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À la découverte du patrimoine funéraire sculpté de Wallonie : 1. Le Hainaut (suite)

Publié le 31/05/2024

Boussu, Howardries et Brugelette : des ensembles funéraires seigneuriaux exceptionnels

Envisagés individuellement, les monuments funéraires ont pour fonction de commémorer la mémoire d’individus défunts, en particulier par le biais de leur nom, leur date de décès, quelques informations biographiques, leurs armoiries, et éventuellement une effigie ou un portrait. Mais certains monuments funéraires doivent s’envisager également comme des groupes, car ils s’inscrivent dans un contexte plus large, et célèbrent une mémoire collective, en plus de celle de particuliers. C’est le cas notamment des mémoriaux de certaines familles nobles. Et quoi de mieux que le Hainaut pour aborder cette thématique, puisque la province hennuyère, « terre de noblesse par excellence » (Fourez et Dubuisson 1995), est le berceau d’origine de nombreuses familles nobles d’ancien régime.

L’église Saint-Géry de Boussu

Le cas de Boussu est assez unique, car une chapelle funéraire privée jouxte l’église Saint-Géry. Dédiée à la commémoration des seigneurs locaux, la famille de Hennin-Liétard, elle abrite quatre monuments funéraires, dont un taulet, celui de Thierry de Hénin (†1430). Le mur du fond, juste en face de l’autel, accueille le mausolée de Jean de Hennin-Liétard (†1562) et Anne de Bourgogne (†1551), attribué à Jacques Du Broeucq (et Luc Petit). En plus de ses dimensions monumentales et de la richesse de ses matériaux (marbre et albâtre), il accueille aussi plusieurs statues en ronde-bosse, dont un gisant, et le couple représenté en prière devant un Christ en croix, accompagnés de leurs enfants, ce qui est une transposition en trois dimensions et à taille humaine des scènes sculptées sur les taulets (voir section précédente).

La chapelle abrite également le monument funéraire de Maximilien de Hennin-Liétard (†1578), de sa femme Charlotte de Werchin (†1571), de leur fils Pierre (†1598) et de leur bru Marguerite de Croÿ (†1614). Ils sont tous les quatre représentés en prière devant une statue du Christ ressuscité, et au centre se trouve une représentation de la Vierge à l’Enfant.

 

Fig. 1. Monument funéraire de Jean de Hennin-Liétard (†1562) et Anne de Bourgogne (†1551), église Saint-Géry, Boussu. © E. Philippe. Fig. 2. Monument funéraire de Maximilien II de Hennin-Liétard (†1625) et Alexandrine-Françoise de Gavre (†1650), église Saint-Géry, Boussu. Cliché X087947 © KIK-IRPA, Bruxelles. Fig. 3. Monument funéraire de Maximilien de Hennin-Liétard (†1578), Charlotte de Werchin (†1571), Pierre de Hennin-Liétard (†1598) et Marguerite de Croÿ (†1614), église Saint-Géry, Boussu. © E. Philippe.

Un dernier mausolée se dresse dans la chapelle, et remplit en même temps la fonction d’autel. Il est dédié à la mémoire de Maximilien II de Hennin-Liétard (†1625) et Alexandrine-Françoise de Gavre (†1650). Et une fois encore, les défunts sont représentés en prière devant une représentation de la Vierge à l’Enfant.

Fig. 4. L’homme à moulons (détail), premier quart du XVIe siècle, église Saint-Géry, Boussu. © E. Philippe.

Enfin, bien qu’elle ne puisse plus être connectée à un monument funéraire, une dernière sculpture de la chapelle mérite d’être mentionnée. Il s’agit de « l’homme à moulons », daté du premier quart du XVIe siècle en pierre d’Avesnes. Il s’agit d’un transi, c’est-à-dire une représentation d’un corps mort entre l’état de décomposition et celui de squelette, en vogue en Europe entre le XVe et le XVIe siècle.

L’église Sainte-Marie-Madeleine d’Howardries

L’église d’Howardries présente plus ou moins une configuration similaire : un regroupement de monuments funéraires d’une même famille au sein d’un même lieu. Mais cette fois, il ne s’agit pas d’une chapelle privée mais de l’église paroissiale. Les monuments funéraires sont donc publics, et montrent à tous les paroissiens la puissance et la richesse de la famille du Chastel. L’église accueille plus d’une dizaine de monuments funéraires, c’est pourquoi seulement quatre d’entre eux seront présentés. Le premier est de dimensions modestes par rapport à ce qui a été décrit précédemment. Il a été érigé à la mémoire de Guillebert du Chastel (†1570), qui représenté cette fois tourné directement vers le spectateur, et plus agenouillé vers une image de dévotion comme sur tous les exemples vus précédemment. Il se trouve sous un portique de style classique, représenté en perspective, dans une scène de style Renaissance. Il s’agit d’un des rares monuments funéraires d’enfant/adolescent qui a été conservé.

De l’autre côté du transept, la taille du mausolée de Nicolas du Chastel et de ses deux épouses, Barbe d’Oignies et Antoinette d’Avroult, est bien plus imposante. On sait qu’il a été réalisé en 1592, car, fait rare, la date d’achèvement est inscrite sur le monument, en complément des dates de décès des défunts. Le mausolée a comme particularité d’abriter un très grand nombre de quartiers d’armoiries.

               

Fig. 5. Monument funéraire de Guillebert du Chastel (†1570), église Sainte-Marie-Madeleine, Howardries. Cliché X020489 © KIK-IRPA, Bruxelles.
Fig. 6. Monument funéraire de Nicolas du Chastel, Barbe d’Oignies et Antoinette d’Avroult, 1592, église Sainte-Marie-Madeleine, Howardries. Cliché X020484 © KIK-IRPA, Bruxelles.

 

Enfin, mentionnons encore les deux monuments funéraires dédiés à la mémoire de François (†1622) et Nicolas (†1631) du Chastel. Répondant exactement à la même composition, ils fonctionnent comme une paire, et se font face de part et d’autre du maitre-autel. Les deux frères sont représentés allongés sur une natte de paille, la tête reposant sur leur bras accoudé.

           

Fig. 7 et 8. Monuments funéraires de Nicolas (†1631) (à gauche) et François du Chastel (†1622) (à droite) (détail des effigies), église Sainte-Marie-Madeleine, Howardries. Cliché X020480 et cliché X020478 © KIK-IRPA, Bruxelles.

Que ce soit à Boussu ou Howardries, tous ces exemples de monuments funéraires ont ainsi une dimension politique et propagandiste, car ils insistent sur la puissance et la richesse des seigneurs du lieux, à travers une série d’éléments. On peut citer parmi ceux-ci leurs dimensions imposantes, la richesse des matériaux employés, leurs couleurs vives, mais encore les armoiries et quartiers de noblesse (présents parfois en très grand nombre), la représentation et les vêtements des effigies (armure, heaume, cotte, ceinture et tabard pour les hommes ; robes brodées, hermine, bijoux et coiffures sophistiquées pour les femmes). Plusieurs membres de la famille de Hennin-Liétard portent également le collier de la Toison d’Or. La place d’inhumation des défunts n’est pas non plus anodine : seuls les membres fortunés des communautés peuvent être enterrés dans les églises, et le chœur en particulier est réservé aux seigneurs, évêques et curés du lieu.

                   

Fig. 9 et 10. Monument funéraire de Jean de Hennin-Liétard (†1562) et Anne de Bourgogne (†1551) (détails des priants), église Saint-Géry, Boussu. © E. Philippe.

En rassemblant également les monuments funéraires de plusieurs générations au même endroit, l’accent est également mis sur la continuité et l’unité entre les générations, ce qui est primordial pour les nobles lignages.

L’église Sainte-Vierge de Brugelette

Cet aspect est encore plus évident dans le cas de l’église de Brugelette. Elle accueille quatre monuments funéraires de la famille de Jauche, dont trois qui répondent à une composition identique (peut-être due au même atelier) bien que commémorant trois générations différentes. Il s’agit des monuments funéraires de Jacques de Jauche (†1499) et Philippote de Lannoy (†1500), d’Antoine de Jauche (†1533) et Josine de Flandre (†1535), et de Jean de Jauche (†1540) et Honorine de Melun (†1590). Chaque couple est à chaque fois représenté en buste, les mains jointes en prière. Il s’agit de représentations tout à fait inhabituelles et rares pour l’art funéraires du XVIe siècle dans nos régions.

                        

Fig. 11, 12 et 13. Monuments funéraires de Jacques de Jauche et Philippote de Lannoy (gauche) (c. 1527), Antoine de Jauche et Josine de Flandre (centre) (c. 1527, et de Jean de Jauche et Honorine de Melun (droite) (c. 1540), église Notre-Dame, Brugelette. Cliché X150279, cliché X150288 et cliché X150300 © KIK-IPRA, Bruxelles.

Une hypothèse propose que les monuments de Jacques et Antoine auraient été commandés en même temps, par Antoine, qui aurait voulu prendre soin de sa mémoire et de celle de son père (Suykerbuyk, à paraitre). Ces deux monuments sont d’ailleurs les plus proches en termes de composition. Celui de Jean a ensuite été commandé dans un second temps. Mais tous les trois se conforment volontairement au même modèle, contrairement à ce qui a été fait à Boussu et Howardries. En plus d’insister sur la richesse et la puissance de seigneurs locaux, cela met en outre l’accent sur la continuité entre les générations et leur appartenance à une seule et même famille.

Pour découvrir une autre église hennuyère avec des monuments funéraires seigneuriaux, cliquez ici.

Bibliographie :

  1. Bass, « The Transi Tomb and the “Genius” of Sixteenth-Century Netherlandish Funerary Sculpture », Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek, 67, 2017, p. 161‑87.
  2. Capouillez, La chapelle funéraire des seigneurs de Boussu, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2006 (Carnets du Patrimoine, 43).
  3. Fourez et P. Dubuisson, « Deux chapelles uniques en Hainaut. Les chapelles funéraires de Howardries et Boussu », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, XXIV, 1995, p. 165‑217.
  4. Suykerbuyk, « Noble Expectations of Memorial Sculpture: commissioning the Jauche Monuments in Brugelette », dans J. Beckers et H. De Moor (eds.), Taking Shape: Sculpture of the Low Countries, 1400-1600, Turnhout, Brepols, à paraître.

Elise Philippe

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