Les textiles religieux : ignorés et mal-aimés?
Beaucoup de textiles liturgiques intéressants sont actuellement encore conservés dans les sacristies, tels que des vêtements comportant des broderies, des pièces datant du 18e siècle, des soieries et velours, des damas en lin, des dentelles… ceci étant, peu de personnes en ont connaissance et conscience. Pléthore de ces biens ne sont d’ailleurs plus utilisés dans le cadre du culte et atterrissent ainsi dans des tiroirs, des boites, des espaces de rangement ou encore des greniers. Malheureusement, la perte de fonction et de sens, engendrant la perte de connaissance de ces objets, représentent une grande menace pour ce patrimoine précieux.
Dans le cadre du projet CHrisis, une collaboration s’est mise en place entre l’atelier de textiles de l’IRPA, le CIPAR et les services diocésains du patrimoine, afin d’aider et d’accompagner les gestionnaires de patrimoine religieux à identifier et évaluer la valeur historique/patrimoniale de ces biens textiles particuliers.
Le projet CHrisis : la protection du patrimoine en situation de crise
Plusieurs églises paroissiales ont été touchées lors des inondations de l’été 2021, entraînant ainsi la mise en danger de biens patrimoniaux. Suite à ces sinistres soudains, l’Institut Royal du patrimoine Artistique (IRPA) a mobilisé et coordonné un groupe (un comité de crise) rassemblant diverses organisations en charge de gestion du patrimoine. Suite à cela, le projet IRPA CHrisis – Patrimoine en danger a vu le jour pour lancer des réflexions et des actions autour de la relève post-sinistre, mais aussi pour identifier des stratégies préventives pour mieux se préparer à l’éventualités de futures catastrophes. CHrisis se subdivise en plusieurs projets de recherches plus spécifiques, dont l’un porte sur l’évaluation de la valeur et de l'importance du patrimoine textile.
Les textiles liturgiques sont particulièrement sensibles aux ravages causés par de telles calamités. En effet, ils sont généralement rangés dans des tiroirs et des armoires de sacristies, qui sont rapidement immergés. Dans de telles situations, il est primordial d’agir rapidement. Outre les gestes nécessaires de sauvegarde pour extraire les textiles de l’eau et de la boue, une vision claire de la situation doit aussi être élaborée pour identifier les pièces de valeur parmi celles qui sont altérées, de sorte à pouvoir évaluer les priorités en termes de préservation.
Qu’est-ce que l’évaluation et comment évaluer des textiles liturgiques ?
L’évaluation du patrimoine fournit une réponse concrète à la question suivante : pourquoi est-ce que ce bien est important et pour qui revêt-il une importance ?
Voici une définition complète : l’évaluation est le processus qui consiste à examiner, comprendre et saisir les différentes valeurs patrimoniales de manière rationnelle et structurée, en collaboration avec les parties concernées internes et externes et les parties intéressées (1).
Ce qui est donc perçu comme ayant de la valeur sera préservé in fine de manière durable. Un projet d’évaluation est notamment utile et nécessaire lorsqu’une église est réaffectée mais aussi dans le cadre de la gestion globale du patrimoine, lors de l’établissement de priorités au cas où des décisions doivent être prises (lors de sinistres, par exemple) ou lorsqu’il faut déterminer quels biens doivent bénéficier d’une protection. Développer une évaluation patrimoniale est aussi indispensable pour mener des réflexions sociétales en matière de gestion de biens historiques.
Comment évaluer des textiles liturgiques ? Pour concrétiser une évaluation, l’inventaire doit être préalablement établi car il est primordial de savoir ce qui est conservé in situ. Pour ce qui est des églises, plusieurs récolements ont déjà été intégralement établis (cfr liste inventaires validés en 2023). Une fois que l’on dispose d’une bonne vision sur l’ensemble de la collection, il est possible d’évaluer toutes les pièces. D’un côté, ce travail est du ressort des spécialistes : des études historiques et matérielles réalisées par des professionnels sont nécessaires pour effectuer une évaluation pertinente. Celle-ci est basée sur plusieurs critères :
- L’ancienneté (tous les textiles confectionnés avant la fin du 19e siècle présentent une valeur patrimoniale)
- L’intérêt historique
- La confection (un concepteur reconnu ou atelier de production important)
- La rareté
- La représentativité
- La qualité
- La préciosité
- L’état de conservation (un bon état de conservation confère de la valeur à une pièce)
De l’autre côté, il est important d’impliquer les différentes parties intéressées (propriétaires, gestionnaire, …) dans un processus d’évaluation. Une attention particulière doit aussi être portée à l’importance qu’accorde la communauté (locale) au bien évalué, qui se définit par l’usage cultuel et la valeur sociétale. Une évaluation est donc idéalement un processus participatif qui doit être mené par une équipe dont les membres représentent les différentes parties concernées. De plus, il doit être coordonné, dans le cas des églises paroissiales, par les services diocésains du patrimoine. Pour ce qui est des textiles liturgiques historiques, le groupe de réflexion peut faire appel à l’atelier de conservation de textiles à l’IRPA en cas de besoin d’expertise supplémentaire.
Études de cas
En collaboration avec le CIPAR et les services diocésains du patrimoine, plusieurs églises en Wallonie qui conservent un grand nombre de textiles anciens à caractère patrimonial, de datations et de typologies différentes ont été sélectionnées pour l’étude. Dans ces édifices, des textiles liturgiques ont été examinés de près, afin d'évaluer leur valeur et leur importance. Plusieurs spécialistes de textiles sont venus prêter main forte pour étudier quelques ensembles : Mireille Gilbert (UCLouvain), Hélène Malice (UCLouvain) et Frieda Sorber (conservatrice émérite du ModeMuseum à Anvers).
Étoffes en soie du 18e siècle
Plusieurs vêtements liturgiques initialement conservés à la chapelle Saint-Lambert de Verviers ont été sauvés des inondations. Parmi ceux-ci, il y a des chapes et des chasubles confectionnés à partir de tissus du 18e siècle.
Ce type d’étoffe en soie, avec des motifs (floraux) tissés, est très représentatif de cette période. Il s'agit souvent de tissus luxueux qui étaient également utilisés pour l’ameublement et les vêtements.
Photos 3 et 4. Chape en soie à motifs végétaux et floraux, milieu 18e siècle (photo © KIK-IRPA, atelier de textiles)
Un lien historique avec l’église
Un ornement (ensemble de vêtements) particulier est conservé à l’église Saint-Nicolas d’Enghien et est, pour ainsi dire, complet. Il comprend une chape, une chasuble, deux dalmatiques et des insignes (une étole, des manipules et un voile de calice). La datation de l’ensemble est connue grâce à la date « 1642 » qui est brodée. Outre cette date, des blasons sont également cousus, dont celui de la ville d’Enghien. Actuellement, l’ornement est en cours d’étude par l’UCLouvain pour mieux comprendre son contexte de production. Les riches décorations en fil de soie et fil d’or constituent une composition très créative, qui témoigne d’un savoir-faire maîtrisé et de qualité.
Photos 5-8. Chape en velours rouge à orfrois en fils d’or et de soie, milieu 17e siècle (photo © fabrique Saint-Nicolas, Enghien et photo © KIK-IRPA, atelier de textiles IRPA)
Orfrois médiévaux
Photos 9-11. Chasuble blanche ornée de croix et de colonne brodées, fin 15e – début 16 siècle, interventions postérieures nombreuses ; tissu de base : soierie du milieu du 18e siècle (photo © KIK-IRPA, atelier de textiles IRPA)
De manière inattendue, une chasuble à étoffe de fond en soie blanche du 18e siècle et ornée d’orfrois médiévaux a été redécouverte à l’église Saint-Rémi de Liers. La broderie est de haute qualité mais une intervention de restauration regrettable en recouvre une grande partie. Seuls les anges brodés ont été relativement bien conservés. Ceci étant, la chasuble préserve une grande valeur patrimoniale et ce malgré les restaurations quelque peu hasardeuses.
Signature du tailleur
Au premier coup d’œil, une inscription mystérieuse a été découverte sur cette sobre chasuble funéraire (fig.12-13), brodée sur la doublure. Après examen minutieux, il semble que cette inscription serait le nom du tailleur (P.M.Lekeu) et la date de la conception (1726) du vêtement. La chasuble a été au cours du temps remaniée à diverses reprises et reconstituée avec du tissu plus récent. La doublure a été remployée et retournée, rendant l’inscription illisible. Cette pièce sobre livre en réalité davantage d’information sur le travail du tailleur de Namur, dont plusieurs vêtements issus du même atelier sont conservés ailleurs dans autres églises de la région namuroise. Ces ensembles attribués à P.M.Lekeu sont également en cours d’étude par l’UCLouvain.
Photos 12-13. Chasuble funéraire, confection originelle du 18e siècle (photo © KIK-IRPA, atelier de textiles IRPA)
Appel
Ces études de cas n’illustrent que quelques exemples de vêtements religieux remarquables et conservés dans des églises de Wallonie. Il est très probable que d’autres pièces textiles exceptionnelles figurent également dans les inventaires d’autres édifices de culte. Vous souhaitez bénéficier de l’expertise ou de conseils en termes d’évaluation de la part de spécialistes en la matière ? N’hésitez pas à prendre contact avec le CIPAR et les services diocésains du patrimoine !
Envie d’en savoir plus ?
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Pour plus d’informations sur les textiles liturgiques n’hésitez pas à télécharger ou commander la brochure du CIPAR Comprendre et conserver les textiles liturgiques.
Judith Goris – Assistante scientifique - l'Atelier des textiles KIK-IRPA
Traduction du néerlandais au français assurée par Maura Moriaux, CIPAR