Un couvercle de sarcophage comme Trésor !

Une statue de Saint-Jacques (bois polychromé vers 1380) et l’œuvre en albâtre (1540/1550 et 1572) de Jacques Du Broeucq (1504-1584), conservées en la collégiale Sainte-Waudru, à Mons, étaient déjà considérées comme Trésors de la Communauté française. Depuis mars 2025, un troisième « Trésor » vient d’être reconnu par la même Communauté en la collégiale montoise.

Ainsi, à l’entrée du déambulatoire sud, sur une structure en marbres blanc et noir, imaginée en 1836, se trouve une pierre, en très bon état vu son ancienneté, réalisée dans un marbre de Purbeck, taillée et gravée, d’une simplicité déconcertante. Elle affecte la forme d’une croix et était le couvercle du sarcophage de la comtesse Alix de Namur, comtesse de Hainaut, décédée en 1169.

À l’époque, les comtes de Hainaut reposaient encore, à l’issue de leur dernier voyage, dans la collégiale dédiée à la sainte patronne de Mons.

Des comtes de Hainaut, à Mons, il ne reste pas grand-chose. Et dans la collégiale Sainte-Waudru, cette pierre est l’ultime témoignage de leurs tombeaux (quelques sceaux, notamment sur un document du XIVe, évoquent encore les comtes de Hainaut, mais enfermés, fort logiquement, avec les reliques de sainte Waudru dans la châsse de son corps).

Lors des troubles liés à la Révolution française, le tombeau d’Alix de Namur a été détruit.  Seul le couvercle a été épargné. La pierre, sculptée en forme de croix et munie d’une inscription en vers léonins, a alors été retirée de la collégiale en vue d’une exposition au musée qui venait d’être créé. Elle sera finalement « rapatriée » à Sainte-Waudru en 1836.

Le couvercle du sarcophage d’Alix de Namur est donc un précieux témoignage de la présence des comtes de Hainaut à Mons. Mais il est également un témoin utile pour l’histoire de l’art (rareté de ce type de couvercle et rareté de la pierre utilisée), particulièrement en Hainaut.

Le texte qui figure sur la pierre de 1169 (la date figure sur le bras de la croix) a souvent été traduit. La dernière traduction, présentée à côté de la pierre, sur le mur de soubassement des stalles, est celle proposée par l’abbé André Minet, doyen de Sainte-Waudru. Les mots gravés sur la pierre permettent à la comtesse défunte de « dialoguer » avec celles et ceux qui lui survivent. Elle s’interroge ainsi sur le sens de la vie et demande des prières.

La mort me lie à une pierre, moi la Comtesse Alix. Lecteur, je l’atteste à mon tour, demain il en sera de même pour toi. Que me donnent maintenant la renommée à moi qui fus célèbre, et la noblesse à moi qui eus noble naissance ? A moi qui fus belle, que me donnent la beauté et l’éclat de la rose ? La renommée est peu soucieuse de ma noblesse. J’ai la douleur de voir la beauté repoussée loin de moi, et de la sorte il m’est donné aujourd’hui tout autre chose que j’étais hier. Juillet touche à sa fin, lorsque je suis réduite à rien ou transformée, ayant été déposée dans le sein de la terre notre mère, suivant la pieuse coutume. Etant née dans la maison de Namur, d’une mère parente de saints, aspirant arriver aux saintes destinées, je m’applaudis de récolter ce qui a été semé. Qui que tu sois, toi qui es ici venu, songe en toi-même à ce que je traîne avec moi maintenant. Il convient que, lorsque tu le peux, tu me fasses des dons de prières. L’an du Verbe incarné mil cent soixante-neuf.

Cet ultime vestige du sarcophage d’Alix de Namur mérite assurément le détour, lui qui est si souvent oublié par les visiteurs de Sainte-Waudru. En général, ils consacrent du temps à l’œuvre de Jacques Du Broeucq. Quand ils ne se limitent pas au Car d’Or (1780/1781) que les chanoinesses de Sainte-Waudru ne voyaient pourtant que comme un « corbillard de luxe » et non comme un « patrimoine à conserver » !

 

Benoît Van Caenegem

Conservateur de la collégiale Sainte-Waudru

et de son Trésor

Les photos sont de l'auteur.