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La Gleize : une église riche en patrimoine

Publié le 20/07/2023

L'église de La Gleize possède un trésor composé de remarquables pièces parmi lesquelles une vierge mosane en chêne du XIVe siècle, une statue baroque d’un ange gardien du XVIIIe siècle ainsi que de nombreuses chasubles et pièces d'orfèvrerie. Cette église « patrimoniale » abrite également le monument funéraire des seigneurs de Froidcourt du XVIe siècle. Découvrons-la ensemble.

Quelques mots sur l'église

L’église paroissiale de l’Assomption à La Gleize est un édifice de style roman construit en plusieurs étapes à partir du début du XIIe siècle. Sa présence est déjà mentionnée lors du dénombrement de 1130.

En 1944, lors de la contre-offensive von Rundstedt, le village de La Gleize est sévèrement touché. L'église est utilisée dans un premier temps comme lieu de rassemblement des blessés et sert également d'abri aux survivants gleizois. L’église faisait alors partie d’une liste "de monuments à protéger en priorité dans les pays libérés" dressée par des officiers américains qui y étaient passés. Fin décembre, des obus attaquent l'édifice et détruisent de nombreux objets et le clocher. Les travaux de reconstruction débutent en 1949 et s’achèvent deux ans plus tard.

Vierge de Calvaire

Fiche d'identité :

Ecole mosane, vers 1320-1330

Chêne, polychromie entièrement décapée

h. 103 cm

Eglise de l’Assomption de la Vierge, La Gleize

Classé le 6 mai 2013 

La Vierge de Calvaire date de la première moitié du XIVe siècle. Guillaume del Dyck l’aurait offert à l’église de la Gleize en 1527. Malgré les bombardements de 1944, la statue a été épargnée et retrouvée en bon état dans les décombres (hormis un impact dans le voile). La volonté des Américains était de la transporter à l’évêché de Liège. Quelques Glezois s’y opposèrent et l’œuvre resta, à l’abri dans la cave d'une maison du village. En 1951, elle regagna sa place dans l’église alors tout juste reconstruite.

La statue est en chêne, certainement polychromée à l’origine. Cette polychromie a aujourd’hui entièrement disparu. La statue repose sur un socle creusé dans le même bloc de bois.

Description

Cette représentation de la Vierge se caractérise par une silhouette longue, élancée et sinueuse, des épaules fines et un visage doux, avec un front haut et bombé et une large bouche délicatement ourlée. L’attitude est déhanchée, la jambe droite légèrement avancée, ce qui lui confère le nom de la Vierge dite « déhanchée ». La Vierge est vêtue d’une robe et d’un long manteau drapé. La tête est couverte d’un voile. Le travail du drapé souligne parfaitement la position corporelle. Tandis que la main gauche est posée sur la poitrine, celle de droite est levée.

Iconographie

Vierge. détail du visage
Vierge du Calvaire de La Gleize. Détail du visage. © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché A011374

Les traits juvéniles de la Vierge et la gestuelle gracieuse ont laissé croire de longues années qu’il s’agissait d’une représentation de l’Annonciation.

Mais l’église de La Gleize conserve également un Christ datant de la même période, sculpté dans le même bois (encore polychromé). Cette œuvre retrouvée dans les combles de l’église à la fin des années 1960 questionne l’iconographie jusque là acceptée de tous de la première. Si les deux œuvres sont de la même main, ce qui semble plus que probable, il s’agirait plutôt d’un Calvaire dont le saint Jean a été perdu. Notons que le Christ est en mauvais état de conservation.

Cette confusion, aisément compréhensible, se justifie en grande partie par l’appartenance de cette Vierge au courant maniériste qui imprègne la sculpture rhéno-mosane durant les premiers tiers du XIVe siècle.

Cette première identification comme Vierge de l’Annonciation est par exemple reprise dans l’article américain de Forsyth[1], où il compare la statue de La Gleize avec d’autres vierges mosanes de la même période.

Du point de vue stylistique

La Vierge de La Gleize présente beaucoup de caractéristiques du maniérisme. Elle peut être rapprochée des statues d’apôtres du chœur de la cathédrale de Cologne. Elle présente également beaucoup de similitudes avec la production du maître mosan des madones en marbre blanc et avec deux groupes de calvaire conservés dans la commune de Louviers, en Normandie.

Les spécificités du mosan se repèrent principalement dans le visage de la Vierge et son air mélancolique, dans ses mains aux doigts longs et effilés, dans son buste étroit aux épaules tombantes, dans son front haut et bombé et finalement dans ses lèvres ourlées. Le travail du drapé est également très caractéristique de l’art mosan du XIVe siècle.

Pourquoi est-elle classée ?

Œuvre remarquable, la Vierge de la Gleize est un témoin majeur et particulièrement représentatif, pour la région mosane, d’une phase stylistique au cours de la première décennie du XIVe siècle. Cette sculpture est sans nul doute, par sa qualité de conception et d’exécution et par son raffinement, un des plus beaux exemples de la tendance maniériste. En outre, en très bon état de conservation, le classement avec la qualification de trésor s’imposait comme une évidence.

Vinciane GROESSENS, CIPAR


L’ange gardien de La Gleize

L'ange gardien de La Gleize
L'ange gardien de La Gleize © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché KN002942

Fiche d'identité :

Vers 1725-1730

Tilleul polychrome

Archange : H. 133cm – L. 76 cm – P. 44 cm

Tobie : H. 66cm – L. 40 cm – P. 18 cm

Eglise Notre-Dame de l’Assomption, La Gleize

Classé le 24 novembre 2014 

Description

Nous voici face à un groupe sculpté représentant un adulte menant un jeune enfant par la main. Cet enfant est Tobie (du Livre de Tobie dans l’Ancien Testament) accompagné et protégé par l’archange Raphaël lors du périple qu’il mena pour se rendre chez un créancier de son père.

Au moyen-âge, Tobie, qui rapporta de son périple le fiel d’un poisson qui guérira la cécité de son père, était perçu comme une préfigure du Christ apportant la lumière au peuple d’Israël devenu aveugle. Le thème original de ce récit sera peu à peu remplacé par celui de l’ange gardien protégeant un petit enfant face aux dangers de la vie, parallèlement au développement du culte de l’ange gardien en Occident. De l’adolescent sous les traits duquel il était représenté à l’origine, Tobie prendra alors progressivement l’apparence d’un garçonnet de plus en plus jeune.

Les sculpteurs baroques de nos régions s’empareront de ce thème, d’où les nombreux groupes sculptés l’illustrant en de remarquables interprétations (de telles œuvres de Jean Del Cour et ses élèves sont toujours présents en l’église Saint-Sébastien de Stavelot, au Grand Curtius à Liège, en l’église Saint-Martin de Comblain-au-Pont, en l’église Sainte-Catherine à Liège, etc.).

Spécificités de l’œuvre

L'ange gardien de La Gleize. Détail du visage
L'ange gardien de La Gleize. Détail du visage © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché KN002944

L’iconographie de l’œuvre n’est donc pas spécialement originale, si ce n’est l’absence d’aile à l’ange, celui-ci masquant sa vraie nature à l’enfant. Stylistiquement, l’ensemble est assez inclassable, rien ne l’apparentant au baroque tourmenté des Jean Del Cour, Jean Hans ou encore Cornelis Vander Werck, ni aux sculptures issues des ateliers anversois, si ce n’est au style de Walter Pompe (début du XVIIIe siècle) pour ce qui est du rendu du mouvement et de la douceur des visages.

Il ne s’agit pas moins d’une œuvre de grande qualité, dont l’originalité réside en fait dans la nature des techniques décoratives mises en œuvre pour la polychromie. L’enduit blanc qui recouvrait la statue depuis le XIXe siècle ayant été retiré lors d’une restauration menée par l’IRPA, la carnation des personnages apparait dans toute sa finesse, de rose pâle avec les pommettes rose vif pour les deux personnages, les yeux bleus pour l’ange et brun pour l’enfant. L’alternance de brun clair et de brun plus foncé dans les cheveux de l’ange rendent ceux-ci également très réalistes. La tunique de l’ange est dorée (ocre dans le creux des plis et feuille de laiton sur leur crête, procédé peu onéreux utilisé par les sculpteurs baroques pour imiter l’or), avec une ceinture rouge sur une face et bleue sur l’autre, et des sandales bleues.

L'ange gardien de La Gleize. Détail de Tobie
L'ange gardien de La Gleize. Détail de Tobie © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché KN002946

C’est surtout la polychromie de la robe de l’enfant qui est exceptionnelle et rarissime dans la sculpture de nos régions : elle relève de la technique de l’aventurine, attestée à partir de la fin du XVIIe siècle et consistant à donner à la couche picturale l’aspect brillant et scintillant des soieries et des brocards en la parsemant de paillettes métalliques. Avant séchage complet des couleurs, le peintre a saupoudré l’ensemble des vêtements de paillettes de cuivre argenté recouvertes d’un glacis jaune.

Cette grande qualité plastique de l’œuvre, se distinguant par l’originalité de son style mais surtout par celle de sa polychromie, lui confère son statut d’unicum en Wallonie et lui a valu son classement au titre de trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2014.

Léopold D'OTREPPE, CIPAR

 

 

Envie de la découvrir ?

L’ensemble est aujourd’hui magnifiquement mis en valeur dans une vitrine abritant également une dalmatique du 19e ainsi qu'une Vierge (différente de celle de l'article). La Vierge est également visible. L’église se visite le dimanche après l'office qui a lieu à 9h30.

Envie d’en savoir plus ?

BALACE S. et LEMEUNIER A., La Vierge de Calvaire, dans DELCOR Fr. (éd. resp.), Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, coll. Protection du Patrimoine culturel, 1, Bruxelles, 2015, pp. 174-175.

BALACE S., L'archange accompagné de Tobie, dans DELCOR Fr. (éd. resp.), Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, coll. Protection du Patrimoine culturel, 2, Bruxelles, 2021, pp. 116-117.

COLSON V. et GREGOIRE G., L'église de La Gleize, histoire et trésors d'une église du XIIe siècle. Répertoire des anciennes croix, 2000. (Fabrique d'église de La Gleize. Ouvrage en vente à l'église de La Gleize, au bureau d'accueil du Musée Décembre 44 et à l'Office du Tourisme de Stoumont).

DIDIER R., dans Rhin-Meuse. Art et civilisation. 800-1400, cat. d’exp., Bruxelles-Clogne, 1972, p. 368, N13.

FORSYTH W., « A Group of 14th Century Mosan sculpture », dans Metropolitain Musuem Journal, 1, 1968, p. 55.

LEGNER A., « Anmerkungen zu einer Chronologie der gotischen Skulptur des 13 und 14 Jahrhunderts im Rhein-Maas Gebiet », dans Rhein und Maas, 2, Bericht, Beiträge und Forschungen, Cologne, 1973, pp. 452 et 454.

Les informations de cet article proviennent en grande partie de l’arrêté ministériel du 24 novembre 2014 classant la statue de l’ange gardien de La Gleize avec la qualification de trésor.

[1] FORSYTH W., « A Group of 14th Century Mosan sculpture », dans Metropolitain Musuem Journal, 1, 1968, p. 55.

Nous remercions chaleureusement Monsieur Guy Colson, Président de la fabrique d'église de La Gleize pour son aide et toutes les ressources relatives à ces deux œuvres qu'il nous a envoyées.

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