À la découverte du patrimoine funéraire sculpté de Wallonie : 4. Le diocèse de Namur
Une des dimensions les plus importantes des monuments funéraires est de permettre au spectateur d’identifier la personne commémorée. Pour ce faire, deux éléments sont essentiels : l’inscription funéraire, ou épitaphe, et la représentation du défunt. L’on désigne habituellement ces représentations par le terme « d’effigie ». Il en existe quatre types principaux :
- Les gisants (défunt allongé) (plus d’information ici) ;
- Les transis (corps morts décharnés ou en décomposition) ;
- Les accoudés (les défunts sont allongés sur le flanc et se redressent partiellement en prenant appui sur un coude, la tête souvent appuyée sur la main) ;
- Et enfin les priants.
C’est à cette quatrième catégorie, et à son évolution formelle, que sera consacré ce texte.
Qu’est-ce qu’un priant ?
Les priants sont une représentation du défunt agenouillé, en général sur un coussin, les mains jointes en prière devant la poitrine. Ils sont présentés de profil ou de trois-quarts. Les priants peuvent avoir devant eux une image de dévotion et/ou un prie-Dieu avec un livre de prière ouvert.
Contrairement aux gisants et surtout aux transis qui sont caractéristiques de l’époque médiévale, les priants sont le type d’effigie le plus fréquemment employé aux Temps Modernes, bien qu’ils existent depuis plusieurs siècles (depuis au moins le XVe-XVIe siècle). Au fur et à mesure de l’évolution des monuments funéraires, ces priants, d’abord représentés en dévotion devant un personnage sacré et accompagnés de leur saint patron, vont s’émanciper de toute représentation religieuse pour être représentés seuls. En parallèle, alors qu’ils sont au point de départ figurés en dimensions réduites et en plus ou moins bas ou haut relief, les priants vont peu à peu se monumentaliser, jusqu’à être représentés à taille humaine et en ronde-bosse. Ces différentes tendances peuvent s’observer à travers différents exemples choisis provenant du diocèse de Namur.
Sclayn : les priants de la famille d’Eve
L’église Saint-Maurice de Sclayn conserve plusieurs monuments funéraires anciens, dont un ensemble de trois monuments à la mémoire de la famille d’Eve, qui reflètent parfaitement le premier moment de l’évolution des priants. Un de ces monuments commémore Antoine d’Eve (†1555) et son épouse Catherine de Hun (†1559), un second leur fils Louis d’Eve (†1558), et le troisième son frère Henry d’Eve (†1560) accompagné de sa femme Charlotte de Carondelet. Ce groupe semble avoir été sculpté entre 1555 et 1560 par le même artiste, nommé par Hadrien Kockerols le « maitre de Sclayn ».
Les trois monuments funéraires présentent les mêmes caractéristiques stylistiques, mais sont également composés tous les trois de la même façon. Le tableau central, taillé en bas-relief, met à chaque fois en scène les défunts en prière devant une image de dévotion et accompagnés par leur saint patron. Les priants sont tous agenouillés sur un coussin et tournés de trois-quarts vers le spectateur, bien que leur regard soit dirigé vers la représentation religieuse.
Ainsi, Antoine et Catherine sont agenouillés devant un crucifix et entourés par saint Antoine et sainte Catherine d’Alexandrie. Henry et Charlotte entourent une représentation du Bon Berger (placé sur un petit socle). Le couple est accompagné de saint Henri et de Charlemagne. Le monument de Louis se distingue légèrement des deux autres. Puisqu’il était célibataire, la composition ne pouvait pas être organisée de façon symétrique autour d’une image de dévotion centrale. Elle répond néanmoins aux mêmes codes. Il est donc représenté en prière à droite d’un Christ représenté juste avant sa Passion (à nouveau placé sur un petit socle). Le priant est accompagné par saint Louis. Cette omniprésence des saints patrons représente l’espoir des défunts que ces saints intercéderont pour aux lors de leur Jugement.
Détail intéressant, l’inscription funéraire qui se trouve au registre inférieur du monument d’Antoine et Catherine est accompagnée d’un transi allongé sur une natte de paille, qui n’est sans doute pas ici à associer à un défunt particulier, mais plutôt à une représentation générale de la Mort.
Maitre de Sclayn, monument funéraire de Louis d’Eve (†1558), c. 1555-1560. Sclayn, église Saint-Maurice. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché B041178.
Maitre de Sclayn, monument funéraire d’Henry d’Eve (†1560) et Charlotte de Carondelet, c. 1555-1560. Sclayn, église Saint-Maurice. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché B020324.
Maitre de Sclayn, monument funéraire d’Antoine d’Eve (†1555) et Catherine de Hun (†1559), c. 1555-1560. Sclayn, église Saint-Maurice. CC BY 4.0 KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché B041176.
Double évolution : vers des priants monumentaux et isolés
Si les trois monuments funéraires de la famille d’Eve représentaient des priants en reprenant des codes de composition assez stables depuis plusieurs siècles, cette formule iconographique va également se renouveler à travers deux tendances distinctes.

Tout d’abord, les priants taillés en bas-relief vont peu à peu se détacher des parois pour être sculptés en trois dimensions. C’est ce qu’on observe notamment sur le monument funéraire de Jean de Crehen (†1615), qui se trouve dans la chapelle Saint-Martin d’Ivoy. La structure architectonique en calcaire de Meuse noir est ponctuée d’éléments en marbre rouge, tandis que tous les éléments figuratifs sont taillés en albâtre. La partie centrale présente une scène similaire à ce qu’on pouvait observer à Sclayn : Jean de Crehen, introduit par saint Jean l’Évangéliste (dont l’attribut, le calice, est brisé), est agenouillé devant un prie-Dieu supportant un livre ouvert. La représentation du défunt acquiert cette fois plus d’importance au sein de la composition, bien que cela soit encore timide sur cet exemple. L’effigie est sculptée en ronde-bosse et occupe tout le registre inférieur, tandis que l’image de dévotion, ici l’Assomption de la Vierge accueillie aux cieux par quatre anges, se trouve déplacée au registre supérieur.

En parallèle de leur émancipation du bas-relief, les priants vont également s’affranchir des personnages saints qui les accompagnent. Un quatrième monument funéraire de l’église de Sclayn, un peu plus tardif que ceux de la famille d’Eve, permet d’illustrer cette évolution. Il s’agit du monument du chanoine Jean Joesneau, dit Moucheron (†1596). La scène centrale représente le chanoine en prière devant un crucifix. Il est cette fois seul, sans saint patron pour intercéder en sa faveur. Détail intéressant, le Christ en croix semble se pencher vers le chanoine, tandis que les doigts de sa main droite forment un geste de bénédiction. Mais l’effigie reste représentée selon des dimensions réduites, et en deux dimensions.
Les prémices de cette double évolution trouvent leur aboutissement principalement au XVIIe siècle. Un très bel exemple, bien qu’actuellement fragmentaire, se trouve à l’église Sainte-Gertrude d’Ossogne. L’on y voit deux bas-reliefs monumentaux placés de part et d’autre du maitre-autel. Ils représentent à gauche Alexandre-Théodore de Mérode (†1674) et son fils Théodore (†1685), et à droite son épouse Anne d’Allamont (†1710). Ces deux bas-reliefs sont l’œuvre du sculpteur liégeois Jean Del Cour (et sans doute de son élève Jean Hans). Les codes habituels des priants sont repris : les défunts agenouillés sur un coussin, les mains jointes en prière, le prie-Dieu supportant un livre ouvert. Cependant, aucun personnage religieux n’est cette fois inclus dans la composition. Les effigies adressent ici directement leurs prières à un élément externe à la représentation : ils sont tournés en direction du maitre-autel de l’église, comme ils l’avaient sans doute fait de leur vivant. Et ces trois priants sont sculptés selon des dimensions bien supérieures à ceux illustrés précédemment : les panneaux de marbre noir font environ 210 centimètres sur 185.
Jean Del Cour (et atelier), Retable commémoratif d’Alexandre-Théodore de Mérode (†1674), Théodore de Mérode (†1685) et Anne d’Allamont (†1710) (et détails), c. 1674-1707. Ossogne, église Sainte-Gertrude. ©Elise Philippe.
Il est malgré tout important de noter que les priants ne suivent pas une évolution strictement linéaire. Le premier modèle présenté, avec les priants accompagnés de leur saint patron et agenouillé devant une image de dévotion, continue à être employé en parallèle de priants monumentaux et isolés. Cela dépend de la qualité du travail de la sculpture, des évolutions stylistiques et formelles qui percolent plus ou moins rapidement en fonction que l’on se trouve à proximité ou non des centres d’innovation artistique, et avant tout des souhaits des commanditaires.
Des priants contemporains

En guise de conclusion, il est intéressant d’observer que les priants, bien qu’employés en sculpture funéraire depuis plusieurs siècles, a encore continué à inspirer les artistes. Il s’agit en effet d’un type d’effigie qui est employée encore à l’époque contemporaine, peut-être pour son caractère plus vivant ou plus animé que celui des gisants, et avant tout pour sa dimension éminemment pieuse. On retrouve ainsi Monseigneur Thomas-Louis Heylen, évêque de Namur entre 1899 et 1941, représenté en prière sur son monument funéraire dans la cathédrale Saint-Aubain. Ce monument a été réalisé par le sculpteur belge Charles Leplae en 1956. Tous les codes du priant du XVIIe sont repris : inclus dans une niche de pierre bleue, le priant est à taille humaine et est agenouillé en direction de l’autel de la chapelle dans laquelle il est placé, vers lequel il dirigera éternellement ses prières.
Bibliographie
P. Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977 (L'univers historique).
H. Kockerols, « Les épitaphes de la famille d'Eve à Sclayn », Annales de la Société archéologique de Namur, 74, 2000, p. 49-76.
H. Kockerols, Monuments funéraires en pays mosan. 2. Arrondissement de Namur. Tombes et épitaphes 1000-1800, Malonne, Kockerols, 2001.
H. Kockerols, Monuments funéraires en pays mosan. 3. Arrondissement de Dinant. Tombes et épitaphes 1200-1800, Malonne, Kockerols, 2003.
M. Lefftz, Jean Del Cour, 1631-1707 : un émule du Bernin à Liège, Bruxelles, Racine, 2007.
E. Philippe, Non omnis moriar. Étude formelle et iconologique des monuments funéraires baroques des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de Liège (1620-1730), mémoire de master en histoire de l’art (prom. R. Dekoninck et M. Lefftz), UCLouvain, Louvain-la-Neuve, 2020.
Elise Philippe, doctorante en histoire de l’art (FNRS/UCLouvain)