L’Invention de la sainte croix, dernier chef-d’œuvre du grand peintre liégeois Bertholet Flémal
Bertholet Flémal
1674
Peinture sur toile
354 x 194 cm
Eglise Sainte-Croix, Liège
Propriété de la Ville de Liège
Classé le 17 novembre 2011 – M.B. 10 février 2012
L’intitulé de ce tableau peut surprendre : le terme invention n’est pas ici repris selon son sens commun, mais renvoie, selon une tradition de longue date en histoire de l’art, au sens initial de découvert.
Le sujet évoque en effet la découverte de la croix du Christ par sainte Hélène. Selon la légende, la mère de l’empereur Constantin se mit à la recherche de la sainte croix à Jérusalem en l’an 326. Après des fouilles, elle découvrit trois croix, celle de Jésus de Nazareth et celles des deux larrons. Laquelle était celle du divin condamné ? On approcha les trois bois du corps d’un cadavre et au contact de la sainte croix, celui-ci ressuscita. C’est l’épisode illustré dans ce grand tableau d’autel (354 x 194 cm) issu du pinceau de Bertholet Flémal, le principal peintre liégeois du XVIIe siècle. Au contraire de la plupart de ses prédécesseurs, dont son propre maître Gérard Douffet, le maître liégeois n’a pas mis l’accent sur le caractère anecdotique de la résurrection du cadavre, mais sur le moment qui a suivi, celui où l’on voit sainte Hélène en adoration devant l’instrument de la Passion retrouvé.
L’Invention de la sainte croix est la dernière œuvre connue de Bertholet Flémal (1614-1675) et c’est l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre. Le tableau était destiné au nouveau maître-autel de la collégiale Sainte-Croix à Liège, érigé en 1674, et sans doute sur le dessin du même Flémal, également architecte. L’autel a été construit aux frais du prévôt de Sainte-Croix Guillaume-Bernard de Hinnisdael et il a été offert par celui-ci à sa collégiale dans le contexte de la coutume dite du drap d’or. Au terme de cette coutume, les dignitaires des collégiales étaient tenus d’offrir un cadeau à leur église suite à leur élection.
Le sujet est évidemment en relation avec la dédicace de l’église. La toile en a orné le maître-autel jusqu’à la vente de celui-ci à l’église d’Odeigne en 1847, dans le cadre de la débaroquisation des églises gothiques qui prévalait alors largement dans notre pays. Le tableau est resté dans l’église Sainte-Croix et c’est l’un des très rares tableaux du peintre encore conservés dans son institution d’origine. Toutefois, pendant la durée des travaux de restauration de l’église, il est présenté dans un collatéral de la cathédrale Saint-Paul.
L’artiste joue habilement sur le mélange de crainte et de ferveur que suscite cette découverte. Le ciel et la terre sont intelligemment unis. L'ange à gauche du registre céleste aide les trois soldats au sol à redresser la croix ; c'est le bois même de celle-ci qui relie les deux registres, selon un axe ascensionnel. L'ange qui lui fait face est déjà en vénération, de même que sainte Hélène. Avec un visage d'un profil absolu tel que les affectionne Flémal, celle-ci est clairement mise en évidence au milieu d'une foule bigarrée. Son somptueux péplum rose la détache hardiment et fait d’elle l’un des personnages les plus distingués de tout l'œuvre de Flémal. L'ensemble est dominé par une palette très froide, que rythment les blancs caractéristiques du peintre. Cette grande toile est le véritable chant du cygne de son auteur : à quelques mois de sa disparition, il s'y est surpassé. Elle traduit par des passions diversifiées les sentiments de crainte et de vénération autour desquels toute la composition a été charpentée. Par les contrastes dans le paysage, le peintre conçoit la découverte de la croix comme l’aube d’un renouveau pour l’humanité.
Ce n’est pas le seul exemple de tableau de ce sujet par Bertholet Flémal. Il avait peint quelques années auparavant un tableau très proche pour le maître-autel de l’église des croisiers de Liège. Depuis le début du XIXe siècle, ce tableau peut être admiré dans l’église Saint-Barthélemy à Liège. Il met davantage l’accent sur l’adoration par les plus humbles de la croix nouvellement découverte, on pourrait dire inventée.
Pierre-Yves Kairis
Vice-président de l’Institut archéologique liégeois
Bibliographie :
HELBIG J., La peinture au pays de Liège et sur les bords de la Meuse, Liège, 1903, Imprimerie liégeoise Henri Poncelet, pp. 256 et 269-270.
HENDRICK J., La peinture au pays de Liège. XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Liège, Perron-Whale, 1987, pp. 130, 131 et 136.
KAIRIS P.-Y., Bertholet Flémal (1614-1675), Paris, Arthena, 2015, passim, p. 38, 60, 65, 75, 133 et 153 (avec la bibliographie antérieure).
KAIRIS P.-Y., Invention de la sainte croix, dans JAFFRE G. et MARCHANT C. (sous la coord.), Trésors classés en Fédération Wallonie-Bruxelles, Protection du Patrimoine culturel, vol. 1, Stavelot, 2015, p. 237.