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Colloque : Redécouverte ou survie? La présence de l’icône en Occident du XVe siècle à nos jours

Publié le 05/01/2021

Le Colloque en ligne du Palais des BOZAR (Bruxelles), organisé par le GEMCA (« Groupe d’analyse culturelle de la première modernité ») de l’UCLouvain, le 11 décembre 2020, s’est donné pour tâche d’étudier les nombreux contacts entre la peinture occidentale et l’icône orientale, et la survie de cette dernière en Occident. Il a été introduit par Ralph Dekoninck et Ingrid Falque. La réflexion de cette journée érudite a embrassé les six derniers siècles ; elle a aussi évoqué la question du début du troisième millénaire, marqué par un certain engouement pour l’icône et par une série de « réinventions » et de « détournements » parfois surprenants. 

Les divers exposés de la matinée ont abordé la question de la proximité entre l’art médiéval de l’icône et la peinture occidentale : Till-Holger Borchert (Musées de Bruges) : « Eyckons et la politique des miracles » ; Katrien Lichtert (Ludens Projecten) : « Représenter la Mère de Dieu. Iconographie de la Vierge à l’Enfant chez les Primitifs flamands » ; Barbara Baert (KULeuven) : « Un regard iconique. Le ‘nouvel’ agneau des Van Eyck » ; Michele Bacci (Université de Fribourg) : « La sainteté dans toute son ambiguïté picturale : approches de l’art de l’icône religieuse dans la République maritime de Venise, du XIVe au XVIIe siècle ». 

Les exposés de l’après-midi ont porté plus directement sur l’héritage de l’icône en Occident, jusqu’au XXe siècle. François Boespflug (Université de Strasbourg) : « Images du Christ et frontalité dans l’art religieux d’Occident, XVIe-XVIIe siècles » ; Isabelle Saint-Martin (EPHE, Paris) : « Le statut de l’icône dans l’idéal de l’art chrétien, XIXe-XXe siècles » ; Dimitra Kotoula (Courtauld Institute of Art) : « A la recherche d’un tableau sans étiquettes. La redécouverte de l’art byzantin de l’icône dans la 2e moitié du XXe siècle » ; Jérôme Cottin (Faculté de théologie protestante, Paris) : « Les avatars (ou pérégrinations) de l’icône dans l’art contemporain. Transformations et décontextualisation ».

L’intervention de Fr. Boespflug a retenu particulièrement l’attention. Il constate que depuis l’Antiquité, le Christ apparaît en position frontale dans les catacombes, à Sainte-Sophie (Constantinople), dans les mosaïques de Ravenne et dans les églises post-byzantines. C’est le Christ en majesté, dont la divinité et la seigneurie ont été affirmées au Concile de Nicée (325). Y a-t-il là un héritage artistique de l’Antiquité païenne ? Tout au long des siècles, l’Eglise orthodoxe a maintenu sa préférence pour le Christ en majesté ou en position frontale, un Christ qui nous regarde, estimant que la représentation de profil, souvent réservée aux traîtres et aux pécheurs, est indigne du Sauveur. L’Occident intégrera cette manière de faire dans les miniatures, les tympans sculptés, les fresques, et même dans le Japon du XVIe siècle (Nagasaki) avec S. François-Xavier. La peinture européenne se libérera de la frontalité du Christ et de son hiératisme au XVe siècle, préférant souligner l’humanité de celui qui s’est fait proche de nous. Le même phénomène est repérable dans les Sedes sapientiae qui progressivement deviennent des Vierges de tendresse. 

La représentation du Christ, Salvator mundi, bénissant d’une main et portant dans l’autre le globe terrestre se situe d’abord dans la ligne du Christ en position frontale. Progressivement, une évolution se dessine ; le Christ regarde d’un côté ou de l’autre, vers le bas ou vers le haut. Il se laisse regarder, parfois jusqu’à adopter une position de profil ou même jusqu’à devenir l’Homme des douleurs. Le point ultime de cette évolution se trouve chez Rembrandt (1606-1669). C’est la « fin de l’hégémonie du hiératisme » et le moment d’une réelle séparation de l’Orient et de l’Occident au plan artistique et anthropologique.  

 

Illustration 1 : Jan Van Eyck, La Madone au Chanoine van der Paele, 1436, Wikipedia.

L’exposé d’Isabelle Saint-Martin ne fut pas moins instructif. L’icône est redécouverte aux XIXe et XXe siècles en Occident mais son influence sur l’art chrétien en France est presque inexistante, aussi bien chez les théoriciens que chez les artistes. Pourquoi ? Peut-être en raison du fixisme des canons de l’icône qui désespèrent les artistes occidentaux.  Chateaubriand, Montalembert et les artistes redécouvrent avec bonheur Giotto, Angelico. Ingres est particulièrement sensible à l’œuvre de Raphaël. Son élève Flandrin, est fasciné par l’art paléo-chrétien comme on peut le voir dans ses œuvres à Paris, à l’église Saint Vincent de Paul et à S. Germain-des-Prés, mais aussi à Saint Martin d’Ainay (Lyon). C’est un art de synthèse qui garde en mémoire la renaissance italienne. Le néo-byzantin s’impose en quelques endroits à la fin du XIXe siècle, par exemple au Panthéon, dans les mosaïques du chœur. Le courant le plus intéressant est celui de Maurice Denis et des Nazaréens qui optent  résolument pour l’Ecole symboliste, par exemple dans les « Pèlerins d’Emmaüs » et dans l’ « Annonciation » traitée de manière liturgique. Malgré l’émigration russe en France au XXe siècle, l’icône ne tentera guère les peintres de l’Art chrétien. Seul le Mouvement charismatique va réinvestir l’icône, peut-être parce qu’elle est aux antipodes d’un art réaliste, peut-être aussi parce qu’elle s’éloigne d’un sensualisme occidental. Ancien disciple de M. Denis, le P. Couturier, dominicain, choisira l’abstraction, un art selon lui plus proche du sacré, comme on le voit au Plateau d’Assy. Parlant du Christ en majesté de Cefalu (Sicile), Couturier dira : « Que nous sommes loin du Christ des évangiles » (1953).

lllustration 2 :  Leonardo da Vinci, Salvator Mundi, vers 1500, Wikipedia.

La recherche de Dimitra Kotoula souligne l’évolution de l’icône en Grèce au XXe siècle : une « peinture sans labels ». Deux tendances se dessinent. La première, à l’époque romantique, a choisi d’adapter la tradition par l’affranchissement des canons et de « moderniser » l’art de l’icône, dans le sens néo-classique,. Ainsi le peintre crétois Koufos, représente une Vierge non hiératique à Athènes (1880).  Curieusement, l’Eglise officielle de Grèce n’a porté aucun jugement sur cette émancipation. L’autre tendance, plus radicale, se situe dans une ligne expérimentale. Les jeunes artistes se tournent vers les peintres orthodoxes d’Europe et vers l’avant-garde européenne, marquée par la sécularisation, mais non vers les peintres russes, pourtant en quête de renouveau, eux aussi.   

En finale, Jérôme Cottin, spécialiste de l’image, présente la place de l’icône dans l’art d’avant-garde et dans la publicité, là où on ne l’attendrait pas ! L’icône du Christ est liée à la publicité pour Coca-Cola ou pour le Mc Donald, pour les Télés Sony et l’Eau d’Evian. Les images ici deviennent « réversibles », c’est-à-dire susceptibles de deux interprétations contraires, selon la réception par celui qui les regarde. Tantôt, elles sont considérées comme une apologie de la société de consommation, confortées par un élément religieux, le regard du Christ. Tantôt elles font l’objet de dénonciation de la société de consommation et invitent à revisiter les traditions religieuses les meilleures. 

Le Musée diocésain à Cologne (Kolumba Museum) est adossé aux restes d’une église gothique. Une « installation » accueille le visiteur dans une grande salle dont un mur est couvert de feuilles dorées, rappelant l’art de l’icône. On y trouve à un bout de la pièce un porte-manteau avec un manteau et un chapeau et dans un autre coin une lampe à huile qui brûle. Est-ce une lampe qui signifie une présence sacrée ? Le visiteur jugera par lui-même… La publicité passe aussi par le vêtement, de façon parfois déconcertante. Ainsi une iranienne porte une icône du Christ à l’arrière de son manteau. Profession de foi ou l’inverse ? Par contre, une africaine porte sur son pagne une icône du Christ ; c’est une pratique courante chez les Africains chrétiens, qui aiment exhiber des images religieuses sur leurs vêtements colorés. Le colloque sur l’icône fera l’objet d’une publication.       

André Haquin

Illustration 3 : Kolumba Museum, Wikipedia.  

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