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Une œuvre majeure d’une des plus grandes femmes peintres du XVIIe siècle conservée au Séminaire de Namur : le Mariage mystique de sainte Catherine de Michaelina Wautier

Publié le 16/07/2024
Fig. 1. Michaelina Wautier, Mariage mystique de sainte Catherine, cliché après restauration © IRPA-KIK, Bruxelles, X125205.

Michaelina Wautier

1649

Peinture sur toile

157 x 218 cm

Grand séminaire, Namur

Propriété du Grand Séminaire, Namur

Classé le 23 novembre 2010 – M.B. 8 février 2011

Il y a trente ans à peine, Michaelina Wautier (Mons, ?- Bruxelles, 1689) était presque totalement inconnue et elle n’avait jamais fait l’objet d’aucune étude. C’est dans les toutes dernières années du XXe siècle qu’elle a commencé à retenir l’attention des historiens de l’art et ceux-ci ont bientôt dû convenir que cette Montoise se révélait en fait l’une des plus grandes femmes peintres du XVIIe siècle ! En ce temps où les femmes peintres étaient reléguées dans des genres dits mineurs, Michaelina a produit tant des grandes toiles mythologiques et religieuses que des scènes de genre, des fleurs ou des portraits, ce qui est très inhabituel. C’est manifestement en raison de sa condition de femme que l’historiographie a scandaleusement oublié cette artiste de premier plan !

Fig. 2. Michaelina Wautier, Mariage mystique de sainte Catherine. Détail © IRPA-KIK, Bruxelles, X125207.

Elle représente l’une des personnalités artistiques les plus surprenantes, et les moins connues, des Pays-Bas au XVIIe siècle. Elle ne s'est signalée à nous qu'à travers une petite trentaine de tableaux signés ou documentés. Sa notoriété grandissante a conduit à de multiples attributions sur des bases stylistiques, mais le bon grain doit encore être séparé de l’ivraie. Curieusement, sa production documentée se situe seulement entre 1643 et 1659, alors qu’elle a vécu environ 75 ans.

Hors de ses tableaux, on sait peu de choses d’elle ; sa date de naissance exacte n’est, par exemple, pas connue, contrairement à ce que l’on avait cru. On sait qu’elle est issue d’une famille de la petite noblesse montoise, qu’elle avait des nombreux frères et sœurs. Son frère Charles (1609-1703) a dû jouer un rôle important dans sa formation car il est également devenu peintre ; on commence aussi à redécouvrir son œuvre. Charles et Michaelina sont toujours restés très proches. Étant demeurés tous deux célibataires, ils partagèrent le même domicile à Bruxelles et le même atelier. Ils furent tous deux enterrés dans l’église de la Chapelle. C'étaient des personnalités suffisamment en vue pour se voir commander des tableaux par l'archiduc Léopold-Guillaume de Habsbourg, gouverneur des Pays-Bas et l’un des plus grands collectionneurs de son temps. La question de leur collaboration est l’un des sujets qui interpellent le plus les historiens de l’art qui se penchent aujourd’hui sur leur production.

Michaelina Wautier, Mariage mystique de sainte Catherine. Détail © IRPA-KIK, Bruxelles, X125205.
Fig. 3. Michaelina Wautier, Mariage mystique de sainte Catherine. Détail © IRPA-KIK, Bruxelles, X125206.

Le saisissant Mariage mystique de sainte Catherine (157 x 218 cm) est l’une des meilleures réalisations de Michaelina dans le grand genre. On y voit sainte Catherine d’Alexandrie agenouillée, aisément reconnaissable à la roue dentelée à ses côtés, et portant la main vers l’Enfant Jésus assis sur les genoux d’une mère au regard compatissant. Marie est assise sur une tablette de pierre devant saint Joseph. Au second plan au centre se découvre sainte Barbe, à moins qu’il ne s’agisse de sainte Agnès ; elle tient la palme symbole de son martyre. À droite apparaît le petit saint Jean, accompagné d’un agneau, son attribut autant que celui de sainte Agnès. C’est l’une des représentations les plus originales que l’on connaisse de ce thème au XVIIe siècle.

La signature et la date de 1649 que porte ce beau tableau ont été oubliées jusqu’en 2001. Une de ses principales spécificités, c'est l'extrême caractérisation des personnages : on devine des portraits dûment étudiés. Le visage affable de la noble dame qui a servi de modèle à la Vierge apparaît comme un contrepoint à la représentation dynamique de saint Joseph, rejeté dans l'ombre. Il se dégage de cette dernière figure une exceptionnelle puissance expressive qu'accentuent les contrastes lumineux ; c'est un saint Joseph bien éloigné de la typologie traditionnellement neutre et austère du personnage. Il faut peut-être voir dans les figures des portraits de notabilités locales, éventuellement de la famille de Croÿ. L’origine de cette toile est malheureusement inconnue.

Ce trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles a retrouvé sa vivacité grâce à sa restauration à l’IRPA en 2017-2018. Il devrait être bientôt proposé à l’admiration d’un large public international, dans le cadre d’une grande exposition sur Michaelina Wautier qui se tiendra au Kunsthistorisches Museum de Vienne à l’automne 2025, puis à la Royal Academy de Londres dans les premiers mois de 2026.

Pierre-Yves Kairis

Vice-président de l’Institut archéologique liégeois

Bibliographie

KAIRIS P.-Y., « Le portrait dans le Namurois au XVIIe siècle » dans TOUSSAINT J. (éd.), Portrait en Namurois, Namur, Province de Namur, 2002, pp. 39-41.

KAIRIS P.-Y., Mariage mystique de sainte Catherine en présence de sainte Barbe et du petit saint Jean, dans JAFFRE G. et MARCHANT C. (sous la coord.), Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, Protection du Patrimoine culturel, vol. 1, Stavelot, 2015, p. 229.

VAN DER STIGHELEN K., « Prima inter pares’. Over de voorkeur van aartdhertog Leopold-Wilhelm voor Michaelina Woutiers (ca 1620-na 1682) », dans VLIEGHE H. et VAN DER STIGHELEN K., Actes du colloque Sponsors of the Past. Flemish Art and Patronage 1550-1700, Turnhout, Brepols, 2005, pp. 107-108.

VAN DER STIGHELEN K. (dir.), Catalogue de l’exposition Michaelina Wautier. 1604-1689. Gloryfying a Forgotten Talent, Anvers, 2018, p. 200-203.

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