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Quelques mots à propos de la Brèche de Waulsort

Publié le 29/09/2023

La Belgique fut pendant longtemps un des principaux producteurs mondiaux de marbres. Elle le doit à des centaines de belles variétés différentes exploitées au cours des siècles. Ces marbres décorent les palais et surtout les édifices religieux, ce qui explique le présent article.

Parmi ces nombreuses variétés, il y en a une qui est très particulière et que l’on appelle Marbre de Waulsort, car elle fut exploitée par les moines de l’abbaye de Waulsort. Ce marbre est en réalité une brèche, c’est-à-dire une roche formée d’éléments anguleux d’une dimension décimétrique baignant dans un ciment. Celle de Waulsort est dite polygénique car les éléments sont de nature différente. Le ciment qui consolide cette roche est soit gris, soit rouge, mais c’est cette dernière couleur qui est la plus appréciée.

Brêche de Waulsort. Photo de l'auteur

La formation géologique, dénommée « Grande brèche » qui se rencontre au sein des calcaires du Viséen supérieur (330 millions d’années) est depuis toujours un sujet de controverses entre géologues. Une des plus marquantes est due à H. Pirlet (1972), mais son article a l’avantage de faire l’inventaire des affleurements de cette roche. Selon moi, cette brèche résulte des effondrements consécutifs à la dissolution de masses importantes d’évaporites (anhydrite) présentes dans le sous-sol belge (E. Groessens, R. Conil et M. Hennebert, 1979).

Cette brèche affleure en divers points, il en résulte une multitude d’appellations qui rappellent les lieux d’exploitation : Waulsort, Fontaine-l’Evêque, Saint-Gérard, Leffe, Houx etc... et Dourlers, Berlaimont, Limont-Fontaine en Avesnois. La brèche de Waulsort, ou Herculanum est exploitée depuis les Romains et jusqu’à la Première Guerre mondiale. (H. Pirlet, 1972)

Certaines variétés de cette brèche ont aussi été appelées marbre Arlequin, le Prêcheur, et le Marqueté. À Landelies, une variété était appelée Marbre Frédéric et à Saint-Gérard elle était commercialisée comme Brocatelle de Saint-Gérard. Une carrière commercialisait ce matériau sous le nom de Marbre de Onhaye (P.F.Cauchy, 1825).

La célèbre rosace du Palais de Charles de Lorraine, formée de 28 échantillons de marbres exploités dans nos régions en 1766, illustre correctement la Brèche de Dourlair alors que l’indication Vaulsort est utilisée pour un beau marbre rouge frasnien, qui n’a jamais existé dans cette localité.

Rosace du Palais de Charles de Lorraine. Photo de l'auteur
Rosace du Palais de Charles de Lorraine. Photo de l'auteur

La formation qui géologiquement surmonte la brèche est un calcaire fin noir, à double réseau de veines blanches, l’un étant plus prononcé que l’autre, formant idéalement un dessin en losanges. Ce marbre eut son heure de gloire au milieu du XXe siècle, sous le nom de Bleu belge.

Marbre bleu belge. Photo de l'auteur

La brèche par contre, parfois appelée brocatelle lorsque les fragments sont petits, est bien connue, au moins depuis la Renaissance. Il est cependant impossible de distinguer la Brèche de Waulsort de celles de l’Avesnois, et les indications des lieux de provenance sont à employer avec prudence car elles sont surtout utilisées dans un but commercial. C’est le cas pour Dourlers dans les citations d’outre-Quiévrain.

En Belgique, on trouve ce marbre comme constituant des autels (Eglise Saint-Médard à Jodoigne,  Abbaye de Bois-Seigneur-Isaac…) ou de colonnes (Hotel de Ville d’Anvers, Cathédrale Saint-Bavon à Gand, Collégiale Sainte-Waudru à Mons,...). Des piliers sont connus à l’église Saint-Roch à Paris, et des éléments de clôture de chapelles latérales à la cathédrale Saint-Bavon à Gand. On rencontre fréquemment des cheminées en brèche de Waulsort (Abbaye de Brogne à Saint-Gérard, Musée Rops à Namur où encore au Château de Freÿr où de Bruyelle). On trouve cette brèche aussi comme dalles de pavage ou recouvrement de murs (Eglise de la Madeleine à Paris, Basilique Saint-Pierre à Rome, Eglise Saint-Jacques à Gand, Eglise d’Hastière Lavaux, Château de Versailles). L’origine des panneaux de cette brèche, que l’on voit entre autres, dans le Salon d’Hercule est dite de Dourlers. À Versailles, on rencontre une autre brèche, plutôt noire et provenant de Sauveterre de Comines dans la Haute-Garonne.

Colonnes à la cathédrale Saint-Bavon à Gand. Photo de l'auteur

  1. Autel de l'église Saint-Médard à Jodoigne. 2. Colonnes à la cathédrale Saint-Bavon à Gand. 3. Colonnes à la collégiale Sainte-Waudru à Mons. Photos de l'auteur

  1. Pavement de l'église de la Madeleine à Paris 2.  Pavement de Saint-Pierre à Rome. 3. Lambris de l'église d'Hastière. Photos de l'auteur

À Louvain-la-Neuve, dans le bâtiment Mercator, on peut voir un monument  à la mémoire du Chanoine de Dorlodot qui est aussi en brèche de Waulsort. Il existe aussi d’autres ornements d’église tels que les fonts baptismaux (Hastière-Lavaux et Bouvignes) ou des lutrins (Nivelles). Les dessus de tables ou de commodes sont aussi rencontrés fréquemment. À Munich, plusieurs maisons de maître sont aussi ornées de cette brèche.

                                                       

  1. Fonts baptismaux de l'église Saint-Nicolas à Hastière-lavaux   2. Bénitier de l'église Saint-Lambert à Bouvignes. Photos de l'auteur

Les plus anciennes références écrites sont l’Oryctologie des Sociétés royales des Sciences de Londres et de Montpellier où en 1755 l’on décrit ce matériau comme « une brèche formée de taches cendrées, blanches, rougeâtres et autres. »`L’Encyclopédie de M. de Felice (1773) nous livre une liste des marbres exploités à cette époque. Parmi ceux-ci, il cite Loff (=Leffe), Dourlens (= Dourlers) et Fontaine l’Evêque.

Buffon (1785) signale dans les environs de Dinant  une variété de marbre « d’un rouge pâle avec de grandes plaques et quelques veines blanches et une quatrième est de couleur grisâtre et blanche, mêlée d’un rouge couleur de sang ».

A. Jennepin, en 1901, écrit qu’on exploitait à Dourlers un marbre nommé brèche de Hainaut, à cause d’une vague ressemblance avec la Brèche d’Alep. Elle est effectivement très vague car cette brèche, qui ressemble plus à un conglomérat, car les éléments sont plutôt arrondis, provient de Tholonet (Aix-en-Provence) et est de couleur Jaune-orangé. À Dourlers, il ne subsiste malheureusement aucun trace de cette industrie.

Eric GROESSENS,

Dr en Sciences, Géologue (Service géologique de Belgique).
La Belgique étant un grand producteur de pierres ornementales et de marbres, il s'est attaché à la mise en valeur de ces matériaux et à leur histoire. Attaché au Cabinet du Ministre-président de la Région Wallonne. Professeur en Géologie et Géographie à l'Université catholique de Louvain-la-Neuve.
Secrétaire-général de la Société belge de Géologie et devint le premier président de Géologie Belgica. Il fait partie des fondateurs de la Fédération européenne des géologues et de l'UBLG sa branche belge. Depuis 1993, il est membre de la Commission royale des monuments, sites et fouilles.

Pour le contacter : eric@groessens.be


Bibliographie

P. Bourguignon, « Etude géologique et sédimentologique des brèches calcaires viséennes en Belgique. », Annales de la Société géologique de Belgique t. 74, 1950, pp. 105-211.

P.F. Cauchy, Mémoire sur la Constitution géologique de la Province de Namur, Mém. couronnés de l’Acad. r. de Belgique, 1825, pp. 1-148.

A.-Ch. d’Aviler « Dictionnaire d ‘Architecture civile et Hydraulique (…) » Ed Ch. A. Jombert, Paris, 1755.

E. Groessens, R. Conil et M. Hennebert, « Le Dinantien du Sondage de Saint-Ghislain » Mémoires explicatifs de la Carte géologique et minière de la Belgique, t 22, 1979, 137 p.

E. Groessens, « L’industrie du marbre en Belgique » Mémoires de Institut Géolologique de l’Université de Louvain, 1981, t. XXXI, pp 219-253.

E. Groessens, « Waulsort et les sciences de la terre », Notes Waulsortoises, Ed. du Pairy, 1981, pp. 9- 30.

E. Groessens, « Les marbres du Nord de la France et du Boulonnais », Annale de la Société Géologique du Nord, Lille, 2003 t. 10 (2°série) p. 1-10.

E. Groessens, « Une histoire des marbres exploités dans le Boulonnais », Travaux du Comité français d’Histoire des Sciences» t XXXIV, 2020, pp. 137-146.

A. Jennepin, Monographie de la Marbrerie dans l’Arrondissement d’Avesnes, Union géographique du Nord de la France, Douai, 1901, 44p.

H. Pirlet, « La Grande brèche viséenne est un olisthostrome », Annales de la Société géologique de Belgique, t. 95, 1972, pp 53-134.

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