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Les figuristes toscans au Pays de Liège

Publié le 03/10/2022

Dès le XVIIIe siècle, les habitants des vallées du Serchio et de la Lima dans le Duché de Lucques en Toscane amorcèrent une migration à travers l'Europe, puis le monde, pour exporter un artisanat traditionnel qui s'avèrera rapidement être un commerce prospère : la reproduction et la vente d'œuvres moulées en plâtre. Dans la newsletter de ce mois-ci, nous vous dévoilons la première partie qui pose le cadre général sur le sujet d’un article divisé en trois.

Figuriste photographié en région liégeoise au début du XXe s. Carte postale ancienne.
Figuriste photographié en région liégeoise au début du XXe s. Carte postale ancienne.

Il semble que ces figuristes, figurinai, figuristi, comme on les nommait dans leur contrée d'origine, trouvèrent à Liège une terre d'accueil et d'élection. Beaucoup d'entre eux choisirent de s'établir et s'intégrèrent à la communauté locale. Ces quelques pages, prémices d'une étude plus approfondie, vont tenter de cerner le mode de vie et le travail de ces artisans au travers des documents d'archives et de certaines de leurs œuvres qui ont survécu aux injures du temps. Le texte de Paolo Tagliasacchi en introduction du catalogue1 nous apprend que les figuristes formaient des compagnies avant leur départ pour l'étranger, de petits groupes structurés rassemblant trois à huit  personnes. Chaque membre devait s'acquitter d'une tâche bien déterminée. Le chef de la compagnie faisait l'acquisition d'un stock de moules lorsqu'il n'avait pas l'habileté pour les créer en propre. Plus fréquemment, le patron se chargeait lui-même de la conception et de la création des modèles, entreprise qui nécessitait une solide formation artistique et des connaissances approfondies des techniques de moulage. Il était alors désigné sous le nom de formatore. Il était secondé par les gittatori, sculpteurs de moindre importance ou apprentis affectés au travail de reproduction. Comme le nom l’indique, ils jetaient le plâtre à la volée et étaient néanmoins renommés pour leur habileté.  Suivaient enfin les garzone, adolescents ou jeunes hommes chargés de la diffusion et de la vente de la production par colportage. A Liège, les documents d'archives les qualifient parfois de domestiques2. On constate, d'autre part, à la relecture des actes d'état-civil, qu'il existait une certaine hiérarchie, certains protagonistes sont qualifiés de figuristes ou de mouleurs en plâtre. Ces deux professions sont souvent citées au sein d'un même acte. On peut supposer que les premiers s'adonnaient à la création du modèle et de son moule, les seconds à la reproduction en série. Angelo Stefanucci3 dans le chapitre consacré à la naissance de l'industrie de la statuaire sacrée cite encore les marcottori, sculpteurs de second ordre s'adonnant à la copie et surtout au surmoulage, les reparatori, spécialistes des travaux de retouches à la sortie du moule (dans le jargon de la sculpture, l'opération s'appelle ébavurage ou réparage) et des travaux de restauration. Plus tard, vinrent aussi les peintres et les doreurs4. Il semble que les figuristes avaient établi à travers l'Europe un réseau d'étapes bien structuré. Les bulletins d'étrangers signalent des ressortissants du Duché de Lucques séjournant pour une durée plus ou moins longue chez les maîtres figuristes établis. Ils arrivent d'autres régions du pays où ils ont séjourné dans des conditions analogues. Anvers, siège du consulat du Duché de Lucques, ainsi que les villes de Gand et de Bruxelles sont les plus souvent citées. D'autres reviennent d'Angleterre, des Pays-Bas ou se rendent dans le Nord de la France (Lille). Le regretté folkloriste et ami Jean-Denys Boussart, dans le cadre de ses recherches sur les origines de la marionnette liégeoise5 a publié l'extrait d'un bulletin d'étranger évocateur des conditions de travail d'un de ces ouvriers. Il précise que «  ...ses moyens d'existence ne consistent que dans une somme de quinze francs que son maître (...) figuriste lui paye mensuellement, mais il est en outre nourri, blanchi et logé 6».

Michel Vincent


  1. TAGLIASACHI Paolo, In giro per il mondo con le figurine di gesso, catalogue d'exposition, regione toscana e Museo Civico de Coreglia Antelminelli-Lucca, 1998.
  2. Cf., par exemple, dans un bulletin d'étranger du 14 juillet 1842, un dénommé Angelo GUERRINI, domestique de Lorenzo BARTOLI, colportant les médaillons en plâtre modelés par ce dernier.
  3. STEFANUCCI Angelo, Storia del Presepio, Roma: Autocultura, 1944, p. 331.
  4. Ibidem, selon l'auteur, le plâtre était laissé de couleur naturelle. Un figuriste FREDIANNI installé à Paris aurait dû sa renommée et sa fortune en peignant les statues religieuses aux lendemains de la Terreur. Une de ses descendantes épousera Ignaz Raffl qui s'installe à Paris en 1857 dont l'atelier aura la postérité que l'on sait. Sur la maison Raffl cf. CARMINATI Pauline, Documents pour l’histoire d’une entreprise parisienne de sculpture religieuse : la maison Raffl, 1796-1956.
  5. BOUSSART Jean-Denys, Les origines de la marionnette liégeoise, une colonie de figuristes toscans à Liège au XIXe siècle in La Vie liégeoise, n°1, 1971 pp. 4 à 15. Les notes de préparation de l'auteur m'ont été précieuses. Suite à une tempête survenue en 1990, une partie des archives communales a été détruite ou était inaccessible au moment de la rédaction de cet article. Dans la mesure du possible, j'ai essayé de recouper les sources notamment par l'état civil. Un seul regret, l'auteur signale des figuristes en cire, information qu'il m'a été impossible d'infirmer ou de confirmer en l'absence des documents originaux.
  6. Ce document concerne un bulletin d'étranger de David ou Davino PUCCI rempli à Liège le 6 mars 1840. Il travaille chez NARDI et est arrivé à Liège le 24 juin 1839. Il est âgé de 24 ans et réside dans le pays depuis avril 1836.

 

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