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À la découverte du patrimoine funéraire sculpté de Wallonie : 4. Le diocèse de Namur (2e partie)

Publié le 28/02/2025

Les retables commémoratifs, une typologie méconnue

La plupart des défunts qui souhaitaient rester dans la mémoire de leur communauté et en avaient les moyens optaient pour un monument funéraire, que cela soit sous la forme d’une dalle, d’une forme plus monumentale intégrant des gisants, des transis ou des priants, ou encore d’un monument mural. Mais tous n’ont pas fait le choix d’un monument funéraire indépendant. D’autres ont plutôt intégré leur épitaphe dans un élément du mobilier liturgique, créant des objets hybrides dont la fonction commémorative vient redoubler la fonction d’origine de l’objet. Parmi les meubles des églises, les défunts ont particulièrement choisi d’investir les retables d’autel.

Jean Duchesne, Jean Thonon et Pierre-François Le Roy, retable commémoratif de Jean-Baptiste Polchet (†1650). Namur, cathédrale Saint-Aubain. ©Elise Philippe.
Jean Duchesne, Jean Thonon et Pierre-François Le Roy, retable commémoratif de Jean-Baptiste Polchet (†1650). Namur, cathédrale Saint-Aubain. ©Elise Philippe.

Un très bel exemple peut être vu dans la cathédrale Saint-Aubain de Namur. Il s’agit de l’autel latéral droit, dédié à Notre-Dame des Sept Douleurs. Le retable et ses différents éléments ont été réalisés par plusieurs sculpteurs, dont les namurois Jean Duchesne (retable) et Pierre-François Le Roy (voile de la Véronique), tandis que la Vierge de Douleurs est attribuée à Jean Thonon. Bien qu’il s’agisse à première vue d’un retable portique habituel, un second regard permettra de distinguer des éléments commémoratifs : une longue inscription gravée en lettres d’or au niveau du couronnement, ainsi que des armoiries peintes rouge et or tout au sommet de la composition. Ce retable a été commandé par Jean-Baptiste Polchet (†1650), qui a été inhumé dans la cathédrale, où son fils Jean-François était chanoine.

Tous les éléments de base d’un monument funéraire « classique » sont présents : le nom du défunt, ainsi que sa date de décès sont mentionnés dans l’inscription, et les armoiries permettent de répéter visuellement son identité. La fin de l’inscription comporte également une demande de prières pour le défunt, comme c’est très souvent le cas sur les épitaphes de la même époque.

Retable commémoratif d’Henri de Velpen, 1661. Crupet, église Saint-Martin. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Bruxelles, clichés a047974 et m031897.
Retable commémoratif d’Henri de Velpen, 1661. Crupet, église Saint-Martin. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Bruxelles, clichés a047974.

Un second exemple peut être observé dans l’église Saint-Martin de Crupet. Le retable-portique, fait en marbres noir et rouge, est également dédié à la Vierge, dont la statue occupe la niche centrale. L’inscription funéraire en latin se trouve cette fois au niveau de la prédelle, juste au-dessus de la table d’autel. À gauche, une inscription de dédicace à la Vierge est également un chronogramme* qui donne la date 1661, probablement l’année de réalisation du retable. La partie de droite indique que Dominique de Godin, seigneur de Coux, a fait construire cet autel à la mémoire du curé Henri de Velpen. La mention du donateur est intéressante car on ne sait pas toujours qui commande les monuments funéraires. On apprend donc que l’autel a été commandé par le seigneur local, probablement à la mort du prêtre.

Outre cette inscription commémorative, quatre cartouches se trouvent dans le prolongement inférieur des colonnes et portent quatre blasons identifiés Velpen, Gruithusen, du Chastel et l’Abroey. La partie sommitale du retable, qui comporte un panneau curieusement laissé vide, devait probablement accueillir jadis des armoiries supplémentaires. La peinture centrale peut également être mise en lien avec la fonction commémorative du retable. Elle représente en effet Notre-Dame du Rosaire et saint Dominique aidant par la prière les âmes souffrant au Purgatoire, que l’on distingue dans le coin inférieur gauche. Si l’inscription ne demande pas directement de prières pour le défunt, le tableau rappelle visuellement les croyants à leurs devoirs envers les âmes souffrantes.

Retable commémoratif d’Henri de Velpen, 1661. Crupet, église Saint-Martin. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Bruxelles, clichés a047974 et m031897.
Retable commémoratif d’Henri de Velpen, 1661. Crupet, église Saint-Martin. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Bruxelles, cliché m031897.

Pourquoi commander un retable commémoratif ?

Pourquoi faire le choix d’être commémoré par un autel, plutôt que par un monument funéraire indépendant, qui permet de mettre les commémoratifs davantage en évidence ?

Depuis les débuts du christianisme, les fidèles cherchent la proximité avec le sacré durant leur vie, mais également après la mort. Les tombes des saints, ainsi que les autels, qui contiennent des reliques et sont les espaces les plus sacrés des lieux de culte, ont toujours été des pôles d’attraction pour les sépultures. Cela permet de se placer sous la protection des saints, qui pourront intercéder en faveur des défunts au moment du Jugement. En outre, les défunts se placent au plus près du lieu de célébration de l’Eucharistie, qui est perçue dans la religion catholique comme bénéfique pour le salut des âmes.

Néanmoins, être enterré près de l’autel est souvent réservé aux élites laïques et religieuses. Une première solution est alors de fonder un autel et d’en financer la construction : les donateurs sont alors davantage susceptibles de pouvoir être enterrés à une place de choix. Si la proximité physique n’est pas possible, les défunts peuvent également s’associer symboliquement à l’autel. Des noms gravés sur les retables ou les tables d’autel sont ainsi attestées depuis l’époque romane.

Enfin, lorsque l’inscription funéraire est gravée sur un retable, et surtout au niveau de la prédelle, elle occupe alors un des points focaux de l’église, et attire les regards, dont en particulier celui des célébrants. Les demandes de prières en faveur des âmes défuntes ont ainsi plus de chance d’être prises en considération.

En comparaison avec d’autres monuments funéraires, le fait d’associer son mémorial à un autel semblait donc permettre d’augmenter son efficacité pour le salut de l’âme. C’est pourquoi les retables ont régulièrement été investis par les défunts pour leur commémoration, selon des modalités variables. On retrouve des exemples comparables à ceux présentés précédemment dans la région mosane entre la fin du 16e et le début du 18e siècle.

Des objets parfois oubliés ?

Retable commémoratif de Jean Baulduin et Marie Lambert, 1629. Waulsort, église Saint-Michel. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Bruxelles, cliché m229825.
Retable commémoratif de Jean Baulduin et Marie Lambert, 1629. Waulsort, église Saint-Michel. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Bruxelles, cliché m229825.

Pourtant, à cause de la nature hybride de ces objets, leur nature commémorative est souvent mise de côté, au profit de leur fonction seule de retable d’autel. Les éléments héraldiques ont ainsi parfois été enlevés, les dorures des inscriptions s’usent et commencent à être illisibles. Par exemple, À Waulsort, dans l’église Saint-Michel, se trouve un retable commémoratif dont l’inscription, gravée sur la prédelle, est partiellement dissimulée par une structure rajoutée. Cette inscription nous apprend pourtant que le retable a été dressé en 1629 par les enfants de Jean Baulduin (†1610) et Marie Libert (†1617), en l’honneur de la Vierge et en mémoire du couple. Au centre du retable est visible une croix, et lors d’un relevé, Hadrien Kockerols y voyait des traces de deux priants, à présent disparus. Ces éléments sont pourtant intéressants car les représentations de défunts sur les retables sont très rares à cette époque (car interdites par les synodes du début du siècle). Ils semblent être à présent partiellement dissimulés par une statue monumentale de l’archange Michel terrassant le dragon (non visible sur la photo de l’IRPA).

  • Vous avez la charge de l’inventaire du patrimoine mobilier de votre église paroissiale ? Prêtez attention aux retables d’autel qui s’y trouvent, surtout pour les autels latéraux. Ils sont sans doute nombreux à contenir des armoiries, et peut-être une date ou un chronogramme*, voire une inscription plus complète. Relevez soigneusement ces éléments dans votre inventaire ! Ils peuvent permettre de dater le retable et de le connecter à une personne qui s’est investie dans la paroisse il y a peut-être plusieurs siècles.

*chronogramme : Inscription, le plus souvent en latin, concernant un événement célèbre dont la date est fournie par certaines lettres numérales, réunies et rangées, de cette inscription. Extrait de : https://www.cnrtl.fr/definition/chronogramme.

Bibliographie

H. Kockerols, Monuments funéraires en pays mosan. 2. Arrondissement de Namur. Tombes et épitaphes 1000-1800, Malonne, Kockerols, 2001.

H. Kockerols, Monuments funéraires en pays mosan. 3. Arrondissement de Dinant. Tombes et épitaphes 1200-1800, Malonne, Kockerols, 2003.

M. Lefftz (ed.), Des mains de maitres. Sculpteurs baroques et rococo à Namur (17e-18e s.), 2 volumes, Namur, Les Bateliers, 2024.

C. Treffort, « Les “Graffitis” sur tables d’autel aux époques pré-romane et romane. Note à propos des inscriptions de l’autel de Gellone », dans X. Barral i Altet et C. Lauranson-Rosaz (eds.), Saint-Guilhem-Le-Désert. La Fondation de l’abbaye de Gellone. L’autel Médiéval, actes de La table ronde d’août 2002, Aniane, Amis de Saint-Guilhem-le-Désert, 2004, p. 137-46.

Elise Philippe, doctorante en histoire de l’art (FNRS/UCLouvain)

 

Appel à collaboration :

Un monument funéraire du XVIIe et du début du XVIIIe se trouve dans votre église paroissiale, et mériterait d’être étudié ? N’hésitez pas à me contacter à l’adresse mail suivante : elise.philippe@uclouvain.be. Dans le cadre de ma thèse de doctorat, je suis particulièrement à la recherche d’églises accueillant des ensembles de monuments funéraires, ou des chapelles funéraires et des autels funéraires. Je suis également à la recherche d’églises conservant encore des documents d’archives d’Ancien régime en rapport avec le funéraire (obituaires, relevés de pierres tombales, fondations de messes commémoratives, etc.). Merci d’avance pour votre aide !

Appel à auteurs :

Un monument funéraire intéressant, original, ou peu connu se trouve dans votre église paroissiale, et vous souhaitez le mettre en valeur ? N’hésitez pas à le proposer pour la rubrique « objet du mois » du CIPAR ! Plus d’informations sur https://cipar.be/2024/04/02/appel-a-auteur/

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