CIPAR

Les fêtes pascales et la fraternité universelle

Publié le 02/04/2021

La liturgie chrétienne, tant en Orient qu’en Occident, culmine chaque année dans les fêtes pascales qui célèbrent la mise à mort du Christ pour l’humanité tout entière et sa résurrection, réponse de Dieu à son Fils, le Serviteur fidèle. C’est dans ces fêtes que se dessine l’identité chrétienne et que s’enracine la « fraternité universelle », mise en valeur par le pape François dans son encyclique Fratelli tutti (« Tous frères ») de 2020 et dans son récent voyage pastoral en Irak (5-8 mars 2021).

« Suivons le Christ dans sa Passion jusqu’à la croix

                                                                        pour avoir part à sa résurrection et à sa vie »

(Liturgie des Rameaux)

Au cours des siècles, les peintres ont souvent représenté la mort du Christ et sa résurrection, comme Matthias Grünewald dans le célèbre retable d’Issenheim. Le Christ en croix est particulièrement impressionnant. On le croirait lépreux. En fait, il est victime de la fièvre des ardents, comme les malades de l’hospice pour lesquels le retable a été créé. Au revers du retable, on trouve la montée du Christ ressuscité vers son Père. Scène de lumière et de joie paisible qui contraste avec les souffrances du Vendredi Saint. C’est l’issue du grand passage de la mort à la vie nouvelle.

retable_d_isseheim
Retable d'Issenheim, Matthias Grünewald, 1512-1516. Photo Wikipédia.

VENDREDI  SAINT

Le prophète Isaïe annonçait dès le 6e siècle les souffrances du Messie et leur puissance de salut pour l’humanité : « C’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était châtié, frappé par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos fautes qu’il a été transpercé, c’est par nos péchés qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui et c’est par ses blessures que nous sommes guéris » (Is. 53, 4-5). L’Office de la croix fait écho aux paroles d’Isaïe : « Voici le bois de la croix qui a porté le salut du monde ».

VIGILE  PASCALE

Chandelier_pascal
Chandelier pascal. Photo © KIK-IRPA, Bruxelles.

Le cierge pascal, allumé au feu nouveau au cœur de la nuit, porte des grains d’encens qui forment une croix. Le célébrant prononce ces paroles sur le cierge : « Le Christ, hier et aujourd’hui, commencement et fin de toute chose, Alpha et Omega, à lui le temps et l’éternité, à lui la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen ». Tous se rendent à l’église à la lumière des cierges. Cette marche rappelle la sortie d’Egypte appelée l’Exode.

Le poème pascal (« Exultet ») utilise le langage poétique pour annoncer la fête et l’œuvre libératrice de Dieu  : « Voici la fête de la Pâque… la nuit où tu as tiré d’Egypte les enfants d’Israël, nos pères, et leur as fait passer la Mer Rouge à pied sec… Voici la nuit où le Christ, brisant les liens de la mort, s’est relevé, victorieux, des enfers… Il fallait le péché d’Adam que la mort du Christ abolit. Heureuse était la faute qui nous valut un pareil rédempteur… ! ».

panneau_christ_ressuscité_de_M_Grünewald_retable_Issenheim
Christ ressuscité, panneau du retable d'Issenheïm, Matthias Grünewald. Photo de Wikipédia.

La première lecture biblique de la Vigile est celle de la création : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : "Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la" (Gn 1, 27-28). Ce texte est le fondement de la fraternité universelle. Car Dieu ne crée pas seulement l’homme et la femme juive, mais il est le créateur de l’humanité tout entière, chacun et chacune étant créé(e) à son image. Si tous ont reçu la vie d’un même créateur, ils sont de ce fait liés les uns aux autres par la fraternité.

Revenons au Christ ressuscité de M. Grünewald, œuvre du gothique finissant (16e siècle). Le bas de la scène représente l’événement terrestre. Les gardes, au sol, sont endormis. Le tombeau est ouvert… désormais inutile. Le Christ s’élève vers le ciel, pacifié et serein, bien qu’il garde les stigmates de la Passion sur les mains et dans son côté. Il tend les bras dans un geste de salutation presque liturgique. Le soleil lui prête sa chaude lumière pour saluer la victoire de la vie sur la mort. Les vêtements du ressuscité sont des vêtements de fête. Le travail est désormais accompli…

FRATELLI  TUTTI

L’expression « Tous frères » est empruntée par le pape à François d’Assise lui-même (13e siècle). Dans son « Cantique des créatures », S. François, le « frère universel », se proclame même le frère de tous les éléments de la création :  « Loué sois-tu,  Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère soleil… par qui tu nous illumines. Loué sois-tu pour sœur lune et les étoiles… pour frère vent… pour sœur eau qui est très utile et humble… pour frère feu par lequel tu illumines la nuit. Il est beau et joyeux, robuste et fort » (Cantique des créatures). En 2015, le pape François écrivait une encyclique intitulée Laudato si (« Loué sois-tu ») consacrée à la « sauvegarde de la maison commune », c’est-à-dire de notre planète commune. Il s’est inspiré de François d’Assise qui a d’ailleurs été choisi comme patron des écologistes.

Dans sa lettre de 2020, Fratelli tutti (« Tous frères »), le pape François invite tous les hommes/femmes de bonne volonté à s’intéresser non seulement à ceux de leur clan, mais à toute personne vivant en ce monde, spécialement les plus démunis et les souffrants.  Il rappelle que François d’Assise a soigné les lépreux, ces malades marginalisés dans les sociétés anciennes. De même, pendant la croisade à laquelle il participait, François est allé en 1219 rencontrer le chef « ennemi », le sultan de Damiette Malik-el-Kamil (Egypte), avec lequel il a conversé pendant trois jours, en signe de fraternité.

Joignant le geste à la parole, François a visité plusieurs dignitaires musulmans avant son voyage en Irak. D’abord l’Imam Ahmed el-Yayed de l’Université du Caire, sunnite, avec lequel il a signé la déclaration d’Abu Dhabi (2019) sur la vocation de toutes les religions à favoriser la paix, déclarant que la violence au nom de Dieu est une perversion du sens religieux authentique. Plus récemment, lors de son voyage en Irak (5-8 mars 2021), il a rencontré le Grand Ayatollah Al-Sistani et la communauté chiite pour les remercier de s’être fait les défenseurs des plus faibles et des persécutés. Dans sa visite à la ville martyre de Mossoul, victime de Daesch, François a déclaré : « Si Dieu est le Dieu de la vie, et il l’est, il ne nous est pas permis de tuer des frères en son nom. S’il est le Dieu de la paix, et il l’est, il ne nous est pas permis de faire la guerre en son nom. Si Dieu est le Dieu de l’amour, et il l’est, il ne nous est pas permis de haïr nos frères ». François a une attention particulière pour les frères éprouvés que sont les migrants, victimes des régimes autoritaires de leurs pays d’origine. Il est allé les voir sur l’île de Lampeduza. Il plaide leur cause auprès des instances internationales et a aménagé certains locaux du Vatican pour eux.

La mort et la vie se côtoient de plus en plus dans notre monde. C’est comme le drame pascal présent dans l’histoire contemporaine. Les guerres, notamment en Afrique et au Moyen Orient, la pandémie du Covid-19, les injustices sociales et les richesses qui ne font pas objet de partage sont des signes de mort en notre monde. Par ailleurs, bien des hommes de bonne volonté se mobilisent pour sauver la planète et ses habitants, pour que les droits humains soient respectés, pour que la solidarité ne soit pas un vain mot au plan international. Ces multiples engagements, non seulement honorent notre humanité, mais attestent qu’elle est faite pour la fraternité, et que la mort n’aura pas indéfiniment raison. Tout cela n’est-il pas signe que la résurrection est déjà à l’œuvre parmi nous ?

Les peintres mettent leur art au service de la dramatique du salut. Ils rejoignent les artisans de paix qui croient en l’avènement d’un monde meilleur, à la victoire de la vie sur la mort. Les images des peintres se fixent volontiers dans nos mémoires, car elles racontent et commentent les événements du salut. Peut-être l’image est-elle plus puissante que les interprétations qu’on peut en donner ?

                                                                                               André Haquin

CIPAR - Centre Interdiocésain du Patrimoine et des Arts Religieux linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram