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Focus sur un patrimoine d’exception : le taulet de Jehan Jamet († 1443) à Merbes-le-Château

Publié le 07/06/2022

Le mois passé, un article était consacré à la rencontre du président de la fabrique d’église Saint-Martin de Merbes-le-Château. Outre son conseil de fabrique très actif, l’église accueille également un beau patrimoine religieux et artistique, parmi lequel figure en bonne place une pierre funéraire datée du milieu du XVe siècle. Revenons sur l’histoire de sa découverte, son iconographie et sa restauration.

Une découverte fortuite

En 2009, des travaux de plafonnage ont lieu dans l’église de Merbes-le-Château. Afin de monter plus facilement les échafaudages, l’estrade en bois placée devant le retable de Notre-Dame du Rosaire, situé dans la nef latérale gauche, a dû être déplacée. Ce faisant, le bas de la maçonnerie de l’autel a été mis à nu, dévoilant à la surprise générale le bas d’une inscription en écriture gothique. En démontant complètement l’antependium de l’autel, la fabrique a ainsi découvert une pierre funéraire commémorant un défunt merbien, Jehan Jamet, décédé en 1443.

Image 1 © Elise Philippe

Zoom sur le taulet

Le mémorial, sculpté en pierre d’Avesnes, se divise en deux registres : une scène figurative en haut-relief surmontant une inscription taillée en épargne, dont voici la transcription :

Chi · devant · gist · Jehan · Jamet · potier · et · bourgeois · de · Merbes · le · chat · qui · trepassa · lan · mil · IIII · XXXXIII · le · XVII · jour · daoust […] pour · lame · et · par · devant · lui · gist · Mariie · A[...] · vieve · de · Jehan · Jamet · qui · trepassa · lan · mil · IIII

L’inscription nous permet ainsi de dater approximativement la pierre funéraire, mais nous aide également à identifier les personnages représentés. Au centre se trouve la Vierge à l’Enfant, facilement reconnaissable. De part et d’autre se trouvent Jehan Jamet et sa famille, tous agenouillés en prière : à gauche le potier suivi de trois fils, à droite sa femme Marie et trois filles. Les époux sont introduits par leur saint patron respectif : saint Jean-Baptiste, reconnaissable à l’agneau qu’il porte dans ses bras, et sainte Marie-Madeleine, tenant un vase d’onguent ou de parfum. Complétant la scène, deux chérubins (identifiables à leur double paire d’ailes) se tiennent au niveau des écoinçons, débordant largement sur la moulure en arc déprimé ponctuée de rosettes carrées.

Cette pierre funéraire était à l’époque entièrement peinte de couleurs vives. Des restes de la polychromie originelle sont encore visibles, dont principalement la couche de préparation de couleur rouge-orangée. Une observation au binoculaire a permis à l’IRPA (Institut Royal du Patrimoine Artistique) de proposer une reconstitution de l’aspect originel de la pierre.

Image 2 © KIK-IRPA, Bruxelles

Ce type de relief commémoratif fait probablement écho à d’autres exemples pour de nombreux lecteurs, surtout ceux familiers avec le patrimoine funéraire hennuyer. Et pour cause, le taulet de Jehan Jamet fait partie d’une typologie funéraire très populaire dans les Pays-Bas bourguignons entre 1380 et 1520, les tableaux commémoratifs, et dont un des centres majeurs de production est la région tournaisienne. Cette production partage des caractéristiques formelles et compositionnelles relativement stables : ils adoptent souvent la forme de tablettes de pierre de format horizontal, insérées dans un mur ou un pilier. Ils se divisent généralement en deux parties : une scène figurative où les défunts sont agenouillés en prière devant un personnage sacré, régulièrement accompagnés de leur saint patron ; et une épitaphe mentionnant a minima un nom et une date de décès, souvent complétés par un appel aux prières pour les âmes défuntes.

Une restauration de longue haleine

Lors de sa découverte en 2009, le taulet de Jehan Jamet présentait un état de conservation critique : au moindre contact, les reliefs menaçaient de se désagréger, et présentaient des fissures et une desquamation des couches supérieures. La cause en était la présence de sels solubles qui se cristallisaient à la surface de la pierre, en la fragilisant considérablement.

La fabrique d’église a immédiatement réagi en posant un plexiglas protecteur devant le relief, puis en contactant les diverses autorités compétentes afin de le restaurer – et d’obtenir des subsides pour soutenir le coût conséquent d’une telle opération. En janvier 2016, la restauration du taulet peut enfin commencer. Il est transporté dans les ateliers de l’IRPA à Bruxelles, où la pierre est dessalée en étant plongée dans un bain durant près de 260 jours, puis laissée sécher pendant plusieurs mois avant de procéder aux dernières étapes de la restauration. Au terme du processus, la lisibilité des reliefs a considérablement été améliorée et permet à présent d’apprécier pleinement la finesse des détails.

Image 3 Détail de la Vierge à l’Enfant avant, pendant et après restauration © KIK-IRPA, Bruxelles

La pierre funéraire a réintégré l’église en mai 2018. Elle a ainsi pu être sauvegardée grâce à la ténacité de la fabrique qui mené à terme un processus administratif parfois ardu mais surtout très long (presque 9 ans au total). Elle est désormais exposée dans la nef latérale, protégée par une vitrine de verre, exposée sur un socle de pierre bleue et mise en valeur par un éclairage LED et un panneau didactique réalisé par l’IRPA.

Image 4 Exposition du taulet dans l’église et panneau didactique réalisé par l’IRPA © Elise Philippe

Elise Philippe, (doctorante FRESH – UCLouvain - F.R.S.- FNRS)

Ce texte est le résumé succinct d’un article à paraitre dans les actes du Congrès WAPI 2020-2021, congrès durant lequel le taulet a fait l’objet d’une communication de René-Michel de Looz-Corswarem.

Bibliographie

  1. Bavay (dir.), La collégiale Sainte-Waudru : rêve des chanoinesses de Mons, Bruxelles, 2008.
  2. Bedoret, « Invisible depuis 200 ans ?», dans Le Trèfle, 69, 2010.
  3. Brine, Pious memories. The Wall-Mounted Memorial in the Burgundian Netherlands, Leiden/ Boston, 2015.
  4. brine., « Les reliefs votifs, un ensemble exceptionnel », dans L. Nys et L.-D. Casterman (eds.) La sculpture gothique à Tournai. Splendeur, ruine, vestiges, Bruxelles, 2018.
  5. De Clercq, Rapport de l’étude et du traitement de conservation et restauration du taulet de Jehan Jamet, Bruxelles, 2019.
  6. De Clercq et S. Godts, « Analysis of the Salt Content during Water Bath Desalination of a Polychrome Limestone Relief », dans S. Siegesmund et B. Middendorf (eds.), Monument Future: Decay and Conservation of Stone, Halle, 2020.
  7. De Clercq et S. Godts, « Cyclododecane as protection for water-sensitive polychromy during water bath desalination of limestone sculptures: The case study of a mid-15th-century wall-mounted memorial from the Burgundian Netherlands », dans Transcending Boundaries: Integrated Approaches to Conservation. ICOM-CC 19th Triennial Conference Preprints, édit. J. Bridgland, Paris, 2021.
  8. Mathieu, « Dernière info concernant le taulet », dans Le Trèfle, 100, 2017.
  9. Nys, Les tableaux votifs tournaisiens en pierre 1350-1475, Bruxelles, 2001.
  10. Parmentier, « Lecture de la pierre funéraire », dans Le Trèfle, 70, 2010.
  11. Valentino, Les taulets des XIVe et XVe siècles conservés en Province du Hainaut : recherches quantitatives, iconographiques, stylistiques et attributions, Bruxelles, 2003 (mémoire de master non-publié, ULB).

Monsieur de Looz-Corswarem, qu’est-ce qui vous a motivé dans ce projet de restauration ?

La motivation de notre conseil de FE et de notre administration communale était évidente ; sauvegarder une pierre du XVème siècle et, qui plus est, un témoignage d’une famille du village.

Cette pierre est si remarquable que Madame Camille Declercq, conservatrice de l’IRPA, a souhaité en faire la présentation lors d’un congrès au Japon.

Comment est-elle mise en valeur depuis son placement ?

Nous avons suivi les conseils des experts de l’IRPA qui déconseillaient de la remettre où nous l’avions trouvée car ce n’était probablement pas sa place d’origine et que la pierre y serait à nouveau en contact avec des sels dévastateurs. Plus d’encastrement dans un mur, mais pose sur une console et protection vitrée. 

  • La jolie console en pierre bleue a été taillée, placée et offerte par le tailleur de pierre local ; Monsieur GUYOT.
  • La protection (vitres et éclairage par LED) exécutée par notre FE.

René-Michel de Looz-Corswarem

Président de la FE de Merbes-le-Château

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