La Nativité et la Crèche dans nos régions
Si la Belgique n’a pas développé un art fastueux de la crèche comme dans d’autres contrées d’Europe, nos régions à travers les époques ont pourtant fait œuvre de pionnier et d’inventivité dans la pratique religieuse et le développement des crèches tel que nous les connaissons aujourd’hui. Voici à travers quelques lignes trop brèves, un condense de l'histoire des crèches.
Contrairement aux scènes de la Passion, l’Incarnation du Christ évoquée dans les Evangiles de Luc pour la naissance et l’Adoration des bergers et de Matthieu pour les mages est représentée très tôt sur les parois des catacombes et des sarcophages. Avec la reconnaissance officielle de l’Eglise au IVe siècle, les récits de l’Ancien et du Nouveau Testament ornent les éléments architecturaux et les objets de culte. Ces représentations s’étoffent grâce aux évangiles apocryphes qui apportent des réponses au laconisme des textes canoniques seuls reconnus comme divinement inspirés. On doit à ces récits la présence de l’âne et du bœuf et la grotte servant d’étable.
Crèche en porcelaine de J. Boland pour Teco à bois de Breux, années ’50, Coll. Particulière.
Vers le Xe siècle, les drames liturgiques naissent dans nos régions septentrionales. Ils participent pour la masse des fidèles à une meilleure compréhension des Evangiles. L’ajout de détails profanes les verra exclure de la liturgie puis des lieux de culte eux-mêmes. Ces spectacles sont joués sur les parvis des églises. Ils vont constituer néanmoins une source d’inspiration intéressante pour les artistes médiévaux.
Dès le XIIIe siècle, les récits hagiographiques comme la Légende dorée (1261-1266) ou l’Histoire scolastique introduisent de nouveaux motifs. L’étable ruinée est préférée à la grotte de la tradition apocryphe. La sensibilité des grands mystiques médiévaux introduit la notion de sensibilité humaine et de compassion. Dans ses sermons, saint Bernard de Clairvaux (vers 1090-1153) s’indigne du misérabilisme de l’étable, saint François d’Assise (1181-1226) assimile la mangeoire à l’autel. Il n’est pas, comme on le lit trop souvent, le créateur de la crèche, seuls un âne et un bœuf participaient à sa reconstitution. A la même époque, peinture et sculpture commencent à exister en tant qu’art à part entière et ne forment plus comme par le passé une symbiose avec l’architecture. Vers 1289-1291, à l'église Sainte-Marie Majeure à Rome, appelée aussi Sainte-Marie à la crèche, le sculpteur toscan Arnolfo di Cambio exécute pour un oratoire fait avec des pierres ramenées de Bethléem une Adoration des mages avec des personnages de marbre. Elle constitue la plus ancienne crèche connue. Les personnages sont indépendants les uns des autres, mais restent fixés au sol et à la muraille.
Jusqu’alors pour les œuvres en deux dimensions, qu’il s’agisse de peinture, mosaïque, fresque ou relief, on employait le terme « nativité ». Par son caractère tridimensionnel, un ensemble de personnages dans un décor, la nativité devient crèche et invite le spectateur à participer à la scène ; elle va faire l’objet d’une pratique dévotionnelle unique qui reste cependant en marge de la liturgie. A partir du XIVe siècle, ce type de représentation se répand en Italie dans des matériaux divers.
Détail du Portail du Bethléem à Huy, art mosan vers 1340.
Une autre grande visionnaire, sainte Brigitte de Suède (vers 1302-1373), décrit dans ses Révélations la manière dont la Vierge aurait enfanté. On la représente désormais à genoux et les mains jointes. L’accouchement qui demeure dans l’art de l’icône se mue en adoration. C’est désormais ce modèle qui va prévaloir en Occident. Un autre thème se popularise, peut-être influencé par les mystères, celui de l’annonce aux bergers. La dernière évolution iconographique notable est l’attribution à chacun des mages d’une race différente. Ils portaient depuis le Xe siècle les attributs royaux et les couronnes.
Le théâtre des mystères, le mouvement mystique rhénan inspirent aussi la tradition du bercement de l’Enfant Jésus dans les communautés religieuses tant en Flandre qu’en Wallonie. Cette tradition est attestée chez les particuliers à Cologne au milieu du XIVe s. Elle associe la participation du spectateur à un embryon de tradition plastique. Le Musée des Arts anciens du Namurois et le Musée Schnütgen de Cologne en conservent des exemplaires. Le Metropolitan Museum possède un exemplaire du grand Béguinage de Liège. (voir illustrations) La diffusion de la crèche met du temps à se répandre.
En France, une des plus anciennes crèches connues, à Chaource en Champagne, date de 1540. Le Concile de Trente dans sa dernière cession en décembre 1563 prône de nouvelles dispositions concernant l’art religieux : diffusion accrue des images, mais retour à des réalisations plus intimistes et plus conformes aux récits évangéliques. Ces dispositions posent, voire imposent un cadre iconographique avec le Traité des saintes Images du théologien louvaniste Molanus (1570). Ces théories évoluent rapidement avec l’art baroque en réponse à l’ascétisme des temples protestants.
Repos de Jésus ou Jésuau en bois polychrome qui proviendrait du Grand Béguinage de Liège, premier tiers du XVe s. L’œuvre est conservée au MET de New-York
L’ordre des Jésuites nouvellement créé impose ses choix tant dans le domaine architectural que dans l’éducation et la catéchèse. Dans chaque église nouvelle, la Compagnie de Jésus instaure la pratique de la crèche qui connaît alors un nombre croissant de figurants. Elle est attestée dans l’église des Jésuites de Cologne, une des premières de la région, en 1568-69. Dans les décennies suivantes, cette coutume gagne aussi les classes aristocratiques. Le Jésuite hutois, Philippe de Berlaymont (1576-1637), est le premier en 1618 à évoquer dans le Paradisus Puerorum la pratique de la crèche. Le texte le plus ancien connu sur le sujet, repris par un des principaux historiens de la crèche, Rudolf Berliner, provient donc de nos régions ! L’ouvrage est publié à Anvers puis à Douai. Deux éditions supplémentaires voient le jour à Cologne l’année suivante.
Enfant Jésus de la période espagnole, 11 cm.
Il est entré au Carmel du Potay à Liège en 1693,
dissimulé dans l’ourlet de la jupe d’une postulante,
Coll. De l’auteur
Le XVIIIe siècle apporte l’esprit des Lumières. Le rationalisme, les idées philosophiques nouvelles entraînent un certain désintérêt de la part du clergé. La crèche est même interdite dans les sanctuaires de certaines régions. Difficile d’évaluer l’impact des interdits pris en 1782 par Joseph II sur les anciens Pays-Bas autrichiens. A cause de cela, mais aussi grâce à des innovations techniques facilitant la reproduction à moindre coût, la crèche se démocratise et se développe plus fréquemment chez les particuliers. Beaucoup de régions de tradition créchiste ancienne, Naples, le Tyrol, l’Espagne ou la Provence, choisissent de représenter la naissance du Christ dans un environnement familier. La crèche cesse d’appartenir à un patrimoine commun et voit l’apparition des styles régionaux.
La crèche réalisée à St-Remacle pour Noël 2004 avec des plâtres (35-90 cm) provenant en majorité de l’atelier Togneri de Liège. L’Enfant Jésus inspiré d’un modèle de G. Sammartino est napolitain. Coll. De l’auteur
Le XIXe siècle ouvre la voie à des productions plus nombreuses. Les figuristes toscans d’abord itinérants s’installent dans les principales villes du pays. Leur passage en Belgique constitue une des quatre grandes vagues de l’immigration italienne dans notre pays. Ils inondent églises et particuliers de statues de plâtre. Les modèles varient peu car ils correspondent souvent à des références théologiques et symboliques précises. Ces ensembles seront diffusés à grande échelle, parfois même dans la colonie, le Congo. Au milieu du XXe siècle, cette production de plâtre autrefois unanimement appréciée du clergé ne se renouvelle pas suffisamment et tombe en disgrâce.
Les fabricants de porcelaine d’Andenne dans la vallée de la Meuse ont réalisé vers 1860 des statues profanes et religieuses dignes de rivaliser avec la porcelaine de Sèvres. Cette production affadie et colorée par la suite devient plus populaire. Elle n’en laisse pas moins des œuvres émouvantes. Les derniers ateliers trop artisanaux, peu concurrentiels à cause des coûts du kaolin ferment vers 1880. A la fin du siècle jusqu’au premier conflit mondial, la Saxe et la Bavière exportent des articles religieux en porcelaine tendre à base de fritte de verre et des figurines en papier mâché. Les premières fèves de la galette des rois appartenaient à cette production. Villenauxe-la-Grande en Champagne diffuse aussi une importante production.
Crèche en biscuit de porcelaine attribuée Nativité populaire andennaise,
à l’atelier Renard, Andenne vers 1860, porcelaine peinte à froid,
collection de l’auteur. vers 1875, coll. De l’auteur
Pour être complet, il faut mentionner la tradition des théâtres de marionnettes, avatars des drames médiévaux, qui ont existé à Liège, Mons et Namur. La tradition demeure encore vivace à Liège. Plusieurs théâtres jouent toujours «Li Naissance» en période de Noël. L’usage est aussi remis à l’honneur dans la cité du Doudou depuis les années ’80. Le musée de Verviers présente chaque année le Bethléem. Une succession de tableaux de l’enfance du Christ présentés côte à côte qui sont animés par des enfants dissimulés sous les tables. Le Bethléem actuel date de 1862, mais son origine remonterait à une époque beaucoup plus ancienne. À Bruxelles, le théâtre de Toone présente la Nativité recueillie en 1929 d’après le répertoire populaire de l’écrivain Michel de Ghelderode.
Rois-Mages et Tchanchès, une scène de Li Naissance, Musée Tchantchès, Liège.
L’art religieux cherche de nouveaux moyens d’expression influencés par différents courants artistiques. Les résultats sont parfois inattendus. C’est principalement dans les petits formats à usage domestique que les créateurs vont exercer leur créativité. L’illustratrice gantoise Jeanne Hebbelynck (1891-1959) devient pionnière en adaptant l’imagerie religieuse aux plus jeunes. Des crèches, des bénitiers reproduits en porcelaine par les usines Teco en région liégeoise et en plâtre par la Maison Saint-Augustin à Gand naîtront de ses illustrations. Son style influence les sœurs Suzanne (1913-2008) et Josette (1920-?) Boland et l’illustrateur J. Gouppy. En région bruxelloise, les éditeurs H. Froustey et P.A.B. (Plastic Art Belgium succursale du dernier statuaire belge en activité Vandervliet-Haenecour) exécutent des crèches en plâtre aux lignes épurées. Les fabriques de jouets Clairon et Durso à Liège, Nazaire Beeusaert à Deinze vont réaliser des crèches en composition aujourd’hui très recherchées.
Crèche de style enfantin en plâtre réalisée par P.A.B., Bruxelles, vers 1960. Collection de l’auteur.
Les artisans de l’ancien Congo, du Rwanda et du Burundi ont produit des crèches intéressantes mêlant influence occidentale et art tribal traditionnel. Dans les années ‘ 30, le Nonce apostolique, Monseigneur Dellepiane, et Henri Paul, alors Ministre des Colonies, se déclaraient en faveur de la préservation des traditions et d’un art local au service du culte. Les matériaux sont très variés : bois exotiques, ivoire, terre cuite, malachite, feuilles de bananier, cuivre repoussé…
Rwanda, groupe en bois sculpté de l’ethnie Tutsi. La Vierge porte l’urigoli, bandeau de maternité fait d’une écorce de sorgo.
Nativité en corne de buffle, auteur inconnu, Kasaï.
Le Concile Vatican II encourage la simplification de la liturgie et l’épuration des sanctuaires encombrés par la « statuomanie » du siècle précédent. La plupart des crèches d’église sont victimes de cette épuration profonde : on constate la disparition de la polychromie au profit d’une teinte uniforme, une limitation du nombre de personnages, l’absence ou la réduction du décor. Dans les années ’80, elles sont parfois associées à un thème et sont accompagnées de panneaux-messages ou de photos. Cette tendance s’est heureusement inversée depuis une vingtaine d’années.
On voit apparaître dès les années ’70 les premiers « santons » wallons inspirés par la crèche provençale.
« Santons » wallons de 12 cm réalisés par l’auteur
L’Association belge des Amis de la Crèche fondée en 1991 œuvre depuis presque 30 ans pour la diffusion et un renouveau de la crèche en présentant des expositions et en dispensant des cours et des techniques, conférences inspirées par les meilleurs exemples européens. Le XXIe congrès international de l’Un-Fœ-Præ, Fédération mondiale des Amis de la Crèche fondée à Barcelone en 1952 qui réunit actuellement 20 associations du monde, s’est tenu en janvier 2020 dans l’Euregio entre Aix-la-Chapelle, Maastricht et Liège.
Vous souhaitez en savoir plus ? Rendez-vous sur le site de l’Association des Amis de la Crèche : www.verband-der-krippenfreunde-belgiens.be
Michel VINCENT