Le ciboire de Wierde, reliquaire du Christ
Destiné à accueillir les saintes espèces, les ciboires et calices ont une place particulière dans la liturgie chrétienne. Ce mobilier, courant dans chaque église car indispensable à l’eucharistie, est un trésor qui se veut digne de son caractère sacré. Découvrez le ciboire de l’église Notre-Dame du Rosaire de Wierde, l’un de ces trésors emprunts de la délicatesse de nos villages.
Ciboire ou calice ?
∙ Ciboire
Le ciboire est un objet liturgique chrétien dont le nom est dérivé du latin « cibus » qui signifie nourriture. Utilisé pour recueillir les hosties lors de la cérémonie de l’eucharistie, il se compose d’un pied, d’un nœud, d’une coupe et d’un couvercle surmonté par une croix. Le ciboire trouve son origine dans la pyxide, petit coffret sans pied servant à porter l’eucharistie aux malades et aux prisonniers incapables de se déplacer. Le ciboire forme un groupe avec un calice, une patène *1, conservés dans le tabernacle, et parfois avec un ostensoir *2.
∙ Différence calice et ciboire
La différence entre un calice et un ciboire se situe dans l’usage différent attribué à chaque objet. Ils sont tous deux destinés à conserver les espèces consacrées, mais alors que le calice est destiné à conserver le sang, le ciboire conserve le corps. La différence se marque aussi par le couvercle qui ferme le ciboire, mais n’est pas présent sur un calice. Notons aussi que le calice et la patène doivent être consacrés par un évêque tandis que le ciboire est simplement béni.
∙ Eucharistie
L’eucharistie est un sacrement chrétien. Considéré comme le plus important des sacrements, il est aussi appelé Saint-Sacrement. Ce rituel se déroule lors d’une messe présidée par un prêtre. Il consiste à consacrer l’hostie et le vin, qui deviennent alors selon les chrétiens la présence réelle du Christ par son corps et son sang.*3 Ce rituel symbolise la dernière Cène, épisode décrit dans trois des quatre évangiles*4 du Nouveau Testament, lors duquel le Christ consacre lui-même le pain et le vin la veille de son martyre. Le ciboire permet de distribuer l’hostie consacrée, présence réelle du corps du Christ, aux communiants. Les hosties consacrées restantes sont conservées dans un ciboire déposé dans un tabernacle de telle façon à ce que le corps du christ soit toujours présent dans ce tabernacle.
∙ Matériaux généralement utilisés
Le corps des ciboires est constitué de métal, le plus souvent précieux. Le seul impératif lié aux matériaux utilisés dans la fabrication d’un ciboire ou d’un calice est l’utilisation d’or ou de dorure à l’intérieur de la coupe. C’est en effet cette surface qui entrera en contact avec le corps du Christ dans le cas du ciboire et avec le sang du Christ dans le cas du calice. Cette obligation comporte aussi des raisons pratiques et hygiéniques. Aux premières heures du christianisme, durant l’Antiquité tardive, on retrouve des calices en verre ou en cristal, dans l’Angleterre anglo-saxonne l’albâtre, du bois ou de la corne de bovidés, le laiton, l’étain et le cuivre étaient aussi utilisés.*5 En 787, un concile réuni à Chelsea proscrit l’usage de corne de bovidé « Vetuimus, ne de cordu bovis calix aut patina fieret ad sacrificandum, quiae sanguinae sunt » *6. En 813, le concile de Reims proscrit l’usage du laiton, car il est réputé provoquer des vomissements.
Au XIIIe siècle, Guillaume Durand, évêque de Mende écrit dans son Rational des divins offices : « Le pape Urbain*7, avec le concile de Reims, statua qu’on se servirait de vase d’argent ou d’or, ou en raison de la pauvreté des églises, des vases d’étain, parce que ce métal ne rouille pas, et non pas de vase en bois ou de cuivre. Le calice ne doit pas être de verre, à cause de sa fragilité et du danger où l’on est de répandre le sang du Christ, ni de bois, car c’est un corps poreux et spongieux, et il absorberait le sang de Notre-Seigneur, ni d’airain ou de cuivre, car la force du poison que produit ce métal provoquerait le vert-de-gris et le vomissement. » *8 Le concile de Trèves de 1310 rappelle cette interdiction, on peut donc en déduire qu’elle a été longtemps contournée.*9
Ces informations concernent les calices mais le parallèle avec le ciboire se fait aisément en prenant en compte la forme et l’utilité de ces deux types d’objets et le contact commun entre la matière composant l’objet et le corps/sang du Christ destiné à être ingéré par les fidèles.
Le ciboire de Notre-Dame du Rosaire de Wierde
Historique
L’église de Wierde est dédiée à Notre-Dame du Rosaire, une des nombreuses dénominations de la Vierge. Le rosaire est un long chapelet composé de quatre parties distinctes : les cinq mystères Joyeux, les cinq mystères Lumineux, les cinq mystères Douloureux, les cinq mystères Glorieux. Ce chapelet permet au croyant de contempler le Christ à partir du culte de la Vierge sa mère.
L’appellation de Notre-Dame du Rosaire, autrefois Notre-Dame de la Victoire commémorait la victoire chrétienne de Lépante qui repoussa les Turcs le 7 octobre 1571. Ce nom est changé par le Pape Grégoire XIII vingt-et-un ans plus tard.
- Eglise – Architecture et histoire
Le massif occidental de Notre-Dame du Rosaire de Wierde est antérieur d’un demi-siècle par rapport à l’église. En effet, cette tour du XIe siècle servait de refuge pour la famille noble du village. Ce donjon était accessible par une entrée surélevée située au sud et ses murs épais de 1,7 à 2 mètres étaient percés de meurtrières et un hourd occupait l’emplacement du clocher dont la flèche octogonale d’ardoise qui date de 1837. L’actuelle chapelle située au rez-de-chaussée a fait office d’école au XVIIIe siècle. L’église primitive accolée au donjon était vraisemblablement en bois et composée d’une nef sans bas-côtés. L’église en grès actuelle date du XIIe siècle. Elle est composée d’une nef à six travées surmontée d’arcades en plein cintre qui s’appuient sur des piliers carrés et d’un chœur à chevet plat encadré de deux absidioles. L’église de Wierde fut endommagée en 1706 par un incendie, le financement par les paroissiens a permis de reconstruire le plafond et les voûtes à l’identique. Notre-Dame du Rosaire est classée au titre des monuments historiques depuis 1939.*10
- Le ciboire
Le ciboire de Notre-Dame du Rosaire a été présenté lors de l’exposition « Trésors du Condroz » qui s’est tenue au château de Conjoux du 3 avril au 9 mai 1999.*11 Une brève notice lui est consacrée dans le catalogue de l’exposition.*12 Suite à cette exposition, le ciboire est envoyé au Musée diocésain de la cathédrale Saint-Aubain de Namur pour y être conservé. Celui-ci sera envoyé à Liège pour être nettoyé par Louis-Pierre Baert.
Etudes des spécificités techniques
Les techniques principales de production du ciboire de Notre-Dame du Rosaire de Wierde sont des techniques dérivées de la technique du repoussé. Cette technique consiste à frapper une feuille de métal sur le revers ou sur la face (dans le cas de la ciselure) afin de lui donner une forme en relief. Le travail du métal en feuille permet d’obtenir une matière assez fine et un objet plus léger qu’en suivant la technique du métal coulé. Le métal doit subir plusieurs recuits*13 afin de ne pas se déchirer.
La forme générale de ce ciboire a été réalisée en suivant la technique d’orfèvrerie du repoussé sur tour. Cette technique consiste à déformer progressivement la feuille de métal à l’aide d’une cuiller à repousser*14 afin de lui faire obtenir la forme d’un mandrin à emboutir*15.
Les mandrins à emboutir peuvent ensuite être réutilisés pour réaliser d’autres objets comme l’a fait Louis Drion dans sa série de ciboires. Les formes dont le col est étranglé, comme le nœud ovale du présent ciboire, sont réalisées grâce à un mandrin démontable. La technique du repoussé au tour est reconnaissable aux traits parallèles sur la surface du métal.
Le ciboire étudié est vraisemblablement composé de trois parties assemblées par une tige métallique les traversant et resserrées par un écrou visible à l’intérieur du pied de l’objet. Cet assemblage en trois fois est récurrent dans le travail des calices et des ciboires. L’hypothèse de trois parties qui composent l’objet est corroborée par le fait que l’orfèvre ait apposé son poinçon sur les trois parties différentes (voir photos), évitant ainsi une suspicion quant à l’attribution d’une partie qui aurait été remplacée ou exécutée par un autre orfèvre.
Les ornements du ciboire sont réalisés au repoussé. Cette technique consiste à pousser l’envers de la feuille de métal à l’aide de bouterolles*16 frappées par un marteau pour lui donner un relief sur la face (les traces de ces outils sont toujours visibles sur le revers du pied). Le relief est travaillé sur l’envers et complété sur l’endroit par un travail de ciselures. Le négatif est imprimé au revers, visible dans le cas présent à l’intérieur du pied du ciboire.
La technique du repoussé comporte plusieurs variantes telles que la technique de l’estampage. La technique de l’estampage est dérivée du repoussé. Elle consiste en une mise en forme du relief à partir d’une matrice permettant de reproduire plusieurs fois une forme de même dimension. La matrice est un négatif de la forme à obtenir. La feuille de métal est alors repoussée avec une bouterolle dans les creux de la matrice. Le revers présente le négatif de la forme imprimée et les traces des outils qui ont permis cette impression. L’angle entre le relief et la surface est net. Louis Drion a utilisé des matrices pour ce ciboire, les cornes d’abondance, les formes elliptiques des tondis, les ornements végétaux et le décor historié des tondi. Tout l’ornement est travaillé à l’aide de matrices, d’après la technique de l’estampage. Ces matrices permettent de reproduire un élément plusieurs fois en conservant une forme identique même pour les éléments les plus compliqués. Elles peuvent ensuite être réutilisées pour réaliser d’autres objets comme l’a fait Louis Drion dans sa série de ciboires.
Les détails, matages et effets de matières sur la surface du ciboire sont réalisés grâce à la technique de la ciselure consistant en l’impression de traits et de surfaces enfoncées sur la face du métal sans enlèvement de matière. Ces traits peuvent être visibles en négatif sur le revers s’ils sont particulièrement enfoncés. Ce travail est effectué avec des ciselets.*17 Il s’effectue à froid par petits coups successifs formant des points, des textures, des reliefs. Un même ciselet peut être utilisé pour plusieurs surfaces, ainsi, le ciselet à mat sablé utilisé pour la texture des rideaux entourant les tondi présents sur le pied du ciboire est aussi utilisé pour la texture des éléments architecturaux et des drapés des évangélistes représentés dans les trois tondis de la coupe. Un ciselet à mat pointillé est utilisé entre les feuillages du pied et entre les feuillages de la coupe, ce même ciselet est utilisé pour rendre un effet de profondeur dans le fond des trois tondi sur le pied et il est aussi utilisé pour rendre la texture des épis de blé. Un ciselet à mat sablé très fin est utilisé pour la texture des feuillages, cette texture est commune et montre l’utilisation systématique du même ciselet. Un ciselet plus gros est utilisé pour réaliser les bordures des rideaux qui encadrent les tondi présents sur le pied, les bordures des feuilles autour du nœud, les bordures des feuilles qui composent la frise autour du bas de la coupe et les bordures des tondi de la coupe. Les ciselets peuvent aussi être utilisés pour réaliser des détails très fins. Sur le ciboire de Wierde, les plumes du pélican ou encore l’herbe des représentations dans les tondis sont détaillées grâce à des ciselets. L’intérieur de la coupe présente une dorure vraisemblablement réalisée avec la technique de dorure au mercure. La technique de dorure au mercure consiste en un mélange d’or et de mercure. Le mercure liquéfie l’or et permet de l’appliquer sur la surface à dorer. Une épargne est appliquée pour délimiter la surface à dorer sans provoquer de coulures. L’objet est alors chauffé, provoquant l’évaporation du mercure, mais pas de l’or. Cette technique présente les particularités d’être homogène, de garder une bonne tenue et en résulte une couleur d’or lumineuse. Toutes ces particularités se retrouvent sur le ciboire de Wierde.
Noah Meunier
Quelques mots sur l'auteur
Etudiant en histoire de l'art à l'université de Namur, passionné par l'idée véhiculée par l'art, ce qui l'intéresse particulièrement c'est la seconde lecture, l'idée politique, transgressive et militante particulièrement présente dans l'art contemporain
Travail réalisé dans le cadre de son Bac 2 Histoire de l’art et archéologie dans le cadre du cours de Méthodologie (Moyen Age / Temps modernes Année académique 2020-2021).
L'équipe du CIPAR salue ce genre d'étudiant passionné et animé par une véritable envie de valoriser les objets de notre passé!
SOUCES :
1 « Petit plat circulaire qui accompagne le calice. La patène permet au prêtre de déposer l’hostie consacrée au cours de la messe. » dans BERTHOD, R., FAVIER, G., HARDOUIN-FUGIER E, Dictionnaire des arts liturgiques du Moyen Âge à nos jours, Châteauneuf-Sur-Charente, 2015, p.381.
2 « Objet permettant de montrer l’hostie consacrée et de la faire adorer par les fidèles » dans Ibid.
3 Note de l’auteur : dans ce travail, la désignation « Corps du christ » s’inscrit dans la foi chrétienne ici présentée et se rapporte au vin et aux hosties consacrées.
4 L’évangile selon Matthieu (26.26-28), l’évangile selon Jean (chapitres 14 à 17) et l’évangile selon Luc (22. 35-36).
5 FRUTIEAUX, E., Entre liturgie et sacralité. Enquête sur la nature et la fonction des calices durant le haut Moyen Âge, dans Revue d’histoire de l’Église de France, s.l., 1999, p.225-246, disponible sur : https://www.persee.fr, (consulté le 12-10-2020).
6 Ibid.
7 Il s’agit d’Urbain Ier (222-230)
8 FRUTIEAUX, E., Op. cit.
9 Ibid.
10 CREPIN, H., Wierde, dans Société Archéologique de Namur, T.3, Namur, 1853, p. 119-121.
11 TOUSSAINT, J., dir., Trésors du Condroz, Namur, 1999, (Monographies du Musée des arts anciens du Namurois).
12 Ibid., p.185-186.
13 « Le recuit permet d’éviter les déchirures et les gerces, plis irréguliers se produisant sur le métal en feuille lorsque celui-ci n’a pas été rétreint de façon régulière ou lorsque l’extension du métal a été trop importante et devient difficile à résorber par la rétreinte. La température du recuit est de 300 degrés pour l’argent » dans ARMINJON, C., BILIMOFF, M., L’art du métal, Paris, 1998, p.34-35.
14 « La cuiller est une longue tige de 80 cm de long, terminée par une partie métallique arrondie. Cet instrument est tenu par le repousseur, maintenu par un harnais, pour pouvoir exercer une force maximale de tout son poids. » dans Ibid., p.50.
15 « Formes concaves en bois embouties par un marteau » dans Ibid., p. 36.
16 « Les bouterolles se présentent comme des tiges de bois ou d’acier d’environ 15 centimètres de long, de section plus ou moins grosse, à tête arrondie ou de forme appropriée à chaque type d’opération et à chaque relief » dans Ibid., p. 40.
17 « Les ciselets sont de petites tiges de section et de formes très diverses, à tête adaptée au motif souhaité, frappées perpendiculairement à la surface avec un marteau à ciseler » dans Ibid., p.120.