Un autre son de cloche : la voix fluette d’Arlette-Adrienne
Les cloches peuvent-elles échapper aux tourbillons de l’histoire ? Le régime républicain français (1794) les confisque comme « résidus du fanatisme religieux » et les envoie aux forges du Creusot… Lors de la Deuxième Guerre Mondiale, l’autorité allemande les réquisitionne à son tour ; le Reich réclame du métal pour son industrie d’armement. Toutefois, en 1943, un accord intervient entre une Commission (belge) de sauvegarde des cloches hâtivement formée par Joseph de Beer (président du Cercle archéologique d’Anvers) et le Kunstschutz (Dr Heinz Rosemann), un service allemand chargé de protéger le patrimoine artistique en pays conquis. De commun accord, il est décidé d’épargner les cloches antérieures à 1730 et de garder dans chaque clocher une « Läuteglocke » ou cloche d’appel. Les autres seront saisies et, fin juillet 1944, le Dr Rosemann estimera à 4 567 le nombre de pièces livrées. L’Europe en aura définitivement perdu 90 000 sur les 150 000 confisquées.
Le cas d’Écaussinnes-Lalaing
Le 22 juillet 1943, dans la petite église Sainte-Aldegonde - elle abrite la sépulture de la sœur du peintre Rubens et un splendide orgue Cavaillé-Coll-Mutin - la cloche Marie-Charlotte (345kg), sortie en 1845 des prestigieux ateliers Vanden Gheyn-Van Aerschodt à Louvain, est arrachée à son clocher et expédiée en Allemagne. Comme des milliers d’autres, on ne la reverra plus. Le rôle de cloche d’appel échoit alors à sa voisine Loyse (Louise), dont la voix de bronze chantait déjà dans la tour sous le règne de Charles-Quint ; elle arbore la date de 1520 (fondeur inconnu).
La paix revenue, la fabrique d’église semble ignorer l’invitation de l’État à rentrer un dossier en vue d’obtenir des dommages de guerre. Fin 1958, 1622 dossiers seront déjà traités pour remplacer les 2099 cloches disparues. Mais à Écaussinnes, le président de la fabrique de Sainte-Aldegonde, le Comte Adrien van der Burch a une autre idée ; il propose d’offrir la petite cloche retrouvée dans sa propriété de la région anversoise détruite par une bombe. Le châtelain a perdu son fils Yves pendant la guerre et il voit peut-être là l’occasion de lui rendre hommage.
Elle se nommera Arlette-Adrienne
Le dimanche 19 mai 1946, cette cloche est bénie sous la présidence du chanoine Paul Scarmure, doyen de Soignies. Lors de la cérémonie, la cloche trône dans le chœur de l’église, abondamment fleurie. Bien que dépourvue d’inscription, elle prend le nom d’Arlette-Adrienne, car elle a pour marraine la comtesse Arlette d’Oultremont, la fiancée de feu le comte Yves van der Burch, et pour parrain le comte Adrien van der Burch lui-même.
« La marraine nous fit entendre sa voix si pure qui se répandit dans le sanctuaire », lit-on dans la presse de l’époque. Venu de Bruxelles, M. Roelandt fit une audition d’orgues qui se termina par la Brabançonne. La presse rapporte aussi la présence de la petite marraine Adrienne Cartuyvels, qui fait tinter la cloche.
Les dimensions de cette cloche sont de 0,48m de hauteur pour 0,40m de diamètre. Selon l’abbé Léon Jous, curé de Ste-Aldegonde depuis 1969, son poids serait de 50kg. Pas plus que l’âge de la cloche, l’identité de son fondeur n’est pas connue.
Repos bien mérité
En rien destinée à sonner dans une tour d’église, cette petite cloche à la voix fluette n’aurait pas entièrement répondu aux attentes de la communauté paroissiale. « En 1953, par exemple, l’électrification de la cloche fut faite par la maison Bouvier de Novilles-les-Bois (Prov. de Namur). L’Angelus fut installé. Comme il ne marchait pas bien, on finit par le supprimer ». Le comte, son donateur, étant décédé depuis 1954, on se résout à remplacer Arlette-Adrienne par une cloche mieux adaptée à sa fonction : en 1972, une nouvelle Marie-Charlotte (376 kg) sort des ateliers de Jacques Sergeys à Louvain, tandis qu’Arlette-Adrienne est déposée dans le jardin de la cure. D’origine obscure, cette cloche sommeille actuellement dans les réserves du Musée d’Histoire locale dans l’attente d’une destination incertaine.
L’histoire des cloches de Ste-Aldegonde à Écaussinnes-Lalaing est contée dans la revue d’histoire Le Val Vert (n°203-204 & 205). Contact : Mélanie Detournay, tel : 0494/81.46.27 Courriel : detournay.melanie@gmail.com. De nombreux éléments sur « la guerre des cloches » sont puisés dans le mémoire de licence déposé par Thibaut Boudart à l’ULB en 2000. Merci aussi à l’Association Campanaire Wallonne.
Roland Forrer