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Le massacre des innocents, une œuvre de Louis Finson

Publié le 16/07/2024
Fig. 1. Louis Finson, Le massacre des innocents, dans la nef latérale © Elisabeth Dekoninck.
Fig. 1. Louis Finson, Le massacre des innocents, dans la nef latérale Est © Elisabeth De Coninck.

   Louis Finson

1615

Peinture sur toile

400 x270 cm

Eglise Sainte-Begge, Andenne

Propriété de la fabrique de l’église Sainte-Begge, Andenne

Classé le 26 mars 2010 – M.B. 28 septembre 2010

Andenne, ville mosane dans la province de Namur, conserve aussi une toile peinte classée. Celle-ci est conservée dans la collégiale Sainte-Begge. Découvrons ensemble l’œuvre.

Ce tableau est conservé et visible de tous dans la collégiale Sainte-Begge, dans la nef latérale est, il est suspendu sur le mur nord-ouest, qui est le mur de la façade.  Il mesure 2.65 m. x  3.70 m, hors cadre !

« Le Massacre des Innocents », est une œuvre importante de notre patrimoine. Cette œuvre du peintre d’origine brugeoise Louis Finson (°ca 1580 - †Amsterdam 1617), présente, à sa base au quart de sa longueur, un cartel porteur de la signature de l’artiste et jadis d’une date aujourd’hui totalement illisible. Il est considéré comme le tableau le plus abouti de Louis Finson, disciple du grand peintre Caravage (1571 - † 1610).

Le tableau est classé « Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles » par arrêté du 26 mars 2010 publié au Moniteur Belge du 28 septembre 2010. Il est la seule œuvre de ce peintre exposée dans une collection publique en Belgique.

Le tableau dans l’histoire de la Collégiale et de la Ville d’Andenne

Fig. 2. Façade de la Collégiale d'Andenne © Elisabeth De Coninck.
Fig. 2. Façade de la Collégiale Sainte-Begge d'Andenne © Elisabeth De Coninck.

Andenne se situe aux confins de l’ancien comté de Namur et de la Principauté de Liège. Sainte Begge y a fondé un monastère double à prééminence féminine vers 691-692.

L’actuelle Collégiale Sainte-Begge est une œuvre réalisée à partir de 1764 selon les plans de l’architecte Laurent Benoît Dewez (château de Seneffe, abbaye de Gembloux, abbaye d’Hélécine…).  Elle a été consacrée en 1778. Elle a été bâtie dans l’encloître du monastère et sur les restes des sept églises d’Andenne, constructions médiévales qui étaient devenues impossibles à entretenir.

Pourquoi ce tableau est-il important à Andenne ?

Il l’est depuis 6-7 générations.  Il fut acquit par le doyen Léonard Joseph Courtoy en 1854.

L’église était terminée, mais pas dans son ameublement.  Le doyen cherchait donc des œuvres en vente sur le marché public. Ce tableau n’était pas encadré, mais le doyen fait faire le cadre que l’on voit encore aujourd’hui.

Le tableau est toujours resté à la place qu’on lui connaît encore maintenant. Par son sujet et sa grandeur, il suscite l’intérêt de la bourgeoisie locale et venue d’ailleurs (Flandres, Allemagne). Il fait partie des meubles jusqu’à ce qu’on trouve son réel intérêt pendant la Première Guerre mondiale.  Les allemands font une opération photographique pour inventorier le patrimoine. En 1917, les spécialistes allemands commencent à comprendre que ce n’est pas n’importe quel tableau, l’auteur est identifié grâce à la signature.

En 1934, l’ancien archiviste de Namur porte un intérêt tout particulier à Andenne :  Ferdinand Courtoy, qui n’est autre que le petit neveu de l’ancien Doyen, retrouve dans les papiers de son grand-oncle les attestations d’achat.  Il révèle dans une brève notice publiée sous le titre « Deux tableaux de l’église d’Andenne » dans le quatrième fascicule de 1934 de la revue namuroise « Namurcum », les circonstances de l’arrivée du tableau à Andenne.

« On pourrait croire qu’elle provient de l’ancienne collégiale d’Andenne démolie par l’architecte Dewez en 1763, pour faire place à l’édifice actuel. Il n’en est rien. L’œuvre de Finson n’est là que depuis le milieu du xixe siècle.

Nous possédons des papiers de l’abbé Léonard-Joseph Courtoy, doyen d’Andenne de 1834 à 1878, qui précisent exactement son origine. Le tableau lui fut vendu, le 7 juin 1854, pour 350 frs, par J.-B. Adam-Zeus, directeur d’école libre. Le Musée de Liège fut sur le point de l’acheter. Le doyen, embarrassé par les dimensions de la toile qu’il était difficile de placer convenablement, tenta de la revendre, mais en vain. »

Louis Finson et le Massacre des Innocents

Fig. 3. Louis Finson, Le massacre des innocents © Elisabeth De Coninck.
Fig. 3. Louis Finson, Le massacre des innocents © Elisabeth De Coninck.

L’auteur Didier Bodart conclut ainsi la notice descriptive du « Massacre des Innocents » dans sa magistrale étude publiée en 1970 par l’Académie royale de Belgique sur Louis Finson : « un caravagiste dont la plus grande partie de la carrière se passe en Italie, puis en Provence et à Paris » et dont « les œuvres conservées se situent entre 1610 et 1615 ».

Louis Finson est né avant 1680 (date de la mort de sa mère) et est mort à Amsterdam en 1617. Ce peintre brugeois était l’apprenti de son père. Comme beaucoup d’artistes, il a fait le voyage en Italie.  Il se retrouve à Naples au début du 17ème siècle. C’est durant ce séjour qu’il rencontre et côtoie le Caravage.

C’est de ce séjour que datent la majorité des œuvres signées et datées du peintre. Finson quitte Naples après la mort du Carravage (1610).  Il remonte vers le nord en passant par la France.  C’est d’ailleurs en France que l’on peut voir la majorité de ses œuvres (Arles, Montpellier, Marseille).

Didier Bodart s’est attaché à « dresser le bilan de ce qui est connu à son propos et de tout ce qui reste dans l’ombre ». « Un catalogue de 25 œuvres certaines, établi avec toute la rigueur souhaitable, sert de base d’identification (…). Il ressort de ce « catalogue raisonné de l’œuvre de Louis Finson » que le « Massacre des Innocents » est la toile « la plus savamment structurée de l’artiste ».

Toutefois, le dossier « Louis Finson » est à reconsidérer dans son ensemble. Depuis 1970, de notables avancés ont été réalisées. Une meilleure connaissance du foyer provençal où se trouve la plus importante partie de son œuvre constituée de retables d’église et portraits entre Marseille, Aix-en-Provence, Montpellier et Arles ; de son rôle déterminant, avec Vinck, en faveur de l’introduction des idées révolutionnaires de Michelangelo Merisi dit Le Caravage dans les Pays-Bas, particulièrement sur le foyer d’Utrecht. Par contre, subsistent de nombreuses inconnues. Une essentielle : en quoi consistèrent les contacts avec Le Caravage et son milieu. Finson fut-il un suiveur attiré par son style ; un de ses disciples, collaborateurs ?  Le connut-il personnellement ? Peut-être plus anecdotique : sa date de naissance exacte est toujours ignorée.

Les débats qui entourent l’identification de la « Judith et Holopherne » découverte dans la région de Toulouse en 2014 procèdent de ces problématiques.

Le Massacre des Innocents, pourquoi est-il spécial ?

  • De par ses grandes dimensions, presque 3 x 4 m. Ce qui lui donne une présence importante dans la Collégiale.
  • De par son sujet : épisode tragique relaté dans l’évangile selon Saint Matthieu. Le sujet est terrible, mais la composition est remarquable.  C’est l’œuvre la plus accomplie de l’artiste à la fin de sa carrière.

La date probable est 1615 (effacée mais présente dans le cartouche avec la signature). Que de mystères l’auréolent ! Où a-t-il été peint, quand, pour qui ? Quel fut son périple entre 1623 et sa réapparition à Liège en 1854 ? Fut-il réellement daté ? Quelles relations établir avec les autres œuvres de Louis Finson ? S’y est-il représenté ?

Description de l’œuvre 

Fig. 4. Louis Finson, Le massacre des innocents. Détail © IRPA-KIK, Bruxelles, X148087.
Fig. 4. Louis Finson, Le massacre des innocents. Détail © IRPA-KIK, Bruxelles, X148087.

L’effroyable scène du Massacre des Innocents se déroule principalement à l’avant-plan, sous la forme d’une frise monumentale : scène en mouvement où s’enchevêtrent les corps basanés des bourreaux, les corps des mères, grands-mères et enfants, livides. La rage, le tourment et la terreur sont palpables.  Le mouvement est permanent :  fuite, défense, attaque, agression. Au centre, un personnage, plus statique, se tient seul de dos, cela pourrait être un autoportrait de Louis Finson.

La scène se prolonge sur le plan médian et l’arrière-plan, avec une ouverture sur une vue urbaine, avec de hauts bâtiments, une rue. La ville est Bethléem, mais les bâtiments ici représentés pourraient être ceux de La Valette la capitale de l’île de Malte (où le Caravage s’était réfugié ! Un lien est à l’étude).  En haut de la composition, la scène s’ouvre sur un beau ciel bleu et serein.

Etat de conservation et restaurations 

Ferdinand Courtoy, le premier, en 1933, attira l’attention des autorités (le Gouverneur de la province de Namur) sur l’intérêt et l’état sanitaire de l’oeuvre.

« La toile, […], est accrochée au bas de la nef droite, au-dessus d’une porte qui s’ouvre dans la façade. Elle a tristement souffert de l’humidité. Par suite du mauvais état des toitures laissées à l’abandon, des infiltrations ont percé les plafonds et les murs, exerçant leurs ravages sur le tableau qui est écaillé en plusieurs places. Le vernis est embué par endroits. On remarque aussi des éraflures. Il serait temps de donner des soins à cette peinture précieuse. Elle devrait être mise en main d’un peintre consciencieux et prudent qui fixerait les écailles et ferait disparaitre l’embu que l’on remarque en haut de la composition. On devrait à notre avis s’en tenir là et éviter toute restauration qui pourrait amoindrir le mérite de cette toile extrêmement intéressante, digne d’un Musée. Nous avons ici l’unique œuvre de cet artiste brugeois qui soit conservée en Belgique. »

Ferdinand Courtoy (notice, 1934, Deux tableaux de l’église d’Andenne, Revue Namurcum) annonce aussi qu’elle « sera prochainement restaurée, grâce à l’intervention financière de la Députation permanente de la province de Namur et de l’État.» Ce « nettoyage est effectué vers 1935 par Joseph Claes, peintre de Namur. Aucune date n’est trouvée ; de nombreux repeints sont constatés. »

Le tableau fit ensuite l’objet d’une importante restauration en 1992 par Daniel Pierot dans le cadre de la campagne « SOS Grandes Toiles » du Fonds du Patrimoine culturel mobilier de la Fondation Roi Baudouin avec l’aide de la Loterie Nationale.

Besoins de l’œuvre aujourd’hui ?

L’œuvre a grand besoin d’une prise en charge complète, tant au niveau de ce qui la compose qu’au niveau de son étude historique et stylistique.

Elle a encore souffert après la restauration de 1992 des conditions de conservation dans la Collégiale.  Depuis lors, notre belle Collégiale a bénéficié d’une restauration presque complète et est bientôt prête à être réouverte au public.

Durant cette campagne de restauration, le tableau a été dépendu et stocké dans un abri au centre de l’édifice. La Fabrique d’Eglise a entamé de lourdes démarches pour profiter de cette fenêtre temporelle et programmer une restauration et une étude complète de l’œuvre.  Un tel projet nécessitait des recherches de financement.  Trois démarches importantes ont été initiées : la demande de subsides auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’étude de projet par l’Institut Royal du Patrimoine Artisitique et la participation au Challenge Patrimoine (IRPA).

L’importante étude de projet réalisée par l’IRPA constitue une base de réflexion fondamentale pour préparer une future restauration de l’œuvre. Malheureusement, cette restauration représente un travail colossal et nous n’avons pas abouti dans notre recherche de fonds et de subsides.  L’œuvre a été classée deuxième, sur six œuvres belges, dans le cadre du Challenge Patrimoine.  Nous avons été largement soutenus au niveau local et national ! Ce qui a offert une belle visiblilté à notre patrimoine.

Le Massacre des Innocents a été classé en 2010, Trésor de la FWB.  Mais également le Lutrin-Griffon, chef d’œuvre d’orfèvrerie et surtout la châsse renaissante de Sainte Begge, œuvre d’orfèvrerie majeure en Belgique. Ces trois œuvres constituent entre-autre les joyaux de notre patrimoine religieux ardennais.

Ce Trésor, c’est l’héritage des dames chanoinesses d’Andenne, qui ont dirigé la ville et la région pendant pratiquement 1000 ans.  Dames qui dès le 12ème siècle se recrutent parmi la fine fleur de la noblesse régionale et européenne.

Elisabeth De Coninck et la synthèse des notes de Jean Sacré, conservateur du Trésor des Dames et de la collégiale Sainte-Begge d’Andenne.

Fig. 5, 6, 7. Louis Finson, Le massacre des innocents. Détail © IRPA-KIK, Bruxelles, X148091, x148092, x148093.

Bibliographie

BODART D., Louis Finson, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1970, pp. 126-129.

FARCY Ph., Le massacre des Innocents (1615). Louis Finson, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 1992.

KAIRIS P.-Y., Le massacre des innocents, dans JAFFRE G. et MARCHANT C. (sous la coord.), Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, Protection du Patrimoine culturel, vol. 1, Stavelot, 2015, p. 225.

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