CIPAR

SOS peintures en détresse

Publié le 02/03/2023

La conservation préventive est une tâche indispensable pour assurer la préservation du patrimoine. Pour ce qui est du mobilier d’église, il arrive que certains biens présentent un état de conservation parfois problématique qui nécessite une intervention d’urgence spécifique. Quoi de mieux que d’illustrer notre propos par la mise en lumière d’un cas d’étude concret : des toiles peintes du XVIIe siècle.

Suite aux inondations de l’été 2021, plusieurs églises paroissiales ont été plus ou moins durement touchées. Bien que bon nombre de biens mobiliers ont pu être sauvés grâce aux fabriques d’église et aux instances patrimoniales, certains œuvres se retrouvent encore conservées dans des environnements peu adéquats à leur bonne conservation, par manque de lieux de dépôts de transit et de moyens humains.

Heureusement, des interventions ponctuelles s’organisent encore aujourd’hui pour sauver des œuvres d’une dégradation lente mais certaine. La dernière en date remonte au mois dernier, à l’initiative du service patrimoine de l’évêché de Liège, à laquelle le CIPAR a été convié pour prêter main forte. L’objectif de l’intervention a été le traitement fongicide et la mise en sûreté de deux peintures sur toile datant de la deuxième moitié du XVIIe siècle, représentant respectivement l’Adoration des Bergers et la Mise au tombeau.

Ces tableaux mesurent tous deux 168 cm (hauteur) sur 273 cm (largeur), dimensions qui ont constitués un enjeu de taille pour concrétiser l’opération. Outre leur manipulation, il a fallu trouver un mode de transport adéquat et suffisamment grand pour pouvoir les transporter dans leur nouveau lieu de dépôt de transit.

Œuvre accrochée au mur       Œuvre décrochée
Œuvre accrochée au mur                                                 Œuvre descendue

Établir un constat d’état précis : une étape indispensable

Ces deux œuvres baignaient encore le mois dernier dans un environnement très humide (taux d’humidité relative évalué à environ 80%), provoquant l’apparition et la prolifération de moisissures. En effet, la couche picturale, le revers de la toile et le châssis des deux biens étaient intégralement infestés. Outre les moisissures, le revers d’une des deux toiles (celle représentant l’Adoration des Bergers) était aussi couvert de petites larves blanchâtres. La toile avait été restaurée au début du XXe siècle au cours de laquelle le restaurateur avait probablement utilisé de la colle animale mélangé à de la colle de farine, constituant ainsi des nutriments permettant le développement de ce type d’organismes.

Heureusement, aucune attaque active d’insectes xylophages avait été repérée au niveau des châssis des œuvres. La couche picturale ne présentait à priori pas de signe de fragilité.

Les œuvres étaient toutes deux accrochées aux murs d’une église depuis plusieurs années, elles n’avaient pas été descendues après les inondations et par conséquent, l’infestation était très étendue.

Sur base de ce diagnostic, nos collaborateurs ont pu cibler un protocole de traitement adéquat et organiser une opération de sauvetage par phases, sous la supervision de Delphine Gourdon, conservatrice-restauratrice de biens culturels pour le diocèse de Liège.

Une intervention délicate

La première étape a constitué en la dépose des toiles peintes. En effet, elles étaient encore accrochées au mur par d’anciens systèmes de fixation se constituant de fil métallique enchevêtrés.

Après leur retrait et leur dépose délicate par le menuisier Sébastien Pirghaye, œuvrant dans plusieurs églises classées, le traitement a pu concrètement débuter au niveau des revers des toiles et des châssis.

revers des toiles et des châssis

Pour extraire les moisissures, nos collaborateurs ont d’abord aspiré délicatement toutes les surfaces à l’aide d’aspirateurs muséaux et de pinceaux. Il s’agit là d’un procédé de conservation préventive qui consiste à détacher les moisissures à l’aide d’un pinceau, en direction de l’embout de l’aspirateur. Pour éviter d’endommager les surfaces des œuvres, les embouts n’étaient pas directement posés contre elles. Les aspirateurs muséaux, dotés de réglages d’aspiration bien spécifiques, étaient tous munis d’un filtre HEPA, ce qui empêchait par conséquent la diffusion des spores.

Aspirateur de musée Aspirateur de musée

Une fois les faces avers et revers intégralement aspirées, les châssis en bois ont été couverts d’une solution liquide insecticide à l’aide d’un nouveau pinceau propre. L’application de cette substance est un traitement pour prévenir de potentielles attaques d’insectes xylophages. Le revers des deux tableaux a été traité avec un antimycosique bien connu pour les soins humains (le miconazole), pour éviter l’apparition de nouvelles moisissures.

En fin de traitement, tous les pinceaux usagés ont été plongés dans un bain d’éthanol 96%, pour assurer une désinfection optimale.

Traitement antimycosique Traitement antimycosique

Au même titre que les sports extrêmes ou que les cascades vues à la télévision,
la même phrase vaut en conservation-restauration : ne reproduisez pas cela chez vous !
Le traitement explicité dans le présent article a été réalisé par des professionnels du milieu patrimonial.

Ensuite, après avoir laissé agir les produits durant plusieurs heures, les œuvres ont été soigneusement emballées dans un papier synthétique non tissé et respirant. Actuellement, les œuvres sont placées en sécurité dans un lieu à l’hygrométrie plus adaptée et elles sont contrôlées par le service patrimoine de l’évêché de Liège.

Les oeuvres placées en sécurité dans un lieu à l’hygrométrie

Qui contacter en cas de constats de moisissures dans les églises paroissiales ?

Les traitements fongicides appliqués sur le patrimoine religieux consistent en des interventions qui nécessite une formation adéquate et par conséquent, n’hésitez pas à avoir le réflexe à vous tourner vers les services diocésains compétents.

Si vous êtes vous-mêmes confrontés à des infestations de moisissures, entreprenez les démarches suivantes :

  1. Ne touchez à rien (pour éviter la propagation des spores)
  2. Prenez de bonnes photos nettes et en couleurs
  3. Envoyez-les aux service patrimoine de votre diocèse (cliquez ici pour retrouver les coordonnées). En effet, ils pourront évaluer les solutions les plus adéquates sur base d’un constat d’état précis ou vous rediriger vers des conservateurs-restaurateurs formés et compétents.

 

Maura Moriaux

CIPAR - Centre Interdiocésain du Patrimoine et des Arts Religieux linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram