lors de l’inondation, ce qui fait que les jointures ne sont plus bord à bord, et que les surfaces planes sont à présent gondolées. Le même problème s’observe sur les statues en ronde-bosse constituées de plusieurs pièces de bois.

Polychromie endommagée

Le mouvement du bois qui gonfle peut également provoquer des soulèvements et des écailles dans la couche de polychromie qui le recouvre. Cette couche, composée de plusieurs niveaux, risque de ne pas suivre uniformément le mouvement du bois et ainsi être endommagée. Les retables peints sont particulièrement sensibles à cette problématique. Ainsi, la polychromie des autels latéraux de l’église de Wavre, déjà endommagée avant les inondations, se soulève et se craquèle en de nombreux points. 

 

Le cas particulier des lambris

Un dernier dommage en lien avec les inondations est tout à fait spécifique aux églises lambrissées, ce qui est le cas de Wavre et Basse-Wavre (ainsi que les églises Notre-Dame des Recollets à Verviers). Des lambris habillent en effet l’ensemble de la nef et une partie du chœur. L’eau est ainsi passée derrière ces lambris, créant entre les murs et le bois un milieu humide et boueux. Or, la présence des lambris empêche que cela sèche de façon adéquate, favorise un développement de moisissures à l’arrière et risque de provoquer des problèmes aux maçonneries.

Ces altérations se développent à l’arrière des lambris et ne sont donc pas visibles sur base d’une simple observation. Mais la présence d’humidité au niveau du bois peut également conduire au développement de moisissures, à l’apparition d’insectes xylophages ou encore de cristaux de sel à la surface du bois

Afin de pallier ces altérations, en accord avec l’AWaP – étant donné que les deux bâtiments sont classés - les lambris des églises de Wavre et Basse-Wavre vont probablement devoir être démontés afin de favoriser la circulation de l’air.

Les bons gestes

  • 1. Premiers gestes

En cas d’inondation, un des premiers secours à apporter au patrimoine en bois est de le laisser  sécher. Pour les éléments qui sont mobiles, il faut les déplacer dans une zone propre, sèche, et sécurisée, et créer une circulation d’air. Certains éléments immobiliers comme les estrades et les bancs peuvent être placés sur de petites cales afin d’aérer par dessous.

Si certains objets présentent des traces de boue, de souillures ou encore de résidus liés aux extincteurs, il ne faut pas les frotter, car cela risque de faire pénétrer l’encrassement en profondeur dans l’objet. Il vaut mieux les tamponner délicatement avec un linge. Dans les premiers jours qui suivent le sinistre, les éléments en bois nu, ciré ou vernis qui ont déjà été mouillés peuvent être rincés à l’eau claire. Au plus on attend, au plus il sera difficile de nettoyer les objets.

Les surfaces polychromées boueuses doivent être nettoyées impérativement par des professionnels de la conservation-restauration, surtout si les polychromies présentent des écailles ou des soulèvements en surface. Il faut alors absolument éviter de les toucher afin de ne pas perdre de matière picturale.

Si les différentes parties constitutives de mobilier en bois semblent se désassembler (autels, chaire de vérité, etc.), il est possible de les sangler afin de les maintenir ensemble le temps qu’elles sèchent et éviter ainsi les déformations. Ne pas trop serrer et protéger les points où la sangle pourrait marquer la surface.

  • 2. Traiter les moisissures

Les moisissures doivent être rapidement traitées, afin d’éviter qu’elles ne continuent à se développer et ne se propagent aux éléments encore sains. Idéalement, les éléments meubles moisis doivent être isolés des autres, et conservés dans un milieu non-ventilé afin de ne pas risquer de disperser les spores. Les éléments immobiliers doivent quant à eux être traités le plus rapidement possible afin d’éviter qu’ils ne contaminent d’autres éléments. Afin de ralentir la progression des moisissures, il peut être envisagé de laisser la lumière allumée durant la nuit, les champignons aimant l’obscurité.

Il faut avant toute chose savoir que le bois historique et le bois non-historique nécessitent des traitements différents. Le bois non-historique (type socle de Wavre, ou une estrade contemporaine par exemple) peut être traité à l’aide de vinaigre de maison, en imbibant un chiffon microfibre à tamponner ensuite sur les surfaces concernées (ne pas brosser pour éviter la dispersion des spores). Le chiffon doit ensuite être jeté après utilisation. Un chiffon micro-fibre peut également être utilisé pour essuyer délicatement les efflorescences de sels à la surface du bois. Le bois historique doit être traité avec un produit spécifique (par exemple un mélange de 70% d’eau déminéralisée et de 30% d’éthanol à 90%), en réalisant d’abord des tests sur de petites zones afin de vérifier que le bois ne réagit pas à l’application du produit (décolorations, parties qui s’abîment). Ce travail doit idéalement être confié à un professionnel de la conservation-restauration.

Les moisissures peuvent être dangereuses pour la santé et il faut impérativement éviter d’en inhaler. En cas de traitement contre les moisissures du patrimoine, il convient de s’équiper en conséquence: masque FFP3, gants jetables en nitrile, tenue adaptée à laver à très haute température après utilisation, éventuellement des lunettes de protection. Il faut également toujours se désinfecter les mains après avoir manipulé des objets présentant des moisissures. 

  • 3. Retirer la croûte de boue

Les éléments qui présentent des traces de boue doivent être nettoyés. Comme la boue est sèche, l’idéal est de la retirer à sec (sans eau) à l’aide d’une brosse à poils souples. S’il y a des moisissures, il faut arrêter directement de brosser afin de ne pas disperser les spores, et traiter les moisissures avant de reprendre le dépoussiérage. Après le brossage, il est conseillé de passer sur toutes les surfaces avec un chiffon micro-fibre. Ce type de nettoyage ne peut être fait que sur des surfaces de bois nu. Les surfaces polychromées boueuses doivent être nettoyées impérativement par des professionnels de la conservation-restauration, surtout si les polychromies présentent des écailles ou des soulèvements.

  • 4. Suivi régulier sur le long terme

Il est très important dans les semaines qui suivent une inondation de continuer à surveiller attentivement l’apparition de nouvelles altérations. L’humidité restera ainsi élevée durant plusieurs semaines, ce qui favorise le développement potentiel de moisissures et d’insectes xylophages. Le bois présent en milieu humide, même sans être directement inondé, risque également toujours de gonfler et s’altérer.

 

Elise Philippe

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