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La peinture : tableaux et panneaux - retour sur la 6e journée d'étude du CIPAR

Publié le 29/11/2024

Consacrée à la peinture d’église, la 6e journée de formation permanente du CIPAR (Centre interdiocésain du Patrimoine et des Arts religieux, Belgique) a réuni de nombreux historiens de l’art, restaurateurs, conservateurs, directeurs de musées et gestionnaires de Fabriques d’église. La matinée a permis de planter le décor et de rappeler quelques données essentielles tandis que l’après-midi a été consacrée aux aspects juridiques et administratifs, mais aussi à divers témoignages concernant la conservation et la restauration des tableaux.

                  Ralph DEKONINCK (UCLouvain) a déployé une large réflexion consacrée aux Sens, fonctions et types d’images peintes dans les églises. L’église la plus modeste renferme parfois un riche patrimoine de peintures et retables, mais aussi de sculptures, de vitraux, etc. remontant à des époques différentes et témoignant de l’apport de chaque période. Comment trouver le sens de pareils ensembles, parmi lesquels les peintures occupent une place majeure ? Le concile de Trente assigne une triple fonction aux images : remémorer, instruire, émouvoir en vue de susciter la dévotion et la foi. Grégoire le Grand insistait déjà sur le rôle de l’image pour la contemplation et la vénération des personnages représentés, l’image invitant à imiter le modèle. Pour S. Thomas aussi, les images peuvent instruire les « simples », nourrir la mémoire croyante et inciter à la dévotion. Les jésuites, comme le français Louis Richeome (1544-1625), ont souligné le lien particulier du lieu ecclésial et de l’image : l’histoire du salut se déroule au fil des images au point qu’elles invitent à la prière et à la contemplation en une sorte de « visite rituelle ». L’église est comme la Jérusalem céleste qui s’enrichit de ces nombreux ornamenta, qui sont plus qu’un simple « décor », et servent d’adjuvants à la liturgie et à la prédication elle-même. Ils favorisent à la fois la prière personnelle et la prière liturgique. De nombreux livres (17e-19e s.) offrent des « Tableaux de la croix », c’est-à-dire des recueils de gravures et de méditations sur les mystères de la Passion, appliqués au sacrifice de la messe, afin de faciliter l’accès aux gestes liturgiques. On trouve sur une même page, dans le haut, un espace céleste qui illustre l’œuvre du Christ et dans la zone terrestre, en image, la partie de la messe concernée. Le concile de trente dans son Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques des saints, et sur les saintes images (1563) rappelle que les images « enseignent au peuple les bienfaits et les dons que lui confère le Christ… de sorte qu’elles incitent à rendre grâce à Dieu, à conformer notre vie à l’imitation des saints et poussent à adorer et aimer Dieu, et à cultiver la piété ». Le concile Vatican II rappelle que l’Eglise au cours de l’histoire n’a considéré « aucun style artistique comme le sien propre » (S.C. 123), que les Ordinaires veilleront… « à une noble beauté plutôt qu’à la seule somptuosité » (S.C. 124). On proposera des « images en nombre limité et selon une disposition appropriée (S.C. 125).

Christian PACCO (Administrateur-délégué du CIPAR) a présenté ensuite l’Histoire et le sens du chemin de croix. Le pèlerinage à Jérusalem, depuis le 4e siècle, a comporté une pérégrination sur les pas du Seigneur, notamment à la Via crucis. Au 2e millénaire, les Franciscains, présents sur place, ont développé la spiritualité de la croix et la pratique du chemin de croix. Lorsque les voyages en Terre Sainte furent devenus difficiles (16e s.), les Franciscains développèrent des chemins de croix dans les églises paroissiales de nos régions ou à proximité, en une douzaine de stations dont six n’étaient pas mentionnées dans les évangiles, mais dans des textes apocryphes. Du point de vue de la foi, le chemin de croix a toute sa légitimité : il évoque la souffrance rédemptrice du Christ dont l’homme qui souffre se sent tout proche. Au 19e s., toutes nos églises ont été dotées de chemins de croix, réalisés de manière industrielle, dont le nombre de stations a varié. Dans les années 1950, la station de la Résurrection a été largement adoptée, parfois aussi une première station évoquant la Dernière Cène. Malheureusement, nos chemins de croix ont souvent pâti de leur style doloriste, aujourd’hui dépassé. Il existe quelques exceptions mémorables comme le chemin de croix de Georges Rouault, celui de Léon Zack sur un mode abstrait, celui de Matisse à la chapelle de Vence, etc. Pour le diocèse de Namur, on peut mentionner quelques réalisations artistiques, par exemple les chemins de croix peints de L.-M. Londot et d’Yvonne Perin, ceux du sculpteur Jean Wiame (à Wierde, en calcaire, à l’église de Beauraing, en noyer polychromé, en calcaire polychromé au Sanctuaire marial), sans oublier ceux, très visuels, de Max Van der Linden, en céramique. Que faire des chemins de croix de nos églises, souvent de qualité artistique discutable, qui occupent souvent une grande place des murs latéraux et sont peu utilisés, en dehors du Vendredi Saint et de certains anniversaires des défunts ? La question est encore plus délicate si on pense aux églises « partagées » entre un espace cultuel et un autre d’utilisation culturelle. Lorsqu’il s’agit de désaffection d’églises, la question s’impose encore davantage.

        Pierre-Yves KAIRIS (IRPA) a présenté les Tableaux comme objets de nos églises trop souvent négligés. La plupart des peintures d’églises ne sont pas classées. Elles sont toutefois répertoriées par l’IRPA. Un des problèmes majeurs est que certaines œuvres ne sont pas dans leur lieu d’origine. Il s’agit alors de les « recontextualiser », c’est-à-dire de retrouver leur lieu d’origine, dans l’espoir de les y reposer. On peut penser par exemple aux peintures du jésuite Nicolaï, à la cathédrale Saint-Aubain (Namur) achetés à l’église jésuite toute proche (1770), aujourd’hui Saint-Loup. Parfois les lieux d’origine ont disparu ; c’est le cas de certaines abbayes. Très souvent aussi, les peintures d’église sont des copies de gravures, réalisées en vue de la dévotion des fidèles. C’est donc à ce travail ardu que s’adonnent les historiens d’art, avec l’aide des responsables locaux. Emmanuelle JOB (IRPA et Service du Patrimoine de Liège) a traité de la question de l’Inventaire des peintures d’église et de la problématique de leur conservation. L’inventaire sera attentif aux dégradations des œuvres notamment par les incendies, l’humidité ou les inondations qui occasionnent le soulèvement des couleurs. La « conservation préventive » sera attentive à l’entretien des locaux, aux divers agents de dégradation, à la délicate manipulation des œuvres et à leur stockage dans de bonnes conditions. Les responsables feront appel à des restaurateurs diplômés, pour éviter toute transformation qui peut nuire gravement aux œuvres. Léopold d’OTREPPE (CIPAR), a évoqué la rédaction du Cahier des charges, en vue de la conservation ou de la restauration des œuvres. Le respect des procédures est essentiel : autorisations préalables, objectifs, possibilités de financement, notamment par des legs et des dons. Déborah LO MAURO (CHACHA et CIPAR) a fait part de la réalisation par le diocèse de Tournai d’un conservatoire d’œuvres, dans l’ancienne abbaye prémontrée de Bonne-Espérance. Il peut aussi être question de la réaffectation d’œuvres à une autre église du diocèse propre ou d’un autre diocèse.

Divers témoignages concernant la « recontextualisation des œuvres » et leur « restauration adéquate » ont été présentés en fin de journée. Benoît PAUL, président de la Fabrique d’église d’Ottignies, a évoqué les œuvres de Maximilien de Haese (1776), venant de l’église Saint-Nicolas (Bruxelles) qui ont été restaurées. Bernard ALEXANDRE, président de la Fabrique d’église de Saint-Martin d’Acoz (Gerpinne) a évoqué lui aussi la restauration de diverses peintures. Le Service diocésain du Patrimoine de Liège a rappelé les inondations de 2021 et le traitement des peintures de la chapelle S. Lambert et de l’église Notre-Dame des Récollets à Verviers. Enfin, Laurent DUBUISSON, directeur-conservateur de la Maison des Géants à Ath a évoqué la belle collaboration qui s’est mise en place ces dernières années concernant le patrimoine du Folklore (Géants, cheval, chars allégoriques), le patrimoine religieux d’Ath (Hôpital et chapelle de S. Madeleine, 14e s.), et les Fabriques des églises avoisinantes qui en font la demande. Cette collaboration entre la commune, les musées et les fabriques d’église bénéficie du service de deux restaurateurs professionnels attachés à la ville d’Ath.

L’abbé Jean-Pierre LORETTE (Vicaire épiscopal et Administrateur du CIPAR) a assuré la réflexion finale de la journée. Saint Luc, fêté le 18 octobre, est le patron des peintres ; cette attribution lui vient sans doute de ce que son évangile, marqué par une narrativité de qualité, « fait voir » les scènes et les personnages évoqués, notamment l’Annonciation, la Nativité, la rencontre avec les disciples d’Emmaüs, etc. La peinture religieuse nous rappelle notamment l’importance de l’approche sensorielle. Fondé sur l’Incarnation du Fils de Dieu épousant la condition humaine dans toutes ses dimensions, la peinture donne ses chances à la prédication du mystère chrétien. Elle nous rappelle l’importance des visages humains de ceux qui fréquentent ou visitent les lieux de cultes et de ceux que sont représentés dans la peinture. Cette importance de l’humain nous invite non seulement au déchiffrement des œuvres, mais à la nécessité de devenir nous-mêmes pleinement humains. Un Guide à paraître reprendra les éléments de la présente journée consacrée à la peinture. Une Exposition itinérante sera également disponible pour les paroisses qui le souhaitent.

                                                                                                               Abbé Haquin

Images : © M. Moriaux et V. Groessens, 2024

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