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La Fête de Toussaint : le sens de nos jours

Publié le 30/10/2020

Peut-on faire la fête alors que certains d’entre nous sont emmenés dans les hôpitaux, atteints gravement par le Covid, et que d’autres sentent que la vie les quitte, alors qu’ils ont encore bien des projets non réalisés ? En ouvrant le journal de ce 15 octobre, je lis ce qu’a décidé de faire le violoncelliste Sevak Avanesyan, belge d’origine arménienne. Sans invitation, il a décidé d’aller jouer de son instrument à Chouchi, dans le Haut-Karabakh, en trois lieux symboliques, la Cathédrale endommagée par deux frappes attribuées aux forces azéries, la Mosquée et le Centre culturel. Déjà en 1992, un violoniste avait joué dans les décombres de la bibliothèque de Sarajevo, et le 11 novembre 1989, Rostropovich l’avait fait devant le mur de Berlin en voie de démolition. La musique de ces artistes est une parole d’espérance et de résilience, car la vie sera plus forte que la mort ! Alors que les armes divisent, le langage universel de la musique réunit.

A sa manière, la fête de la Toussaint, célébrée par tant d’artistes au cours de l’histoire annonce un autre monde où règne la paix. Les martyrs, qui représentent la « sainteté héroïque » et les autres saints qui témoignent de la « sainteté au quotidien » sont comme des veilleurs qui nous fraient un chemin vers le bonheur : « Heureux ! ». Tel est le mot-clé de la Toussaint dont l’évangile du jour est tiré des béatitudes évangéliques (Matthieu 5, 1-12).
Les saints sont représentés dans toutes les églises chrétiennes, par des icônes dans les églises orientales, par des statues, des peintures, et des vitraux dans les églises occidentales.

Les saints sont « bien de leur temps » en un double sens : les sculpteurs les ont représentés parce qu’ils étaient vénérés de leur temps comme des protecteurs et des intercesseurs ; ils sont de leur temps aussi, en raison des canons artistiques de leur siècle, qui marquent ces œuvres. Les saints de l’époque romane ne sont pas ceux de l’époque gothique ou baroque. Ils revêtent les habits de leur temps. Et jusqu’aujourd’hui, des sculpteurs inspirés comme Jean Willame, artiste de nos régions formé à l’Ecole d’art de l’abbaye de Maredsous, s’est inscrit dans ce courant, de sorte qu’il y a une proximité entre le saint et la personne qui s’approche comme pour lui confier ses soucis ou ses projets.

Jean Willame, Christ en croix, 1975 

La poésie liturgique contemporaine parle des saints dans le langage du 21e siècle, comme les Hymnes nouvelles pour la liturgie (t. 2, Sanctoral et Communs, Paris, 2016) le montrent : « Voyez comme au long des temps/quand reviennent chez Dieu/les enfants de la terre/Dieu s’approche et leur ouvre sa demeure… (p. 119). Ou encore : « Ceux-là que fascinait/La flamme du buisson/Ont trouvé place près de toi/Dans ton Royaume » (p. 120). De la même manière, les défunts célébrés le 2 novembre font l’objet de nouvelles créations telle que « Dieu, tu révèles ta lumière /A ceux qui passent par la nuit/ Béni sois-tu/Pour les yeux qui s’ouvrent aujourd’hui/Sur la terre nouvelle:/ Ils te rencontrent, Dieu vivant ! » (p. 122).

La caractéristique de la fête de Toussaint est de célébrer un même jour l’entièreté des élus, canonisés ou non, notamment les saints et saintes « d’à côté » (Pape François), c’est-à-dire ceux que nous côtoyons dans la rue, ou au bureau, ou à l’hôpital, sans nous en rendre compte. Tous ces Bons Samaritains sans lesquels le monde étoufferait ! Fra Angelico a représenté cette société céleste bigarrée, et les frères Van Eyck dans l’Agneau mystique. C’est ce que fait Sabine de Coune, une Ardennaise qui modèle la terre et a réalisé récemment une Vierge au manteau, abritant les représentants des différents peuples, dans la tradition des « Vierges de miséricorde » des pays germaniques (XVe siècle).

Agneau Mystique

Fra Angelico, Les précurseurs du Christ avec les saints et les martyrs, 1423-1424 

 

Jean Van Eyck, Saintes Martyres dans l'Adoration de l'Agneau mystique, 1432.

 

 

Le Musée en Piconrue à Bastogne possède une série de « Vierges de majesté » et des « Vierges de tendresse » des villages des environs qui ont souvent les traits des paysannes ardennaises, d’où la proximité de ces Vierges avec les gens du lieu. Elles sont de leur temps. Notre-Dame de Luxembourg, par exemple (XVIIe s.) n’est pas appelée pour rien « Consolatrice des affligés ». Le XVIIe s., « siècle de malheur », a connu la Guerre de Trente Ans, ainsi que les épidémies de peste et de choléra. Les pandémies ne sont pas seulement d’aujourd’hui !

André Haquin

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