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Pourquoi la fête de « Toussaint » ?

Publié le 05/11/2019

La galerie des saints a de quoi nous étonner. Qu’y a-t-il de commun entre Thomas d’Aquin et le Curé d’Ars, entre Mère Térésa et Augustin, entre Charles de Foucault et Paul VI ? Au-delà des différences d’époques, de caractères et de charismes, d’épreuves et de témoignages, tous les saints ont en commun la passion pour le Christ et la vie évangélique. Ils appartiennent à une même famille de croyants. C’est que veut souligner la fête de « tous les saints », célébrée le 1er novembre. Cette « communion des saints » a fasciné les peintres, comme Fra Angelico. Il a choisi de représenter la société céleste, on pourrait dire aujourd’hui le « collectif » des élus, et pas seulement des individualités, aussi remarquables qu’elles aient été.

Un peu d’histoire…

Les premiers saints, vénérés à Rome depuis le 2e siècle, sont les « martyrs », comme Polycarpe de Smyrne. N’ont-ils pas été les « témoins » par excellence du Christ (en grec « martur »), jusqu’au sang ? On pourrait parler à leur sujet de « sainteté héroïque ». Dès le 4e siècle, en Orient, on a célébré une fête collective en l’honneur de « tous les martyrs ». L’Église byzantine, jusqu’aujourd’hui, célèbre le « dimanche de tous les saints », huit jours après la Pentecôte. N’est-ce pas l’Esprit Saint reçu au baptême qui sanctifie les chrétiens ?

À Rome, la première fête de tous les saints remonte à l’année 609, lorsque le Panthéon (lieu de culte en l’honneur de « tous les dieux » des Romains) est devenu une église en l’honneur de la Vierge Marie et de « tous les saints ». Le pape y fit rassembler les restes des saints venant des catacombes. Dans le même esprit, en 998, Odilon, abbé de Cluny, instaura une fête pour honorer « tous les défunts » (2 novembre) dans les monastères de l’Ordre. Celle-ci s’est répandue ensuite dans l’Occident tout entier.

Ces deux fêtes sont souvent confondues, car on va au cimetière l’après-midi du 1er novembre, seul jour chômé. Et cependant chacune a son caractère propre. La première montre l’horizon ultime de la vie du chrétien, avoir part au bonheur des élus et à la Résurrection, tandis que la seconde nous rappelle notre condition mortelle avec ses limites de toutes sortes, ses fragilités, ses faiblesses, ses échecs aussi.

La liturgie de la Toussaint

La messe de la Toussaint éclaire la signification de cette fête qui concerne chaque baptisé, car tous sont appelés à la sainteté (Lumen Gentium, chap. 5. « Appel universel à la sainteté »). Comme le chante la Préface du jour : « Nous fêtons aujourd’hui la cité du ciel, notre Mère, la Jérusalem d’en haut : c’est là que nos frères les saints déjà rassemblés, chantent sans fin ta louange. Et nous qui marchons vers elle par le chemin de la foi, nous hâtons le pas, joyeux de savoir dans la lumière ces enfants de notre Eglise que tu nous donnes en exemple ».

Les Lectures bibliques de la messe de Toussaint constituent une sorte de symphonie sur la sainteté. C’est d’abord l’Apocalypse (chap. 7), qui, au terme de grandes épreuves, montre les martyrs et les saints de tous les temps, accueillis dans la Jérusalem du ciel. Texte optimiste, car ils sont 144.000 élus (chiffre qui symbolise le nombre incalculable des élus, représentant les douze tribus d’Israël et le nouveau Peuple de Dieu) et « une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues ». C’est ici le monde des nations autrefois païennes qui est présent en masse ! L'Évangile des Béatitudes (Mt 5), est une sorte de « charte » de la vie évangélique ou de la sainteté. Enfin la lettre de Jean rappelle que c’est Dieu qui transforme l’humanité en un peuple saint en faisant de chacun ses enfants. (1 Jn 3).

Le pape François, dans sa récente lettre, rappelle que la sainteté au quotidien est pour tous, quelles que soient les circonstances de la vie de chacun : « J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu, chez les parents qui éduquent avec amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire… C’est cela souvent la sainteté de la porte d’à côté, de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, la classe moyenne de la sainteté ».

Le « Retable de l’Agneau mystique » (1432)

Revenons au monde des artistes, car la beauté est une fenêtre vers l’au-delà du visible ! Chez nous, au XVe siècle, les frères Hubert et Jean Van Eyck ont traduit en images les visions de Jean, l’auteur de l’Apocalypse qui porte son nom. Ce retable de l’Agneau Mystique (1432) installé à la cathédrale de Gand, impressionne non seulement par ses proportions (5m 20 sur 3m 75 lorsqu’il est ouvert) mais surtout par la richesse de sa représentation. Le temps des épreuves est passé ; le salut de Dieu peut se déployer dans toutes ses dimensions. Au centre de la scène a lieu l’Adoration de l’Agneau mystique, c’est-à-dire du Christ crucifié (agneau immolé) et ressuscité (aujourd’hui vivant).

Jan Van Eyck_Agneau mystique, panneau central

Entourant l’Agneau debout sur l’autel céleste, il y a la foule des élus qui rend grâce à Dieu. On y voit de nombreux anges, les apôtres et les prophètes de l’Ancien Testament, des papes et des évêques. On y voit aussi des philosophes et écrivains d’avant le Christ (notamment le poète Virgile), repérables par leurs vêtements et leurs coiffes, les saints et saintes martyrs, portant la palme de la victoire, les ermites et les pèlerins, sans oublier les juges intègres et les chevaliers du Christ.

Bref, c’est une sorte d’ « internationale de la sainteté », correspondant à l’affirmation de Paul « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 4).

Pour plus d'informations sur l'Agneau Mystique : quelques références bibliographiques 

DE PATOUL, B. et VAN SCHOUTTE, R., Les Primitifs flamands et leur temps, Tournai, La Renaissance du Livre, 2000, p. 287-309.
LIMENTANI VIRDIS, C. et PIETROGIOVANNA, M., Retables. L’âge gothique et la Renaissance, Paris, Citadelles et Mazenod, 2001, p. 50-70.

André Haquin

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