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Ouverture sur la lumière : un portail en laiton à Liège

Publié le 08/10/2021

Le jeudi 16 septembre 2021, veille de la fête de saint Lambert, patron du diocèse, était un jour de fête à Liège. Représentants religieux et politiques , habitants de Liège ou encore passionnés de patrimoine se sont rassemblés dans la cathédrale Saint-Paul. Ce jour-là, la vedette était indéniablement la double porte contemporaine en laiton doré et le sas d’entrée vitré, une création  du sculpteur belge Jacques Dieudonné

La cathédrale Saint-Paul

L’église primitive fut fondée avec son chapitre en 966 par l'évêque Eracle (959-971). Achevée par Notger, l’église devait être de type ottonien, constituée de deux chœurs. De style gothique, l’église actuelle fut érigée de 1240 à 1430. Elle faisait partie alors des sept collégiales liégeoises avec celles de Saint-PierreSainte-Croix, Saint-JeanSaint-DenisSaint-Martin et Saint-Barthélemy. 

En raison de la destruction de la cathédrale Saint-Lambert, la collégiale Saint-Paul devint cathédrale en 1802. Le bâtiment connut alors une grande campagne de restauration et d'agrandissements pour le transformer en joyaux digne d’une cathédrale. La tour a été surmontée du clocher et de la flèche en 1804. On y plaça le carillon de l'ancienne cathédrale Saint-Lambert. L’année suivante, les orgues de l'ancienne collégiale Saint-Pierre  et la plupart des trésors de Saint-Lambert sont transportés et placés dans la nouvelle cathédrale. La place Saint-Paul a été entièrement aménagée en 1820 pour mettre en avant l’édifice, devenu un fleuron de l’architecture liégeoise, et lui conférer une place de premier plan au cœur de la ville. 

Elle reste aujourd’hui « une lanterne à une quête de l’au-delà ou même, pour les croyants, à une transcendance » nous livre Monseigneur Jean-Pierre Delville, évêque de Liège, lors de son oratoire. « Un lieu de culte c’est un lieu pour tous ; ce patrimoine appartient de ce fait à toute la communauté » conclut-il.

Un édifice récemment restauré

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Vitraux de l'artiste suisse Honegger. Photo de l'auteur.

L’enveloppe extérieure de la cathédrale Saint-Paul, édifice classé patrimoine majeur de Wallonie, a entièrement été rénovée : vitraux et charpentes restaurées, sécurisation, nettoyage des façades et pierres fragilisées remplacées à l’identique. 

Pour poursuivre ce programme de rénovation, le projet prévoit le réaménagement des deux places qui encadrent la cathédrale : celles de Saint-Paul et de la Cathédrale.

En parallèle, depuis une dizaine d’année la cathédrale se pare de créations contemporaines à l’initiative d’un mécène, Michel Teheux : tout d’abord avec le mobilier dans le chœur du sanctuaire en 2012, puis une série de 23 vitraux (en plusieurs phases) de Kim En Joong et Gottfried Honegger. Ces apports modernes dans l’édifice ancien en ont changé irrémédiablement l’atmosphère.

Cette restauration est un succès, comme en atteste l’engouement de la communauté locale pour le projet. Comme l’a souligné lors de son discours le bourgmestre de la Ville de Liège Willy Demeyer, « la meilleure conservation c’est l’appropriation par la population ». Le mélange d’ancien et de moderne semble donc plaire à la majeure partie.

En septembre 2021, un nouveau portail d’entrée est venu parfaire ce programme de rénovation.

La porte et le vitrail du portail nord

Une nouvelle porte remplace désormais la porte en chêne massif de style néogothique du XXe siècle. Fabriquée en verre et laiton doré par les Ateliers Saint-Jacques & la Fonderie de Coubertin à Saint Rémy-lès-Chevreuse, l’œuvre a été imaginée et dessinée par le sculpteur-plasticien Jacques Dieudonné. L’artiste est heureux du résultat, même s’il a trouvé difficile de laisser son œuvre entre les mains de quelqu’un d’autre. Vu le volume de la porte, il était totalement impossible de la réaliser dans son atelier. 

Le laiton doré est une matière qui se façonne assez facilement, mais cette œuvre monumentale a tout de même représenté un challenge pour les artisans, au vu des dimensions et du poids des deux vantaux, chacun pesant 250 kg. 

Ce nouveau portail a été conçu avec le vitrail qui le surplombe par le même artiste . Ils sont de même style, de même couleur dorée et reprennent le même motif courbé. Ce vitrail supérieur a été réalisé par la technique du thermoformage (qui permet de donner une structure choisie à un verre peu marqué) associée au floating (procédé de fabrication du verre plat dans des fours à bassin grâce à un écoulement de la matière sur un bain d'étain en fusion) dans les Ateliers Loire de Chartres sur base d’une maquette de Jacques Dieudonné.

Baigné dans une couleur presque irréelle grâce au verre doré de la porte, le porche vitré ouvre généreusement la cathédrale vers l’extérieur et invite le passant à entrer dans ce havre de paix où se mêlent sérénité et prières.

 

La nouvelle porte et le vitrail. Vu de jour et vu de nuit. Photos de l'Atelier Loire-Vitrail.

L’artiste : Jacques Dieudonné

Jacques Dieudonné a étudié à l’ancienne Ecole d’Art de Maredsous, et a été diplômé compagnon bijoutier-joaillier de la Chambre des métiers d’Alsace, également de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Strasbourg et finalement des Beaux-Arts. Il s’est très vite concentré sur le métal pour ses créations.
Dès 1985, il commence à travailler sur des œuvres de plus grande ampleur, principalement à base de laiton. Sa quête spirituelle trouve à s’exprimer dans du mobilier liturgique en Italie, en France, en Belgique, …

La volonté des mécènes

Souhaitant avant tout que la nouvelle porte soit un signe d’ouverture, les mécènes privés hutois Michel Teheux et sa sœur Marie-Bernadette ont financé l’ensemble du porche et l’inauguration de celui-ci. 

A ceux qui seraient intrigués de voir une porte aussi moderne sur un édifice religieux ancien, Michel Teheux réplique qu’une vieille église c’est avant tout le fruit de générations et de générations qui se sont succédées et qui ont donné le meilleur d’elles-mêmes pour rendre l’édifice fastueux. et encore que La cathédrale dont les murs transpirent surtout des prières de générations de croyants est de ce fait plus qu’un bâtiment, c’est un patrimoine, une trace fragile du passé qu’on nous a donnée. Honorer notre héritage, c’est le conserver mais respecter la vieille dame c’est parfois la provoquer pour qu’elle reste vivante : l’adapter avec des rénovations, la confronter à une nouvelle jeunesse sans jamais la farder.” 

Pourquoi notre génération ne pourrait-elle pas également y marquer notre époque ? Selon le mécène, il faut également que nous laissions une trace de notre manière de penser, de vivre, d’expérimenter les choses sur les édifices anciens, sinon nous les intégrons dans notre quotidien de manière complètement passive et n’entretenons avec eux aucune relation. Pire encore, nous faisons de nos églises des musées. Il faut absolument habiter les lieux religieux pour les conserver convenablement.

Entre abstraction et interprétations

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La nouvelle porte et son motif. Photo de l'Atelier Loire-Vitrail.

Le nouveau portail est divisé par des lignes horizontale et verticale comme une croix éclatée. Selon Jacques Dieudonné « La croix ne peut pas se terminer avec la mort ». De ce fait, il l’a représenté tordue pour signaler qu’il y a bien une vie qui s’en dégage. 

Cette « croix » est coupée d'un motif en relief, ressemblant à une courbe entre un fer à cheval et une demi-lune. Ce motif crée un mouvement qui attire le regard vers les vitraux qui surplombent la porte où le même motif courbe figure à trois reprises. 

La signification de ce « C » renversé est très variable. Chacun peut en donner sa propre interprétation. Dans les yeux de l’artiste “Ce sont des bulles qui éclatent ; symbole de la résurrection dans la joie”. Michel Teheux, lui, y voit "l'idée de la passion“ alors que Mgr Delville l’envisage « comme un grand sourire qui invite les gens à entrer. “ 

Si le dessin de la porte, une fois fermée, représente un grand sourire, celui-ci invite clairement à entrer. De plus, par ses dimensions hors normes et sa couleur dorée, l’entrée est vraiment mise en valeur et marque l’importance et la signification du lieu. C’est un geste volontairement fort et contemporain pour inviter les passants d’aujourd’hui à y pénétrer. De plus, le doré permet un vrai jeu de lumière. En effet, la lumière du jour s’y reflète et la transfigure presque comme le soleil sur terre. 

L’inauguration

Après les discours officiels, c’est une cantate "L’ange des portails" pour récitant, soliste et synthétiseur, de Luc Baiwir sur un texte de Michel Teheux, scénographiée par Luc Petit, une production de Nocturnales et Anima’rt qui a encore ajouté de la féérie au lieu. Cliquez ici pour voir une vidéo du spectacle.

Spectacle du 16 septembre 2021. Photos de l'auteur.

Le lendemain

buste_saint_lambert_liègeLe lendemain à 18h, Monseigneur Delville a béni le nouveau portail lors de la messe solennelle de la Fête de saint Lambert. A cette occasion, fait exceptionnel, le buste-reliquaire du saint, une des œuvres majeures du Trésor, est sorti en procession dans la cathédrale.

Le buste-reliquaire de saint Lambert.

Photo © Trésor de Liège.

 

Vinciane Groessens

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