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À la recherche des tapisseries d’églises wallonnes

Publié le 23/01/2024

Art de luxe historique et typique de nos régions, peu de tapisseries ont aujourd’hui survécu dans les églises. Nous allons tenter de déceler les raisons de ces pertes et retrouver quelles formes et messages avaient ces objets ; peut-être même qu’avec votre aide, nous pourrons redécouvrir des exemples cachés dans nos sacristies.

La tapisserie de lisse est un artisanat de luxe que le savoir-faire de nos régions a mené à un très haut niveau de qualité, au point où toutes les cours européennes se les sont disputées pendant des siècles. Des tapisseries provenant de Tournai, Bruxelles, Malines, Bruges, Audenarde, Enghien, etc. sont encore visibles sur les murs des châteaux. Les tapisseries d’église sont moins coins connues et rarement conservées, et pourtant les édifices de culte étaient un lieu privilégié pour exposer ces tentures, qui étaient adaptées à la liturgie par leurs messages iconographiques, leur emplacement, leurs usages.

Vie du Christ dans le chœur de la cathédrale Saint-Sauveur à Bruges © Open Churches (https://openchurches.eu/fr/edifices/sint-salvator-brugge) - Exaltation de la Croix, 265 x 260 cm, seconde moitié du XVIIe siècle, église Sainte-Walburge d’Audenarde © Solène Lecuivre

Ces tapisseries destinées aux églises prennent des formes très variées. Les plus connues sont les tentures de chœur prévues pour être exposées au-dessus des stalles, représentant en plusieurs pièces la vie, les miracles et le martyre du saint patron de l’église, du Christ ou de la Vierge, rappelant et illustrant l’histoire au fidèle. Dans les chapelles de confrérie, l’iconographie des tapisseries, indépendantes ou de deux-trois pièces, sont en lien avec la dévotion du groupe (Eucharistie, sainte Croix, etc.). Dans la nef et à l’extérieur, les sujets sont plus variés : paysages, saints, scènes bibliques seules, portraits de familles locales, etc. Enfin, on peut aussi retrouver la technique de la tapisserie adaptée à des formats plus originaux (retable, devant d’autel, tableaux, etc.) qu’on identifie par la texture granuleuse et l’aspect quadrillé du motif.

 

Retable des de Bruyne, panneau central avec Notre-Dame de Montaigu en tapisserie (21 x 19,5 cm), 1608 © Institut Royal du Patrimoine Artistique (https://balat.kikirpa.be/object/20041483) Texture ‘granuleuse’ d’une tapisserie © Solène Lecuivre

Le point commun de ces tapisseries consiste dans l’usage qui en était pratiqué : jusqu’au XIXe/XXe siècle, elles n’étaient sorties et accrochées que quelques fois par an, pour quelques jours ou semaines, à l’occasion des grandes célébrations qui ponctuent le calendrier liturgique : Noël, Pâques, fête du Saint-Sacrement, fêtes patronales, etc. Elles étaient alors installées dans l’église, mais aussi affichées dans les rues, le long des routes de procession. C’était surtout lors de la Fête-Dieu, ou Corpus Christi, que le décor prenait le plus de place, le Cérémonial des Évêques (1600) demandant que « les rues par lesquelles passera la procession soient nettoyées et décorées de tapisseries, tentures, toiles peintes, fleurs, rameaux et feuillages selon les possibilités et les moyens des localités ».

En France, une quarantaine de tentures de chœur sont connues, dont plusieurs tissées dans les anciens Pays-Bas méridionaux, et de multiples autres tapisseries décoratives sont toujours conservées dans les églises qui les ont reçues entre le XVIe siècle et aujourd’hui. En Espagne, ces pièces sont parfois encore utilisées, notamment en étant suspendues aux façades des maisons et le long des enceintes de la ville lors de la Semaine Sainte. En Belgique par contre, ces œuvres sont rares, et presque exclusivement conservées dans les édifices catholiques bruxellois et flamands (Bruges, Gand, Hal, Louvain). En Wallonie, la cathédrale de Tournai abrite la plus ancienne tenture de chœur conservée au monde (Histoire de saint Piat et saint Eleuthère), mais aussi l’Histoire de Jacob qui vient d’être restaurée. L’église paroissiale de Pepinster conserve quant à elle un exceptionnel Chemin de Croix tissé au début du XXe siècle. Ces exemples monumentaux prouvent que ce type d’objet avait aussi sa place dans les églises wallonnes. Dans les archives, de nombreux indices de dons ou d’achats de tapisseries, ou de paiement pour les accrocher, confortent cette hypothèse. Dès lors, pourquoi n’en a-t-on pas conservé d’avantage, comment expliquer leur rareté ?

Rues décorées de tapisseries pour la procession du Corpus Christi à Tolède © El Español, El digital Castilla – la Mancha (https://www.elespanol.com/eldigitalcastillalamancha/region/toledo/20230609/devocion-belleza-mejores-imagenes-procesion-corpus-toledo/769953010_3.html#img_130)

La Révolution française a entraîné des vagues de pillages dans les églises, et de nombreuses tapisseries en ont été victimes, notamment pour récupérer les fils d’or et d’argent. La nouvelle bourgeoise qui émerge ensuite développe un gout différent de la noblesse, et se détourne de la tapisserie qui perd alors son statut privilégié et devient démodée. Dans les églises, dont l’architecture change aussi, on préfère désormais les décors plus pérennes, comme la peinture. Que faire alors de ces grandes pièces de tissus devenues inutiles ? Au mieux, elles sont remisées dans les sacristies, sans pouvoir assurer de bonnes conditions de conservation. Parfois, elles sont même détournées de leur fonction pour devenir des objets plus pratiques : les Tapisseries des Miracles de Notre-Dame de la Poterie à Bruges servent de couverture aux soldats par exemple, mais on en transforme aussi en bâche pour les dégâts des eaux, ou encore en tapis. Depuis que le marché de l’art réapprécie les arts décoratifs, ce sont les ventes et les vols qui font disparaître ces œuvres de nos églises : c’est ainsi que l’une des rares tentures encore conservées au siècle dernier, la Vie et Passion du Christ, exceptionnellement exposée dans une chapelle de la collégiale Sainte-Waudru, a été volée en 1980.

Giavonni Paolo Pannini, La remise de l’Ordre du Saint-Esprit, 1758 © Musée des Beaux-Arts de Caen (https://mba.caen.fr/oeuvre/la-remise-de-lordre-du-saint-esprit-au-prince-vaini-par-le-duc-de-saint-aignan-en-leglise)

Tapisseries bâchant le grand orgue de la cathédrale de Strasbourg © Fondation Notre-Dame, Strasbourg (publié dans Doré, J. Rapp, F. et Jordan, B. Strasbourg. Strasbourg : La Nuée. 2007)

Aujourd’hui, que fait-on de ces tapisseries ? Appel aux fabriciens

Dans les églises de nos régions, nous connaissons donc peu de ces objets qui devaient probablement éveiller l’admiration des fidèles des siècles passés. J’aimerais, dans le cadre de ma thèse de doctorat sur ces objets, reconstituer ce patrimoine disparu, ou, nous l’espérons, pas encore redécouvert. Pour ce faire, j’inventorie toutes les tapisseries (y compris les fragments, centres de retable, devants d’autel, etc. tissés par technique de haute ou basse lisse) et les indices de leur ancienne présence, à savoir : des témoignages de leur utilisation, des photographies ou dessins anciens, des mentions dans les archives de comptes, etc.

Si vous avez connaissance d’un élément de ce type dans l’église dans laquelle vous œuvrez, je vous serais grandement reconnaissante de me contacter à l’adresse mail suivante : solene.lecuivre@uclouvain.be.

Solène Lecuivre

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