La Conversion de saint Paul, chef-d’œuvre du sculpteur Laurent Delvaux à Nivelles
Aujourd’hui placé au fond du chœur occidental de l’église Sainte-Gertrude, cet imposant groupe sculpté en chêne, signé et daté « L. Delvaux. Invenit. et. / Sculpsit. 1736 », a été initialement réalisé pour le maître-autel de l’église Saint-Paul à Nivelles, un oratoire aujourd’hui disparu qui dépendait de la collégiale. Transféré à Sainte-Gertrude en 1798, il est aujourd’hui mieux connu grâce aux savants travaux d’Alain Jacobs[1]. Endommagé en 1940, il a été restauré par Christian Patriarche à la fin des années 1970 ; plusieurs morceaux ont été recollés.
Fiche d’identité :
Laurent Delvaux
1736
Chêne
l. 333cm – L. 227 cm – P. 100 cm
Eglise Sainte-Gertrude, Nivelles
Classé le 26 mars 2010
Articulée selon un rythme bien balancé entre la hauteur et la largeur, cette ronde bosse impressionnante renvoie à l’épisode le plus célèbre de l’iconographie de l’Apôtre des Gentils. Comme l’évoquent à plusieurs reprises les Actes des Apôtres, Saül, un juif bénéficiant de la citoyenneté romaine, se rendait à Damas pour y opprimer les chrétiens lorsqu’il fut ébloui par une lumière divine qui le renversa et l’aveugla. Si ses compagnons de route furent également éblouis, eux n’entendirent pas la voix du Seigneur interpelant Saül sur son attitude de persécuteur.
Le groupe sculpté s’inscrit dans la riche tradition iconographique du sujet, une tradition qui a pris quelques libertés par rapport au texte biblique ; ce fut souvent le cas dans l’histoire de l’art chrétien. Ainsi, dans le texte original, n’est-il nulle part question d’un cheval, élément qui s’est pourtant imposé très tôt dans l’iconographie pour conférer à Saül le statut de commandant de l’expédition envoyée à Damas pour châtier les disciples du Nazaréen. Il n’est pas davantage question de soldats romains dans le texte, alors qu’ici Saül est représenté en officier romain accompagné de deux légionnaires.
Dans le groupe sculpté par Laurent Delvaux, le cheval figure, à gauche, au pied d’un curieux arbre mort ; l’animal manifeste sa frayeur en contrepoint à celle qu’exprime Saül, allongé à son flanc. Delvaux s’inscrit ici dans une tradition iconographique spécifique qui montre le persécuteur des chrétiens avec une jambe coincée sous le corps de sa monture. Un légionnaire se penche pour redresser son chef, tandis qu’un autre, tenant sa lance dans la main gauche, tourne le regard vers le ciel et lève la main en signe de crainte devant la lumière qui l’aveugle. Si ce sujet a été souvent traité en peinture, en gravure ou en bas-relief, sa représentation dans une ronde bosse de grandeur nature est tout à fait exceptionnelle.
La composition s’avère également originale par la forte présence du non-dit. Le Christ figurant traditionnellement dans la partie supérieure des compositions de ce sujet n’est pas représenté ; il était évoqué par un éclair représenté dans un vitrail du chœur de l’église d’origine. Sa présence inhérente à l’épisode choisi n’en est pas moins volontairement implicite : elle se devine au travers des gestes et des regards du héros abattu et du soldat au second plan.C’est une conception iconographique singulière. Le groupe était à l’origine complété par des angelots et devait bénéficier d’une ampleur peu commune par son insertion sur le vaste autel, sans doute à portique, qui fut dessiné par Laurent Delvaux lui-même. Un modello en terre cuite du groupe sculpté, où percent moins d’intensité dramatique et d’expressivité, est conservé au musée de Saint-Amand-les-Eaux depuis 1987.
Il me semble que, dans le modèle en particulier (voir le soldat penché), Delvaux se soit partiellement inspiré d’une gravure de même sujet dans laquelle le peintre et graveur français Laurent de La Hyre a transposé une grande composition de sa main peinte en 1637 pour la cathédrale Notre-Dame à Paris.
Avec Guillaume Evrard, Laurent Delvaux (1696-1778) apparaît comme la figure de proue de la sculpture du XVIIIe siècle en pays wallon. Commandé entre 1734 et le début de 1736, la Conversion de saint Paul est de peu postérieure à l’installation à Nivelles du sculpteur d’origine gantoise. C’est la plus ancienne pièce en bois connue de cet artiste, et sans doute la plus grandiose. Elle est marquée par le vocabulaire plastique romain rappelant que son auteur a séjourné à Rome de 1728 à 1732. C’est aussi une œuvre majeure en ce qu’elle prolonge le baroque du XVIIe siècle, mais en lui conférant un souffle de modernité en rupture avec le baroque tardif flamand : elle annonce avec éclat la vague néo-classique.
Quoiqu’étant déjà intégrée au classement de l’édifice, cette œuvre de premier plan bénéficie, depuis le 26 mars 2010, du titre de trésor de la Communauté française pour sa grande qualité de conception et pour son importance dans l’histoire de l’art. L’ancienne collégiale de Nivelles étant quotidiennement ouverte au public, le groupe de Laurent Delvaux peut être admiré à tout moment.
Pierre-Yves KAIRIS
Vice-président de l’Institut archéologique liégeois
[1] Alain Jacobs, Laurent Delvaux. Gand, 1696-Nivelles, 1778, Paris, 1999, spécialement p. 269-273 ; Idem, « Laurent Delvaux. La Conversion de saint Paul », dans Catalogue de l’exposition Fascination baroque. La sculpture baroque flamande dans les collections publiques françaises (Cassel), Paris et Cassel, 2011, p. 64-65.
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Tous les jours de 9h à 18h de Pâques au 31 octobre
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KAIRIS P.-Y., Conversion de saint Paul dans DELCOR Fr. (éd. resp.), Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, coll. Protection du Patrimoine culturel, 1, Bruxelles, 2015, p. 200.
JACOBS A., Laurent Delvaux. Gand, 1696-Nivelles, 1778, Paris, Arthéna, 1999, spécialement pp. 2696-271.
JACOBS A., « Laurent Delvaux. La Conversion de saint Paul », dans Fascination baroque. La sculpture baroque flamande, (Les collections publiques française (Cassel)), cat. exp., Cassel et Paris, Somogy et Musée de Flandre, 2011, pp. 64-65.