Décoder les armoiries épiscopales ? Chapeau !
Depuis le XIVe siècle, les hommes responsables ecclésiastiques arborent de plus en plus régulièrement des armoiries, à l’instar des bourgeois et des artisans qui suivent la démocratisation progressive de cet usage auparavant nobiliaire. Les membres de la hiérarchie catholique se distinguent par une série d’éléments venant s’ajouter à l’écu : les ornements extérieurs. Ceux-ci se mêlent parfois à des ornements nobiliaires et il importe de différencier facilement les deux registres afin de pouvoir décrire le porteur des armoiries le plus facilement possible.
Les subdivisions de la hiérarchie ecclésiastique, particulièrement sous l’Ancien Régime, étant très nombreuses, nous nous concentrerons dans les lignes suivantes sur des armoiries répandues dans nos églises : celles des évêques. La raison de leur forte diffusion est à chercher dans le rôle joué par ces autorités : c’est à l’évêques qu’il incombe de dédicacer – inaugurer - les églises ou de consacrer les autels. C’est encore l’autorité épiscopale qui scelle nombre de documents officiels afférents au culte ou à la vie diocésaine. Tous ces actes sont autant d’occasions d’utiliser les armoiries puisqu’il s’agit de signes très visuels et uniques d’identification d’un individu.
Deux éléments permettent de distinguer le niveau hiérarchique auquel appartient un ecclésiastique porteur d’armoiries : la couleur du chapeau et le nombre de « glands » pendant aux cordons. Les évêques ont pour couleur définitoire le vert – sinople en langage héraldique – et se caractérisent par douze glands pendant de part et d’autre du chapeau. Ce nombre rappelle la Succession Apostolique, c’est-à-dire le lien qui unit en ligne directe les évêques aux douze apôtres choisis par le Christ et soumis à l’autorité du premier d’entre eux, Pierre, considéré comme le premier évêque de Rome. C’est du moins le souhait exprimé par le pape au début du XIXe siècle… même si la réalité reste parfois indifférente à la norme ! En effet, les évêques ont souvent porté un chapeau de vingt glands, répartis par dix de part et d’autre de l’écu. Il est possible que les origines de cette tendance doivent être cherchées dans un désir d’élévation hiérarchique : un cardinal portant douze glands de part et d’autre. Porter dix glands peut prêter à confusion pour les regards non-avertis. On retrouve cette ambiguïté aujourd’hui lorsque certains évêques, à Tournai ou à Liège par exemple, justifient le recours aux dix glands par un soucis de tradition diocésaine : il en aurait longtemps été ainsi dans leur juridiction, il convient donc de maintenir la tradition.
Figure 1 Monseigneur Decrolière, évêque de Namur (1892-1899).
Lors d’une célébration liturgique, la première caractéristique d’un évêque est le port de la mitre et de la crosse. L’héraldique étant une science et un art visuels, c’est tout naturellement que ces attributs se sont retrouvés également comme « timbres », c’est-à-dire couvre-chef venant coiffer l’écu des évêques. Ces symboles ont une double origine. Les mitres sont le résultat de l’évolution d’un bonnet liturgique dont les origines remontent à l’Antiquité. De manière plus évidente, la crosse évoque pour sa part la fonction pastorale de l’évêque, basée, entre autres, sur l’injonction du Christ faite à l’apôtre Pierre : « Pais mes brebis ! (Jn 21 ; 17)». Elle symbolise donc le devoir de direction spirituelle de l’évêque tant envers les fidèles que vis-à-vis du clergé de son diocèse.
Sous l’Ancien Régime, être évêque faisait partie du "plan de carrière" des jeunes gens de haute naissance épousant l’état ecclésiastique. C’est la raison pour laquelle il n’est pas étonnant de voir des couronnes coiffer l’écu, souvent placées entre la mitre et la crosse épiscopales. Les plus fins observateurs auront remarqué que les couronnes ne sont pas identiques d’un évêque à l’autre et c’est tout à fait normal. À l’instar du chapeau pour les ecclésiastiques, la couronne signale le rang tenu par le propriétaire des armoiries dans la noblesse. Une véritable hiérarchie des couronnes existe qui définit le titre du porteur. Notons encore qu’un autre élément peut aider à identifier l’importance du personnage et du lignage dont il est issu : les tenants et supports. Les premiers sont des êtres humains ou anthropomorphes comme les anges ; les seconds sont des animaux, réels ou imaginaires. Une troisième catégorie d’ornements latéraux sont les soutiens, ce sont des éléments matériels qui encadrent l’écu. Tout aristocrate n’a pas droit à ces ornements extérieurs, il faut généralement porter au moins le titre de baron pour pouvoir y recourir, c’est donc un indicateur précieux quant au rang du porteur.
Figure 2 Monseigneur Pisani de la Gaude, évêque de Namur (1804-1826).
Le temps passant, l’héraldique épiscopale tend à se simplifier, tout particulièrement dans l’élan du concile Vatican II (1962-1965) qui amorce une prise de distance par rapport aux fastes ecclésiaux des siècles précédents et prône un retour à la simplicité évangélique. Les armoiries des évêques s’épurent donc fortement : chapeau, couronnes et autres ornements nobiliaires font place nette à l’usage de la mitre aux couleurs plus sobres, accompagnée parfois encore de la crosse. Dans certains cas, tous ces attributs disparaissent au profit d’ une croix à travée simple, ornement de procession. Les attributs disparus et remplacés prennent parfois place à l’intérieur de l’écu.
Cette évolution s’explique aussi par la démocratisation des fonctions ecclésiales : une certaine méritocratie se met en place et davantage d’hommes issus de milieux modestes, parvenus à la cathèdre grâce à leurs talent pastoraux, adoptent des armoiries nouvelles, dites «de fonction » et ne recourent donc pas aux ornements de classe propres à la noblesse.
Figure 3 Armoiries de Monseigneur Léonard, évêque de Namur de 1991 à 2010.
Si on quitte le registre des ornements extérieurs et que l’on souhaite en apprendre davantage sur la mentalité du porteur des armes, il est intéressant, à partir du XIXe siècle essentiellement, de s’attarder sur le contenu de l’écu. Sans être spécialiste pour autant, tout curieux de patrimoine peut y voir transparaître des traits de la personnalité de l’évêque : quelles couleurs choisit-il? Se réfère-t-il à des passages bibliques? Montre-t-il des dévotions particulières? Utilise-t-il des symboles attestant qu’il est conscient de l’éminence et de la lourdeur de sa charge? Ce sont autant de questions auxquelles, même si une réponse précise et exhaustive ne peut être trouvée, l’héraldique peut apporter des éléments de réponse très intéressants.
En définitive, les armoiries épiscopales s’avèrent donc des aides utiles aux historiens, aux archéologues mais aussi aux fabriciens et tout amateur du patrimoine religieux. Présentes dans les églises, les armoiries épiscopales sont chargées d’un symbolisme riche d’information : il renseigne tant sur l’époque et la perception de la fonction épiscopale que sur les origines sociales de l’évêque. Ces données peuvent être utilisées dans le but d’identifier et de dater une œuvre d’art. Qu’il s’agisse d’un portrait, d’un calice, d’un ostensoir, ou d’un monument funéraire, les supports sont nombreux et la datation permet de les remettre en contexte dans une histoire ecclésiastique riche en mutations.
Charles Melebeck
Et pour les plus curieux : D. Meynen, Les Eveques de Namur et leur armoiries, éd. Source du Nil, Coll. Culture et Foi, Lille, 2014.