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Notre-Dame de Grâce à Henripont : un destin agité

Publié le 03/10/2022

Comment réagir quand une statuette, vénérée depuis plusieurs siècles dans sa chapelle, disparaît subitement ? Survenue dans le petit village hennuyer d’Henripont, cette mésaventure a connu des suites et rebondissements inattendus que nous révèle le présent article.

La chapelle Notre-Dame de Grâce à Henripont (ill. Alfred Brux © Jean Pelletier)
La chapelle Notre-Dame de Grâce à Henripont (ill. Alfred Brux © Jean Pelletier)

Située entre Ronquières, Braine-le-Comte et Écaussinnes, la chapelle Notre-Dame de Grâce à Henripont était autrefois un lieu du Hainaut très fréquenté. Certains la disent érigée sur l’emplacement d’un ancien fanum romain (un petit temple), mais rien n’a encore permis de confirmer cette hypothèse. En revanche, des cartes militaires la mentionnent dès 1690 et le sanctuaire actuel porte l’inscription gravée 1701 ; il a été bâti par Charles de la Hamaide, seigneur des lieux, en reconnaissance, rapporte-t-on,  pour sa guérison d’une maladie de poitrine.

La statuette de la Vierge, qui y est vénérée, l’était probablement déjà antérieurement et au même endroit, mais dans un modeste oratoire ombragé par un chêne.

Expertisée par l’IRPA en 1969, cette statuette de 39 cm sera datée de 1591-1610. Son matériau se compose de bois de chêne et de noyer, de plâtre, de satin et de velours, bien que les cheveux, la couronne et le tronc soient attribués à la période 1791-1810. Le voile de dentelle remonterait à 1801-1900. Assez curieusement, les robes et manteaux seraient confectionnés vers 1969 !

Nous verrons bientôt la raison de cette bizarrerie.

Intérieur de la chapelle avant 1962 (coll. Duchamps © CIHL)
Intérieur de la chapelle avant 1962 (coll. Duchamps © CIHL)

Essais de restaurations

La statue originale expertisée en 1969 par l’IRPA (©KIKIRPA)
La statue originale expertisée en 1969 par l’IRPA (©KIKIRPA)

La statuette de Notre-Dame de Grâce connaîtra un destin mouvementé. Déjà fort abîmée vers 1849, elle est confiée au curé Steen de Virginal, qui tente de la restaurer. Peu après le retour de la statue à Henripont, la baronne douairière de la Barre lui offre une robe et un manteau.

Les épidémies de dysenterie et de choléra frappent durement la région, mais épargnent le petit village hennuyer. Les Henripontois y voient la protection de la Vierge et son culte redouble de popularité, comme en témoignent les exvotos fixés aux murs de la chapelle.

Dans ses mémoires, l’ancien président de la fabrique d’église, Jean Arnould (1921-2018), note qu’au début du XXème siècle, la statue aurait été repeinte par des personnes ignorant sa valeur et uniquement soucieuses de sa conservation.

L’inimaginable

Aspect de la chapelle en 2021  (© Bernard Hecq)
Aspect de la chapelle en 2021  (© Bernard Hecq)

Le concile Vatican II (1962-1965) simplifie radicalement la décoration des églises. Les fabriciens écartent, entreposent ou vendent certains mobiliers et accessoires du culte. Par ailleurs, malgré plusieurs réparations depuis sa construction, la chapelle se délabre. Cette relative négligence, cet apparent désintérêt  attisent-ils les convoitises d’individus malveillants ? En mars 1967, la statue de Notre-Dame de Grâce disparaît. Rapporté dans la presse, ce méfait choque les habitants, toutes convictions confondues, car il s’agit d’un viol de leur héritage ancestral, une atteinte à leur patrimoine collectif.

La statuette sera retrouvée par la police chez un antiquaire tenant boutique près du SHAPE à Casteau et elle sera restituée à Henripont. L’instigateur du vol, sinon son auteur, n’est pas un inconnu de passage, il n’est autre que l’un des fils du policier du village ! Plus tard, sous le pseudonyme d’Erik le Belge, il publiera en Espagne ses souvenirs de pillard d’églises sous le titre provocateur de « Pour l’amour de l’art – Mémoires du voleur le plus célèbre du monde » !

Comme déjà évoqué, la statuette récupérée est expertisée et traitée par l’IRPA (Bruxelles, février 1969). On apprend ainsi que les anciens vêtements jugés trop dégradés ont été remplacés par « une robe et un manteau confectionnés vers 1969 » ; leur créatrice en est une talentueuse villageoise, Émilie Morlet.

Nouvelles disparitions

La saga de Notre-Dame ne s’arrête pas ici. Deux ans plus tard, la statue est de nouveau dérobée. Selon le PV dressé le 12 août 1972, ce vol s’apparenterait à du pur vandalisme ; la statuette était fixée au socle par une chaînette et un cadenas. Le voleur a brisé la poignée qui sert à arrimer la statue au brancard de procession ; cette poignée est restée sur place avec le cadenas, la chaînette et… le manteau. « On pourrait se demander si un collectionneur d’œuvres d’art aurait endommagé la statuette pour la dérober », précise le PV.

Une figurine de remplacement, dont nous ignorons tout,  prend alors place dans la chapelle, revêtue du vêtement abandonné par le malfrat.

« C’était une reproduction sans valeur, écrira Jean Arnould. On pouvait donc espérer qu’elle ne serait plus volée. C’était se faire beaucoup d’illusions, car dans la quinzaine du 6 au 24 mars 2001, les portes ont une fois de plus été fracturées et la statue a de nouveau disparu ».

Le village rebondit

La statue réalisée en 2001 par Karin Moens (© Luc Detournay)
La statue réalisée en 2001 par Karin Moens (© Luc Detournay)
La statue réalisée en 2001 par Karin Moens (© Luc Detournay)
La statue réalisée en 2001 par Karin Moens (© Luc Detournay)

1701-2001. C’est l’année du tricentenaire de la chapelle. Les Henripontois refusent de baisser les bras ! Des volontaires rafraîchissent le bâtiment ; on remplace même le coq surplombant le campanile. Mais l’essentiel, la renaissance de la statue de Notre-Dame de Grâce, on la doit à une artiste du village, Karin Moens, l’épouse de Luc Detournay, un discret mais infatigable défenseur du patrimoine. Patiemment, sur base de l’illustration publiée en 1866 par Aimé Tricot dans sa notice sur la chapelle, Karin Moens entreprend de façonner une nouvelle madone. La Vierge et l’Enfant-Jésus seront patiemment taillés dans du bois de hêtre et revêtus d’habits délicatement réalisés à la main. Empreint de sérénité, le visage de la Vierge esquisse un léger sourire.

Le 15 août 2001, accompagnée d’une nombreuse assistance conduite par l’abbé Michel Vermeulen, la nouvelle statue de Notre-Dame de Grâce est solennellement portée en sa demeure. La presse relate l’événement aussitôt suivi d’une fête.

Que retenir de cette singulière histoire ?

Même si la pratique religieuse vacille, même si les traditions se perdent, de simples citoyens soucieux de leurs racines sauvegardent  et promeuvent le patrimoine de leurs aïeux. Ici comme ailleurs, le CIPAR peut certainement partager leur expérience, leur prodiguer de précieux conseils et les appuyer dans leur tâche.

Roland Forrer

Note : Le présent texte est un résumé des deux articles parus en 2022 dans Le Val Vert, la revue trimestrielle du Cercle d’Information et d’Histoire Locale (CIHL) des Écaussinnes et Henripont /n°198 & 199. Secrétariat : Mélanie Detournay (0494/81.46.27 – detournay.melanie@gmail.com)

Passionné d’histoire avec des origines henripontoises, l’auteur en est Roland Forrer, ex-vice-président de l’Union internationale de la Presse francophone (aile belge).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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