L’église de Gimnée conserve un Trésor !
Une nouvelle étape vient d’être franchie dans la valorisation du Miracle de saint Eloi conservé à l’église Saint-Servais de Gimnée : ce tableau de Charles Wautier fait partie des cinq biens récemment classés comme « Trésors » par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette reconnaissance atteste de son caractère exceptionnel et lui assure une protection supplémentaire.
Le classement comme « Trésor » est rendu par une commission d’experts qui évalue la valeur artistique, historique, archéologique, ethnologique ou scientifique du bien. Celui-ci doit remplir au moins deux critères parmi : l’état de conservation remarquable, la rareté, le lien avec l’Histoire ou l’Histoire de l’art, la grande qualité de conception et d’exécution, la reconnaissance du bien par la communauté en tant qu’expression de son identité historique ou culturelle, ou encore l’intérêt de l’ensemble ou de la collection dont le bien fait partie. Outre un plus grand contrôle de son état de conservation, le classement veille à ce que les « Trésors » ne quittent jamais définitivement le territoire. Le moindre déplacement, acte de restauration ou de transformation est soumis à l’accord de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui se réserve également un droit de préemption en cas de vente du bien.
Redécouverte d’un chef-d’œuvre
A Gimnée, le classement du Miracle de saint Eloi a été suscité par l’intervention de Pierre-Yves Kairis. L’historien d’art et spécialiste de la peinture de nos régions redécouvre l’œuvre dans les années 2000. Partiellement masquée derrière l’autel de l’église Saint-Servais de Gimnée, elle est signée « C. Wautier 1659 ». P.-Y. Kairis l’identifie comme une toile majeure de Charles Wautier (1609-1703), un peintre d’origine montoise. Quasi ignoré jusqu’en 2000, il est reconnu aujourd’hui, au côté de sa sœur Michaelina, comme l’un des représentants importants de la peinture des Temps Modernes en Wallonie.
En mars 2024, le tableau de Gimnée est demandé en prêt par le Kunsthistorisches Museum de Vienne, pour une exposition rétrospective consacrée à Michaelina Wautier (30 septembre 2025 – 22 février 2026). Pierre-Yves Kairis, avec le soutien de la Fabrique d’église et du Service Patrimoine de l’Evêché, propose alors de rédiger un dossier de classement de la toile de Charles. Revenons sur les caractéristiques qui ont motivé sa reconnaissance comme Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles…
Contribution à l’étude de figures artistiques de premier plan
On ignore précisément où Charles Wautier a été formé mais on sait qu’il travaille principalement à Bruxelles, où il partage un atelier avec sa sœur. Si l’œuvre de Gimnée évoque la production bruxelloise du 17e siècle, Pierre-Yves Kairis considère qu’elle pourrait aussi donner un aperçu de la peinture montoise, que l’on connait peu pour cette époque.
D’une grande qualité d’exécution, le Miracle de saint Eloi montrerait les différentes influences dans l’œuvre de l’artiste, de Jacob Jordaens à l’école d’Utrecht, en passant par le Caravage. A l’instar d’une Annonciation de sa sœur de la même année, il nous renseigne en effet sur la réception du caravagisme au nord des Alpes. La comparaison entre les toiles de Charles et Michaelina permettrait également aux historiens d’art de mieux comprendre les liens qui unissent le travail du frère et de la sœur, mais aussi d’identifier les particularités qui les distinguent.
Un rare témoin dans la production du peintre
Dans la production connue de Charles Wautier, la toile de Gimnée constitue l’un des rares exemples de peintures d’histoire qui lui ont été attribuées, et le seul sur le sol wallon. A l’heure actuelles, on conserve principalement des portraits réalisés par l’artiste, mais on sait qu’il a travaillé pour des églises, notamment la collégiale Saint-Pierre de Louvain. Le Miracle de saint Eloi, certainement conçu pour un autel, est à ce jour le seul tableau religieux signé de ce peintre qui ait été identifié.
Le caractère exceptionnel du tableau tient aussi à la rareté de son sujet. Saint Eloi, orfèvre et célèbre conseiller du roi Dagobert, devient évêque de Noyon en 642. Acteur de la christianisation des Pays-Bas, il est aujourd’hui toujours réputé comme le saint patron des métiers du métal – tels que les orfèvres, forgerons, étainiers, ferronniers, armuriers, etc. – bien qu’il protège également les cultivateurs. Dans le tableau de Gimnée, saint Eloi est représenté debout, portant ses ornements d’évêque, et apposant les mains en direction de deux infirmes. Ce thème de guérison, inspiré de la Vita Eligii, est peu habituel dans l’iconographie du saint. Pierre-Yves Kairis se demande si Wautier n’aurait pas vu le volet du triptyque de la corporation des forgerons de Notre-Dame d’Anvers, peint par Ambrosius Francken en 1588, et dont la composition est similaire.
Une valeur esthétique retrouvée
Au-delà de sa rareté et de son lien avec l’histoire de l’art, le Miracle de saint Eloi de Gimnée présente une qualité d’exécution remarquable. Elle est encore davantage mise en évidence après la restauration de la toile, qui vient de s’achever dans l’atelier de la restauratrice Laetitia Golenvaux, avec le soutien financier du Fonds Baillet Latour.
Nettoyée d’un important encrassement et dégagée d’un verni jauni, la couche picturale déploie une riche palette de couleurs, notamment dans la représentation de la chape de l’évêque et ses orfrois historiés. Une opération de rentoilage a permis de résorber les nombreuses déformations du support, marqué de cloques et de plis. Les retouches ont achevé de redonner toute sa lisibilité au tableau, dont on peut à nouveau apprécier la composition et les détails.
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Lise Constant (Service Patrimoine de l’Evêché de Namur)
Nous remercions vivement Pierre-Yves Kairis d’avoir accepté de partager le contenu du dossier de classement, sur lequel nous avons basé la rédaction de cet article.