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Splendeur d’un nouveau Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles : la Vierge au croissant de lune de l’église Saint-Jacques à Liège

Publié le 27/10/2023

En pénétrant dans l’église Saint-Jacques à Liège, le.a visiteur.euse ne peut rester insensible à la douceur et à la splendeur de la Vierge présentée à l'entrée du chœur, au-dessus d’une colonne adossée à un pilier du côté nord. Grandeur nature, elle mesure 164,3 cm de haut (N° objet Balat : 10063506). La sculpture en chêne conserve sa riche polychromie d’origine qui comporte la date de 1525 visible au dos.

Un saint Joseph réalisé en 1885 par Léopold Blanchaert et Jules Helbig lui fait pendant, côté sud. La Vierge était autrefois présentée dans une chapelle dans le transept nord où un dais sculpté en pierre et richement ornementé (n° objet Balat 10072987) a pu servir de niche à la sculpture mariale. La console est décorée d’un serpent enroulé autour de l’arbre de la Science et du mal qui croque le fruit défendu. Cette représentation correspond au thème iconographique de la Vierge de l’Apocalypse et présente la Vierge comme la nouvelle Eve.

La Vierge se tient debout sur un croissant de lune, la jambe gauche légèrement pliée. Elle présente l’Enfant nu, à demi allongé sur un linge. Potelé, les cheveux bouclés mi-longs, celui-ci semble amusé par l’oiseau et la fleur qu’il tient dans les mains. La Vierge est vêtue d’un ample manteau doré dont les deux pans sont unis sur la poitrine par une double ganse. Le vêtement ramené en tablier couvre la robe qui apparaît sur le buste au-dessus d’une chemise blanche plissée, et sur le côté de la jambe droite. L’expression avenante de la Vierge est traduite par des yeux gris-brun légèrement en amande et un petit sourire charmant. La morphologie du visage aux joues pleines, le petit menton charnu, l’étagement de boucles de cheveux tirées vers l’arrière qui encadre le visage sont autant de caractéristiques qui ont conduit à donner la sculpture au pseudo maître Elsloo. Le drapé aux plis fluides et aux lignes nerveuses est un autre critère d’attribution.

Le nom « maître d’Elsloo » fut proposé en 1940 par J.J.M. Timmers en référence à la Sainte Anne trinitaire de l’église d’Elsloo, près de Maastricht. Bien qu’il s’agisse d’un nom de convention, l’appellation Maitre d’Elsoo est devenue si familière qu’elle a fini par désigner implicitement un sculpteur ou un atelier actif dans la région de Roermond auquel de très nombreuses sculptures ont été attribuées. Provenant principalement du Limbourg belge et hollandais et des régions avoisinantes de l’Allemagne, les sculptures attribuées au maître fictif sont conservées dans de grands musées comme le Louvre, le musée de Aix-la-Chapelle, le Bode museum, le Schnütgenmuseum, le Rijskmuseum, le Victoria and Albert museum, le Metropolitan museum, ou encore le musée de Cleveland. Au terme d’un projet de recherche internationale mené par l’IRPA en 2010-2011 consacré à cette production et suivi d’un colloque, il a été convenu d’utiliser plutôt le terme « groupe Elsloo » pour rassembler les œuvres de cette grande famille stylistique qui furent réalisées dans plusieurs ateliers dont nous avons perdu la trace.

Au sein du groupe Elsloo, la Vierge de Saint-Jacques occupe une place particulière puisqu’il s’agit de l’une des deux sculptures datées. Elle sert ainsi de jalon à l'établissement d'une chronologie de l'ensemble de ce groupe et plus largement pour la sculpture rhéno-mosane et du nord de l’Europe.

Dans le groupe Elsloo, la Vierge est l’une des sculptures les plus remarquables du point de vue de la qualité. Le sculpteur maitrise parfaitement l’agencement des plis en polygones aux morphologies complexe et variées qui s’articulent avec un très grand naturel. Ce rythme soutenu contraste à dextre avec l’extrémité du pan de manteau qui tombe droit en formant une large courbe plane, comme un temps suspendu dans ce tempo soutenu. On y lit sur un verset du Cantique des Cantiques (Cantique 4, 7) : " [...] TOTA PULCHRA ES AMICA MEA / TOTA [...] ".

De même, on notera le froissement du linge sur lequel repose l’Enfant qui se déploie de manière aérienne au-dessus du bras gauche de la Vierge. Ses plis acérés et serrés contrastent avec le plissé moelleux du manteau qui suggère une étoffe plus épaisse. Cette virtuosité et ce jeu d’effets vibratoires dans les draperies font écho au rendu des longues mèches ondulantes de la chevelure dont les brins s’entrelacent en formant des méandres. Le traitement très naturel des mains de la Vierge aux fossettes délicatement creusées entre les métacarpes est également remarquable. Le sculpteur aime jouer des contrastes subtils qui contribuent à donner l’impression de vie : les doigts de la main gauche sont ouverts pour soutenir l’Enfant, ceux de la main droite sont pliés pour maintenir délicatement son pied droit. De même, la posture asymétrique de l’Enfant traduit un certain dynamisme.

Au sein du groupe Elsloo, la Vierge de Saint-Jacques est la seule sculpture dont la polychromie d’origine exceptionnellement bien conservée est visible, à côté du Christ d’Ellikom suite à leur restauration à l’IRPA respectivement en 1968-1969 et en 2017.

Au-delà de sa splendeur, la polychromie de la Vierge revêt un caractère unique. Elle se distingue en effet par un vaste et riche répertoire de motifs décoratifs et l’association de techniques qui, à ce jour, n’ont pas trouvé d’équivalent dans la statuaire mosane et brabançonne du XVIe siècle. Ainsi, la polychromie de la Vierge de Saint Jacques est l'œuvre d'un artiste accompli, maîtrisant parfaitement le répertoire ornemental et les techniques en usage dans les retables brabançons des années 1520-1530 dont il nous offre une version grandeur nature.

Le raffinement de ces décors mérite de s’y arrêter. La large bordure du manteau doré est décorée de lettres peintes avec un glacis de garance d’une teinte brun orangé sur un fond gaufré obtenu par poinçonnage. L’orientation changeante des lignes parallèles poinçonnées crée une vibration subtile. Les mots formés sont séparés par des fraises et des fleurs bleues, roses, blanches et rouges peintes dans des couleurs couvrantes qui contrastent avec les lettres translucides. La bordure est encadrée d’un feston orné de perles bleues dont l'éclat et le volume sont suggérés par des rehauts de blanc.

Les lettres qui courent le long de la bordure du manteau forment des brides de phrases partiellement déchiffrables : "O MARIA MATER DEI MENTUM / MEUM / NEM 1525" ("Maria Mater dei Memento Mei. Amen" avec un certain nombre d'irrégularités dans le latin) ; "IHESUS", "AEV (AVE ?)", "DOMINE".

La doublure du manteau est décorée d'un réseau de losanges dorés sur un fond bleu d’azurite mat réalisé avec la technique du sgraffito. Chaque losange contient une fleur de lys dorée à l'intérieur d'un trèfle à quatre feuilles. La doublure est encore ornée d'une large bordure dorée décorée de fleurs et de fraises peintes alternant avec un motif de rosaces poinçonnées dont chacun des cercles renferme une étoile à six branches.

Le tissu de la robe représente un damier de rectangles a sgraffito bleus et or. Le bleu satiné contraste avec celui mate et poudreux du revers du manteau. La robe est ourlée d'une bordure de lettres a sgraffito où l'on peut lire AVE [MARIA] GRATIA PLE[NA] (Lc 1, 28).

Le linge sur lequel repose l’Enfant est décoré de fines lignes parallèles a sgraffito variant du bleu au violet et bordé d'une rangée de palmettes. Les mules de la Vierge sont richement ornées d'un décor bleu et or a sgraffito produisant un réseau de motifs quadrilobés, tandis que la semelle est semée de pois.

On notera également la délicatesse de rehauts rose vif peints dans le frais sur les joues ; la finesse des cils rendus d'un seul coup de pinceau brun ; le détail des griffes de l'oiseau représentées en trompe l’œil sur le genou gauche de l'Enfant.

La Vierge est classée Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour sa grande qualité de conception et d’exécution, son état de conservation remarquable, sa rareté et son importance pour l’histoire de l’art.


Plusieurs articles sont consacrés ou mentionnent la Vierge dans l’ouvrage disponible en version e-book sur le site de l’IRPA : A Master hand, Interdisciplinary Research on the Late-Medieval Sculptor Master of Elsloo in an International Perspective, Scientia Artis n° 9, Bruxelles, 2013.

E. Mercier, D. Steyaert, The Virgin from Saint James’ church in Liège and the polychromy of sculptures in the Low Countries in the time of the Master of Elsloo: a typological approach, p. 261-275.

J. Sanyova, C. Glaude, La polychromie de quelques sculptures du groupe d’Elsloo (analyses de laboratoire), p. 185-206.

M. Lefftz, Réfléxions méthodologiques et contribution à la caractérisation morphologique des sculptures du groupe Elsloo, p. 123-148

Emmanuelle MERCIER

Toutes les photos © KIK-IRPA, Bruxelles

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